
McDonald’s au Japon : ombres et lumières du géant de la restauration
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Un restaurant d’Okinawa réalise le plus gros chiffre d’affaires de tous les McDonald’s du monde
Les restaurants McDonald’s font aujourd’hui partie du paysage japonais. Il faut retenir la date du 20 juillet 1971, jour de l’ouverture du premier d’entre eux au sein du grand magasin Mitsukoshi, dans le quartier de luxe de Ginza, à Tokyo.
Ce McDonald’s suscita une grande attention, et même s’il y en eut rapidement un autre à Shinjuku et ailleurs, McDonald’s n’était pas encore universellement connu. Le hamburger n’avait pas encore acquis sa place dans les habitudes alimentaires japonaises.
C’est en 1973 que Gene Nakazono a commencé à travailler pour la société qui est entrée dans sa période de croissance rapide cinq plus tard. En 1976, il a été nommé directeur du restaurant de Makiminato, dans la ville d’Urasoe, préfecture d’Okinawa, et a contribué à son prodigieux chiffre d’affaires.
« Cela ne faisait que quatre ans que l’île d’Okinawa avait été rétrocédé au Japon, et environ deux cent mille Américains, militaires et leurs familles, y vivaient. Nous avions mis un panneau McDonald’s Opening Soon sur le site où allait ouvrir le restaurant, et tous les jours des Américains venaient demander la date de l’inauguration. Lorsque le grand jour est arrivé, le 1er février, il y a eu des files d’attente énormes, et j’ai décidé d’avancer l’heure de l’ouverture. La foule qui s’est précipitée dans le restaurant était incroyable. Le chiffre d’affaires ce jour-là a dépassé 3 millions de yens (23 000 euros), ce qui constituait un record mondial pour une ouverture d’un McDonald’s. Et cela a continué, puisque nous avons ensuite enregistré la meilleure semaine, puis le meilleur mois au monde. »
En 1982, McDonald’s Japan a réalisé un chiffre d’affaires annuel qui en faisait la première entreprise de restauration du Japon. Impossible de parler de cet extraordinaire essor sans évoquer Fujita Den, le créateur de l’entreprise au Japon.
« C’était un homme très énergique. Dans les années quatre-vingt, il s’ouvrait chaque semaine un ou deux restaurants au Japon. M. Fujita inspectait chaque nouveau site, et ne manquait aucune inauguration. Il en profitait pour aller voir les restaurants les plus proches, et les regardaient de fond en comble. Quand il trouvait quelque chose qui n’allait pas, sa colère était terrible. Tout le monde avait peur de lui, mais son sens des affaires était sans pareil même parmi les meilleurs dirigeants de l’époque. »
Fujita Den versait de l’argent aux épouses de ses employés
Salué à l’époque comme le roi de la restauration, Fujita a aussi écrit de nombreux livres, dont « Les imbéciles perdent de l’argent : une philosophie de combat pour l’argent à la juive » ou encore « Comment sonner le clairon à la manière des juifs riches », même si certains le qualifiaient ironiquement d’esclave de l’argent.
Pour gagner de l’argent, il faut faire travailler les gens. Nakazono n’a pas oublié que Fujita accordait à cet égard la plus grande importance aux rémunérations et au giri ninjô (c’est-à-dire la notion japonaise d’obligation morale et sociale et son corollaire, la considération pour les autres). Il s’intéressait particulièrement aux familles des employés de sa société.
« À l’époque où il était PDG, la société a versé pendant une période un “bonus des comptes annuels”, en mars, en plus des deux bonus habituels au Japon, attribués en juillet et en décembre. Ce bonus des comptes annuels n’était pas payé aux employés, mais à leurs épouses. Parce que Fujita voulait qu’elles encouragent leur mari à se donner à fond dans son travail. »
Il n’y avait pas que ce bonus des comptes annuels. Chaque fois que la femme d’un employé fêtait son anniversaire, Fujita lui faisait envoyer des fleurs.
« Et pas sous la forme d’un bouquet, mais d’une plante en pot. Une plante en pot dure au moins un an, et chaque fois qu’elle la regardait, l’épouse rappelait à son mari qu’il devait travailler dur. En se préoccupant des épouses, M. Fujita renforçait la motivation de ses employés.
Fujita Den, le 26 juillet 2001, au moment de l’introduction au JASDAQ de McDonald’s Japan (Jiji)
Après avoir passé ses dix premières années chez McDonald’s dans des restaurants à travers le Japon, Nakazono a été appelé au siège dans le quartier de Shinjuku à Tokyo. Il n’a pas oublié un épisode datant de cette époque. Il était aux toilettes lorsque Fujita y est entré, l’a regardé et lui a dit d’un ton très naturel : « Tiens, M. Nakazono ! Votre fille entre bientôt en primaire, non ? »
« Il ne se trompait pas, ma fille allait entrer en primaire l’année suivante. J’étais stupéfait. Parce que, pour qu’il me dise une chose pareille, il fallait qu’il se souvienne de la composition des familles de ses employés. Je me suis dit qu’il se préoccupait vraiment de nous, et je n’ai pu que penser qu’avec un patron pareil, je devais me donner à fond dans mon travail. »
Dirigé par Fujita, cet homme qui alliait un charisme extraordinaire à un sens des affaires affuté, McDonald’s Japan a réussi une croissance rapide et a significativement modifié les habitudes alimentaires japonaises. Le hamburger, regardé autrefois comme quelque chose qui ne pourrait jamais marcher au Japon, est devenu pour beaucoup un aliment du quotidien.
Une guerre des prix aboutit à un résultat négatif
La période pendant laquelle Nakazono a travaillé chez McDonald’s Japan, de 1973 à 1990, correspond à celle de son expansion. 1977 a vu la création des « drives ». Lancé en 1987, le Thank You Set, composé d’un hamburger, d’une portion de frites et d’une boisson, a été un tel succès que Thank You Set est devenue une expression à la mode. Avec l’ouverture d’un McDonald’s dans la préfecture de Yamagata en 1990, tous les 47 préfectures japonaises comptaient au moins un restaurant de la fameuse enseigne.
Mais lorsque l’époque de la bulle économique s’est terminée, le Japon est devenu une économie déflationniste, et la croissance de McDonald’s Japan a commencé à s’essouffler. En 2000, les restaurants ont commencé à offrir les promotions « à moitié prix en semaine ». Le hamburger qui coûtait autrefois 210 yens était en vente à 65 yens, et cela a fait revenir dans les McDonald’s la génération des quarantenaires qui disposaient de moins d’argent de poche à cause de la récession. Cette initiative a accéléré l’effondrement des prix, mais McDonald’s était perçu comme un des vainqueurs de la déflation.
Cela n’a pas duré.
En 2002, afin de faire repartir à la hausse la dépense par client, McDonald’s a cessé d’offrir les promotions « à moitié prix en semaine ». Les clients n’ont pas apprécié, et l’entreprise a perdu de l’argent cette année-là pour la première fois depuis sa création. Fujita a quitté le poste de directeur général pour prendre celui de président, avant de démissionner lors de l’assemblée générale de mars 2003. Il mourut d’une crise cardiaque à peine un an plus tard, le 21 avril 2004.
Pendant ses cinquante ans d’existence, McDonald’s Japan a connu deux grandes crises. Nous avons déjà parlé de la première, entre 1990 et 2002. Les restaurants qui avaient ouvert lors de l’expansion rapide avaient vieilli, et la stratégie des bas prix dans le même temps a conduit à une chute de l’image de marque. C’est en 2002 qu’il y a eu le plus grand nombre de restaurants au Japon, 3 891, mais pendant sept ans de suite, ceux qui existaient ont vu le chiffre d’affaires décliner.