Exploration de l’histoire japonaise

L’abolition des domaines féodaux et la naissance des préfectures japonaises

Histoire

Kawai Atsushi [Profil]

Le 29 août 1871, le Japon abolissait le système des domaines féodaux (han) en place depuis 700 ans. Ils sont remplacés par des préfectures (ken), elles-mêmes rattachées à un gouvernement central. Derrière cette réforme historique se cache en fait une lutte entre factions pour le pouvoir. À la fin de l’article, un tableau récapitulatif des événements majeurs.

Une lutte pour le pouvoir

Le pays en lui-même était prêt pour le changement, ce qui arriva par l’entremise de la faction Satsuma-Chôshû. Un petit nombre de hauts fonctionnaires s’étaient réunis et avaient procédé à ce qui peut dans les faits être considéré comme un coup d’État. C’est à la mi-août 1871 que les choses sérieuses commencèrent ; Nomura Yasushi et Torio Koyata, deux fonctionnaires de niveau intermédiaire de Chôshû, étaient parvenus à convaincre Yamagata Aritomo d’adhérer à leur plan. Puis, le 20 août, c’est au tour de Inoue Kaoru de soutenir ce plan. En charge des affaires financières du gouvernement, il comprenait la nécessité économique d’abolir le système de domaines et accepta dans la foulée de convaincre le chef du Chôshû, Kido Takayoshi, initiative couronnée de succès puisque le lendemain, celui-ci donna son approbation. Trois ans auparavant, dans son propre journal, il se prononçait déjà en faveur de ce plan, y voyant un moyen d’unifier la nation.

Restait à gagner la faveur de Saigô Takamori, qui contrôlait les samouraïs de Satsuma. La tâche incomba à Yamagata Aritomo. Il aborda le sujet avec lui. Saigô Takamori lui répondit : « C’est acceptable, je pense » avant de demander : « Qu’en pense Kido ? » Le consentement fut obtenu si rapidement que Yamagata dit : « Je veux d’abord connaître votre opinion. » Derechef Saigô Takamori répondit : « C’est acceptable. » Ne s’attendant pas à une telle réaction Yamagata Aritomo rétorqua : « Vous comprenez que la suppression des domaines entraînera probablement un bain de sang. » Et Saigô Takamori de répondre à nouveau : « Je l’accepte. » À cet instant, Yamagata Aritomo comprit que le pays était prêt pour le changement.

Pourquoi Saigô Takamori a-t-il accepté, alors que ce changement majeur sonnait le glas du domaine Satsuma ? S’intéressant à cette question, le chercheur Matsuo Masahito écrira que Saigô Takamori lui-même savait probablement que le système féodal de l’époque avait atteint ses limites. Les réformes menées par le domaine de Satsuma ne pouvaient rien y changer ; les effectifs de soldats qu’il pouvait compter était limité. Fournir des soldats au gouvernement signifiait que ce fardeau ne leur incombait plus, et menait naturellement à une transformation déjà inéluctable du système territorial en lui-même.

Un rescrit émanant de l’empereur lui-même

Quel ne fut pas le sentiment de réjouissance de Kido Takayoshi lorsqu’il apprit que Saigô Takamori avait lui aussi donné son accord. Et ils ne perdirent pas de temps, puisque le 23 août, les deux hommes se rencontrèrent en tête-à-tête, avec pour ferme objectif de mettre la dernière main aux préparatifs. Saigô Takamori ayant préalablement obtenu l’aval d’Ôkubo Toshimichi, le lendemain même, le 24 août, Kido, Saigô et Ôkubo (tous trois considérés comme les artisans de la Restauration de Meiji), des personnalités de Satsuma telles qu’Ôyama Iwao et Saigô Tsugumichi, et des représentants de Chôshû tles qu’Inoue Kaoru et Yamagata Aritomo se réunissent pour approfondir ensemble le sujet. Cependant, comme l’écrit Kido dans son journal à la date du 25 août, toute la planification se déroulait dans le plus grand secret.

Sanjô Sanetomi et Iwakura Tomomi, pourtant membres proéminents du gouvernement, n’eurent connaissance du plan que le 27 août, soit deux jours avant sa mise en œuvre. Bien que quelque peu décontenancés par un projet d’une telle envergure, mis devant le fait accompli, ils n’eurent d’autre choix que de donner leur aval. Et ainsi, le matin du 29 août, les gouverneurs de Satsuma, Chôshû, Tosa et Hizen (aujourd’hui préfecture de Saga) et d’autres représentants furent convoqués à la cour impériale. C’est là qu’ils apprirent par un rescrit impérial de l’empereur Meiji l’abolition de leurs domaines. Ce même message sera transmis aux gouverneurs de Tottori, Owari, Kumamoto et Tokushima, qui avaient déjà appelé à l’abolition des domaines. Dans la foulée, cet après-midi-là, 56 autres gouverneurs, qui se trouvaient alors à Tokyo, sont également convoqués et informés de ce changement, marquant définitivement la fin du système féodal des domaines, qui avait perduré pendant environ 700 ans.

Le rescrit impérial stipulant l’abolition des domaines, marquant l’avènement du système préfectoral (avec l'aimable autorisation des Archives nationales du Japon).
Le rescrit impérial stipulant l’abolition des domaines, marquant l’avènement du système préfectoral (avec l’aimable autorisation des Archives nationales du Japon).

Les gouverneurs des différents domaines furent démis de leurs fonctions et reçurent l’ordre de résider à Tokyo, tandis que le gouvernement central envoya ses propres fonctionnaires pour assurer la surveillance des préfectures nouvellement créées. Si l’atmosphère générale laissait supposer une approbation générale pour le système préfectoral, les instigateurs du coup d’État n’en envisageaient pas moins la possibilité que des samouraïs s’insurgent et prennent les armes suite à la perte de leurs traditionnels maîtres. En prévision de quoi Saigô Takamori avertit les autres hauts responsables du gouvernement : « Si des domaines montrent une quelconque opposition, nous serons sans pitié et nous les écraserons par la force militaire. »

Toutefois, il n’y eut aucune opposition. En partie en raison du caractère si soudain du passage à l’action, si soudain qu’il a de façon naturelle étouffé tout sentiment d’insurrection, combiné à celui que le temps n’était plus à la rébellion ; c’était tout simplement trop tard. Mais probablement aussi et surtout, parce que le gouvernement Meiji accepta de prendre en charge les dettes des domaines et s’engagea à allouer des sommes d’argent aux samouraïs soudainement dépourvus de maître.

Suite > Consolider le système préfectoral jusqu’au Japon d’aujourd’hui

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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