
Les grandes figures historiques du Japon
Edogawa Ranpo, le maître du roman policier japonais
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Une sorte de fascination pour les amourettes homosexuelles
Vers 1935, Edogawa Ranpo devient à court d’idée et écrit de moins en moins de fictions. En 1929, il publie le livre La Chenille, où il est question d’un homme qui perd ses quatre membres au front, censuré en 1939, durant la Seconde Guerre mondiale pour son contenu jugé antimilitariste. Cette censure l’empêchera de publier un grand nombre de ses œuvres. Par ailleurs, il écrit des essais pour un magazine affilié à la marine, qui lui n’avait pas de censure avant publication. Un article datant de 1942 intitulé « Un récit d’Etajima » (Etajima ki )évoque une visite dans une académie navale. Dans une scène émouvante, des jeunes aux « joues roses » et « adorables » prennent leurs pairs diplômés dans leurs bras, les larmes aux yeux.
« Ranpo avait une sorte de fascination pour les amourettes homosexuelles entre hommes, » explique le professeur Ishikawa. « Il était particulièrement ému de voir des personnages, exprimer librement leurs sentiments alors même qu’ils se trouvent dans des situations difficiles et peuvent mourir du jour au lendemain. »
Le Club des jeunes détectives
Après avoir été censuré car considéré comme corrompant les mœurs, le roman policier connaît une seconde vie. C’est 1936 qu’Edogawa Ranpo rencontre un succès national avec Le monstre aux vingt visages, qui met en scène le détective Akechi Kogorô avec son protégé, le jeune Kobayashi Yoshio. Cette histoire sera suivie de nombreuses autres aventures avec Kobayashi Yoshio et son Club des jeunes détectives. Dans l’après-guerre, Edogawa Ranpo revient à cette série avec « Le Diable de bronze » (Seidô no majin, non traduit en français), qui deviendra une série à partir de 1949, série qui continuera jusqu’en 1962. Radio, télévision, cinéma, les adaptations ne manquent pas.
La série Club des jeunes détectives à gauche, et d’autres œuvres de l’auteur
La série Club des jeunes détectives voit Akechi Kogorô évoluer. Par exemple, dans L’Assassinat de la rue D et Le Test psychologique, premier et deuxième opus où apparaît le fin limier, Akechi n’a pas encore la maturité qu’il acquerra tout au long de ses aventures. À l’époque du Club des jeunes détectives, il a ce je-ne-sais-quoi de raffinement propre aux hommes de la ville, il se retrouve souvent malgré lui emporté dans une course poursuite en voiture à couper le souffle et dans mille et une autres aventures, mais c’est dans Le monstre aux vingt visages qu’il est le plus attachant.
« Dans le fait qu’il ne tue pas et ne verse pas de sang réside une sorte de philosophie du mal », explique le professeur Ishikawa. « L’auteur était aussi visiblement plus intéressé par la description du personnage principal du Lézard noir. Plutôt que de jouer le rôle de protagoniste, on pourrait dire qu’Akechi est là pour faire ressortir avec d’autant plus de splendeur toute la méchanceté des personnages et de ce monde en général. »
Un autre grand maître du roman noir au côté de Ranpo
Le professeur Ishikawa fait remarquer qu’Edogawa Ranpo a beaucoup fait pour le genre du polar dans le Japon d’après-guerre, même après avoir lui-même cessé d’écrire des fictions pour adultes.
« Ce qu’il faut retenir de Ranpo, hormis le fait qu’il était un écrivain de génie, c’est que ses articles dans des magazines de fiction du genre, tels que Hôseki, ont révélé de jeunes talents. Que sa maison du quartier d’Ikebukuro à Tokyo ait été épargnée par les bombardements pendant la guerre est une véritable chance. Les livres de sa collection personnelle sont devenues tout autant de documents précieux pour le roman policier de l’après-guerre. Les auteurs du genre avaient coutume de se réunir chez Ranpo pour emprunter des livres et discuter de telles et telles œuvres. C’est ainsi qu’est né l’association des Detective Fiction Writers, aujourd’hui appelé le Mystery Writers of Japan. »
La collection personnelle de livres d’Edogawa Ranpo
Dans un essai publié en 1947, Edogawa Ranpo écrit que le roman policier a besoin d’un personnage d’une envergure du poète Bashô pour transformer le genre et en élever le niveau littéraire, tout comme Bashô avait affiné la forme du haiku. Plus tard, il fera l’éloge de Tokyo express de Matsumoto Seichô, œuvre publiée en 1958. Pour Edogawa Ranpo, Matsumoto Seichô était un « Bashô ». Lorsque le magazine où Le Point zéro de Matsumoto Seichô — qui paraissait alors sous forme de feuilleton, a choisi d’arrêter la publication — c’est le magazine Hôseki qui a repris le flambeau. Et Ranpo en était le rédacteur en chef.
Certes Matsumoto Seichô respectait Edogawa Ranpo, explique le professeur Ishikawa, mais pour lui, lorsqu’il écrivait, le mobile du crime était plus important que les stratagèmes employés pour le dissimuler. Il insistait également sur le fait que ses romans n’étaient pas des histoires de détective (tantei), mais des romans faisant appel à la « déduction » (suiri). Néanmoins, fait remarquer le professeur, il est indéniable que l’œuvre d’Edogawa Ranpo lui a permis de mieux se faire connaître en tant qu’écrivain.
Une multitude d’adaptations à travers les époques
Aujourd’hui, c’est l’université Rikkyô qui gère désormais l’ancienne résidence d’Edogawa Ranpo, devenue le Centre Edogawa Ranpo de recherches sur la culture populaire.
« Edogawa Ranpo était très attaché à tous ses livres et documents imprimés. Il conservait toutes sortes de documents papier, des lettres aux factures de livres achetées dans des librairies d’occasion. Il y a environ 40 000 de ces documents, et plus encore si l’on inclut les notes ou pense-bête qu’il a pu écrire à la main. Ces précieux documents n’ont pas encore tous été classés, mais ils promettent à n’en pas douter de magnifiques découvertes. Ils ont même été très utiles à la police lors de l’enquête sur l’incident de Teigin en 1948. Douze employés de banque ont été empoisonnés pendant que le braqueur ramassait son butin. Des documents de l’époque de Ranpo pourraient peut-être apprendre quelque chose de nouveau sur cette affaire qui n’a jamais élucidée. »
Mais cet intérêt pour les œuvres d’Edogawa Ranpo s’étend maintenant au-delà des frontières de l’Archipel.
« Au départ, Edogawa Ranpo était vu comme un imitateur d’auteurs de romans policiers de langue anglaise comme Arthur Conan Doyle. Aujourd’hui, de jeunes chercheurs voient son travail d’un œil différent. Beaucoup d’entre eux sont fascinés par la pop-culture, voyant dans les jeux vidéo, les anime et les mangas des formes de culture originale. Edogawa Ranpo semble être considéré comme un auteur qui rassemblait un certain nombre d’éléments de cette pop-culture. Dès l’après-guerre, ses écrits ont régulièrement été adaptés au cinéma ou à la télévision. Mais les époques et les médias ayant évolué, les adaptations sous forme de manga ou encore d’anime se sont multipliées. Le talent d’Edogawa Ranpo continuera à n’en pas douter à traverser les époques et les frontières, quel que soit le support choisi. »
(Texte rédigé par Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : Edogawa Ranpo chez lui. Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation du Centre Edogawa Ranpo de recherches sur la culture populaire, sauf mentions contraires)