Exploration de l’histoire japonaise

L’abolition des domaines féodaux et la naissance des préfectures japonaises

Histoire

Kawai Atsushi [Profil]

Le 29 août 1871, le Japon abolissait le système des domaines féodaux (han) en place depuis 700 ans. Ils sont remplacés par des préfectures (ken), elles-mêmes rattachées à un gouvernement central. Derrière cette réforme historique se cache en fait une lutte entre factions pour le pouvoir. À la fin de l’article, un tableau récapitulatif des événements majeurs.

Des réformes militaires indépendantes

La guerre civile de Boshin s’acheva en juin 1869, et avec elle le régime du shogunat. Bien vite, le dernier shogun définitivement renversé, le nouveau gouvernement de Meiji, grand vainqueur du conflit, franchit le premier pas symbolique vers l’abolition plus tard définitive des domaines féodaux (han) , en leur ordonnant, dans un premier temps, d’abandonner leurs registres pour rendre territoires et citoyens à l’État. Toutefois, les seigneurs de domaine (daimyô), eux, restèrent sous contrôle en obtenant un nouveau titre, celui de gouverneur. À cette époque-là, le gouvernement national n’avait pas de pouvoir réel, et encore moins celui d’éliminer les domaines de manière coercitive. Les soldats qui avaient combattu au sein de son armée contre le shogunat regagnèrent leurs domaines une fois la guerre de Boshin terminée.

Seulement, cette réforme n’était pas du goût de tout le monde et pour certains, elle passait mal. Les soulèvements dans les campagnes et les mouvements anti-gouvernementaux attisant de plus belle la crainte d’une autre révolution, qui à son tour provoquerait une nouvelle guerre civile, les dirigeants des domaines décidèrent d’entreprendre des réformes militaires de grande envergure.

Citons l’exemple de Kishû (aujourd’hui préfecture de Wakayama), où Tokugawa Mochitsugu engagea Tsuda Izuru, lequel se mit en tête de transformer les forces militaires du domaine en une armée de style prussien. Il prit alors au poste de conseiller Carl Cöppen un officier prussien. Par conséquent, début 1870, Kishû finit par dissoudre son armée régulière et introduire un système de conscription, soit trois ans plus tôt que le gouvernement Meiji. L’armée permanente du domaine était composée de 7 000 hommes, avec environ autant de réservistes, armés des derniers fusils Dreyse.

Mais ce n’est pas tout. Le nouveau gouvernement s’inquiétait également de la situation à Satsuma (aujourd’hui préfecture de Kagoshima). Shimazu Hisamitsu, le père du gouverneur du domaine Tadayoshi, et le pouvoir qui se cachait derrière le trône, n’appréciaient guère ces réformes du gouvernement central. D’autre part, Saigô Takamori, qui avait combattu aux côtés des forces du gouvernement Meiji pendant la guerre civile de Boshin, œuvrait de plus belle pour le renforcement de l’armée de Satsuma.

La formation d’une armée nationale permanente

Au printemps 1870, Ôkubo Toshimichi, membre du gouvernement Meiji, se rendit à Satsuma avec la ferme intention de convoquer Shimazu Hisamitsu et Saigô Takamori à Tokyo. Le premier se querella avec Ôkubo Toshimichi et critiqua le gouvernement. Le deuxième refusa également de monter jusqu’à la capitale. Pour les convaincre, il fallut que Ôkubo Toshimichi et Kido Takayoshi sollicitent l’empereur Meiji pour qu’il les convoque officiellement. Finalement, Shimazu Hisamitsu, refusant toujours de répondre à la convocation de l’empereur Meiji, évoqua des raisons de santé pour ne pas se rendre à Tokyo. Saigô Takamori, lui, accepta, à condition que lui soient confiées des réformes.

Saigô Takamori souhaitait que les architectes de la Restauration de Meiji, à savoir Satsuma, Chôshû (actuelle préfecture de Yamaguchi) et Tosa (actuelle préfecture de Kôchi), fournissent des soldats qui formeraient une armée nationale permanente. Pour l’historien Katsuta Masaharu, cette proposition de Saigô Takamori tenait au fait que l’armée de Satsuma était trop importante, au point de devenir un fardeau pour les finances du domaine. Il voulait donc que le gouvernement national prenne en charge une partie des coûts. Au printemps 1871, le plan de Saigô Takamori fut accepté et 8 000 soldats issus des trois domaines se réunissent à Tokyo avant l’été. Après la mise en place de ces forces, tout était prêt pour l’annonce du remplacement des domaines par des préfectures (ken) le 29 août 1871.

En fait, à dire vrai, ce mouvement avait commencé deux ans plus tôt, de petits domaines qui n’avaient pas les ressources nécessaires pour rétribuer leurs serviteurs appelant d’elles-mêmes à un tel changement. Certains grands domaines comme Tottori, Owari (aujourd’hui préfecture d’Aichi), Kumamoto et Tokushima avaient également plébiscité l’abolition du système de domaines, dans l’espoir de créer un État unifié. Au sein du gouvernement, Ôkuma Shigenobu recommande au gouvernement central de dépêcher des fonctionnaires dans chaque domaine pour assurer l’unité politique. Quatre mois avant l’abolition officielle des domaines, Etô Shinpei fait une proposition quasiment identique au plan qui sera finalement adopté.

Suite > Une lutte pour le pouvoir

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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