« Le Voyage de Chihiro » : décryptage d’un chef d'œuvre

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Masaki Akira [Profil]

L’année 2021 a célébré les 20 ans de la sortie du Voyage de Chihiro, de Miyazaki Hayao, et l’attrait de ce film n’a pas faibli depuis. Après avoir régné pendant des années au sommet du box-office japonais, il a suscité un regain d’intérêt quand cette place lui a été ravie par l’anime Demon Slayer : le Train de l’infini, fin 2020. Décryptons la profondeur de ce chef d'œuvre plébiscité dans le monde entier, notamment sous l’angle des croyances spirituelles au Japon.

Trois autres motifs importants dans Le Voyage de Chihiro

D’autres motifs importants peuvent être relevés dans le film.

- La pérégrination dans l’autre monde

La pérégrination de Chihiro dans l’autre monde se décompose selon l’ordre suivant : le monde réel -> le monde d’Aburaya -> l’autre monde -> le monde d’Aburaya -> le monde réel. L’autre monde proprement dit est celui qu’elle découvre du train qui roule sur l’eau. Dans ce monde, le train roule sur l’eau, un paysage indiciblement triste se dessine à la surface des flots, les passagers qui montent et descendent du train portent des vieux vêtements, et ils sont représentés comme des ombres.

© 2001 Studio Ghibli • NDDTM
© 2001 Studio Ghibli • NDDTM

D’où il découle que cet « autre monde » semble correspondre à un monde antérieur, ou à une vie après la mort. Le schéma de cet itinéraire vie -> mort -> vie correspond étroitement à une expérience religieuse profonde. Ce qui a permis à Chihiro de grandir spirituellement n’est pas uniquement son expérience de travailler chez Aburaya, c’est aussi la forme de sa pérégrination, selon le schéma vie -> mort -> vie.

Entre le moment où Chihiro se perd et celui où elle retrouve le monde réel, il se passe environ deux nuits et trois jours pour elle. Pour ses parents, le même temps est presque instantané. Ils ne se souviennent même pas avoir été transformés en cochons pour avoir mangé les offrandes sans permission.

Inversement, il est possible qu’un temps très long se soit déroulé en réalité entre le moment où ils entrent dans le tunnel et le moment où ils en sortent, si l’on en juge par l’état de dégradation des parois, très différent entre ses deux moments, l’herbe envahissante, la saleté visible sur la voiture. On peut donc avoir des doutes sur le fait que Chihiro et ses parents soient bien revenus dans leur espace-temps d’origine.

- Le jardin d’Aburaya

Dans le jardin d’Aburaya, les fleurs de toutes les saisons sont épanouies. Dit autrement, les différentes saisons coexistent en même temps. Ce signe symbolise le fait qu’Aburaya ne fait pas partie du monde réel. Ce n’est pas un trope original de Miyazaki Hayao. On le trouve dès l’époque de Heian (794-1185), dans des peintures illustrant la Terre Pure (la croyance que la foi dans le paradis d’Amida pendant sa vie assure l’accueil dans ce même paradis après sa mort), et Miyazaki Hayao lui-même a déjà habilement utilisé ce motif traditionnel dans plusieurs autres films.

© 2001 Studio Ghibli • NDDTM
Chiro et Haku © 2001 Studio Ghibli • NDDTM

- Kaonashi

Le Kaonashi (littéralement « Sans visage ») n’a pas de voix propre. Il s’introduit dans un autre être dont il utilise la voix. Le bas de son corps est translucide. Ces éléments tendent à faire penser que Kaonashi n’a pas développé son « soi », n’a pas d’ego.

Dans la seconde partie de l’histoire, Kaonashi répand de l’or (du faux or, en fait), qu’il fabrique à volonté de ses mains, dévore et fait tout ce qu’il veut. Il prend alors la forme d’une araignée ou d’une tique, une figure déséquilibrée et inquiétante, avec un corps énorme et une toute petite tête.

© 2001 Studio Ghibli • NDDTM
Kaonashi © 2001 Studio Ghibli • NDDTM

Cette disharmonie dans les proportions de la tête et du corps semble symboliser le déséquilibre entre les désirs débordants et un esprit faible incapable de les contrôler. La scène où il dévore les grenouilles mais les recrache peut exprimer son incapacité à s’approprier réellement ses connaissances et ses expériences. À mon sens, le Kaonashi est en fait une expression de nous-mêmes.

(Photo de titre : © 2001 Studio Ghibli • NDDTM)

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Masaki AkiraArticles de l'auteur

Écrivain et chercheur en science des religions. Né à Odawara, dans la préfecture de Kanagawa en 1953. Il se spécialise dans les études religieuses dans le cadre d’un cours de doctorat à l’Université de Tsukuba. Auteur de nombreux ouvrages sur le bouddhisme ésotérique et d’autres religions qui visent à résoudre les problèmes auxquels est confrontée la société moderne par une revitalisation des sagesses traditionnelles.

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