
Les distributeurs automatiques, une particularité bien japonaise !
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À l’époque où « Guten Burger » était populaire
Nomura Makoto est un passionné de distributeurs automatiques, les jidô hanbaiki, terme souvent raccourci en jihanki. Cet intérêt s’est manifesté à l’âge de 17 ans : alors qu’il se rendait tous les jours au lycée à vélo de la ville de Sôka (préfecture de Saitama) à Tokyo, il passait devant une salle de jeux vidéo ouverte 24 h / 24, située le long de la route Kan-nana. Vue de l’extérieur, la salle ne donnait pas vraiment envie d’y entrer, mais un jour, poussé par la curiosité, il s’est décidé d’y mettre les pieds. Ce qui l’a tout de suite frappé, c’était le « coin repas », qui comportait plusieurs distributeurs automatiques proposant des toasts, hamburgers, soupe miso, râmen ou du kakigôri (glace pilée).
Stupéfait à la vue d’autant de variété, il a été pris d’un vif intérêt pour ces machines et c’est ainsi qu’il s’est mis à explorer l’univers des jihanki. Il aimait surtout partir à la recherche de distributeur de hamburgers. Les premiers modèles ont fait leur apparition à peu près au même moment où McDonald’s ouvrait son premier restaurant japonais dans le grand magasin Mitsukoshi à Ginza, en 1971. Vingt ans plus tard, quand M. Nomura était lycéen au début des années 90, on en trouvait un peu partout dans les rues.
« Les burgers n’étaient pas bons, ils étaient pleins d’eau », se souvient-il. Mais cela ne l’a pas démotivé dans ses recherches. Celui qui l’a le plus marqué était le Guten Burger, qui s’appelait Mac Burger au début des années 1970, mais une dispute judiciaire avec McDonald’s Japan l’a forcé à changer de nom. Jusqu’à la fin de sa production en 2002, Guten Burger était le plus célèbre des hamburgers de distributeur automatique au Japon.
Guten burger, le plus connu des hamburgers distributeurs automatiques
Un esprit de service typiquement nippon
C’est en 1998, à l’âge de 24 ans, que M. Nomura commence à écrire sur son blog consacré au jihanki. « J’ai entendu dire qu’il y avait beaucoup de vieux distributeurs automatiques à Isesaki, dans la préfecture de Gunma, alors je suis allé les voir. C’était en réalité une sorte de magasin sans personnel, appelé Yamada Shôten, où étaient alignés des dizaines distributeurs automatiques rétro. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé mon blog, que j’ai appelé « Yamada-ya » en l’honneur de ce lieu, avec pour idée de partager l’univers fascinant des jihanki. La fréquentation de mon blog a augmenté en 2002, car j’avais posté des articles sur Guten Burger et montré combien j’étais attristé d’apprendre que l’entreprise allait arrêter la production de leurs hamburgers. Yamada Shôten a aussi mis la clé sous la porte il y a de nombreuses années, mais je continue d’écrire sur mon blog sans interruption depuis plus de 20 ans. »
Nomura Makoto est le grand passionné japonais des distributeurs automatiques, et dans la vie de tous les jours, il est ingénieur système. Né en 1974, il habite dans la préfecture de Saitama.
Mais pourquoi aime-t-il tant les jihanki ?
« C’est le fait même d’acheter quelque chose dans un distributeur automatique qui est amusant. Je ressens un sentiment d’excitation à l’idée de voir quelque chose sortir de la machine. Bien sûr, il y a des fois où on est déçu. J’ai déjà eu des udon ou soba dans une soupe fade, ou encore des toasts carbonisés... De nos jours, on trouve plein de vidéos qui montrent l’intérieur des distributeurs automatiques, donc je comprends assez bien ce qu’il s’y passe, mais cela ne change rien au fait que je suis à chaque fois excité de voir ce qui va en sortir. »
Un plat de curry tout droit sorti d’un distributeur automatique dans la ville de Kashima, préfecture d’Ibaraki, en 2003.
Il explique qu’il aime aussi l’esprit de service propre au Japon, que l’on retrouve dans les distributeurs automatiques : « Par exemple, un même distributeur peut à la fois proposer des boissons chaudes et froides. Je me rappelle aussi d’un distributeur qui m’avait particulièrement impressionné à Kashima, dans la préfecture d’Ibaraki, qui faisait du riz au curry. La machine arrivait à sortir une assiette très bien présentée, et on pouvait aussi choisir le degré de piquant. Actuellement, aucun distributeur de riz au curry de ce type n’est en service. »
La maintenance, point crucial des distributeurs proposant des plats cuisinés
Pour la plupart des distributeurs automatiques anciens, tomber en passe est synonyme de mise à la casse. Selon Nomura, aucun modèle distribuant de la nourriture datant de l’ère Shôwa (1926 - 1989) n’est en production aujourd’hui. La seule exception est le fabricant Fuji Electric, aujourd’hui numéro un de l’industrie, mais même lui ne se concentre plus que sur les boissons. Et comme les fabricants ont cessé leurs services de maintenance, les distributeurs automatiques anciens toujours en activité le sont grâce aux efforts individuels des magasins qui les possèdent. S’ils tombent en panne, il faut soit se procurer les pièces détachées depuis d’autres distributeurs hors-service, soit trouver un moyen de les fabriquer soi-même.
Les jihanki peuvent être installés soit directement par les fabricants de boissons en passant un contrat avec le propriétaire d’un terrain, soit par les magasins, qui font les démarches eux-mêmes pour en posséder un. Dans ce dernier cas, c’est le magasin qui est responsable de la gestion du distributeur, de l’achat au réapprovisionnement des stocks en passant par le vidage de la poubelle. De plus, les distributeurs automatiques qui « cuisinent » avec un four à micro-ondes intégré sont légalement considérés comme des restaurants et doivent donc se conformer aux normes d’installation définies par la loi sur l’hygiène alimentaire.
« Si certains distributeurs automatiques existent toujours aujourd’hui, c’est grâce aux gros efforts de maintenance fournis par leurs propriétaires. Autrefois, il y avait des réparateurs indépendants, mais avec le vieillissement de la population, ils sont quasiment tous partis à la retraite. L’entretien des machines est la clé pour assurer la qualité et le bon goût des plats. Les udon, soba et hamburgers proposés par des jihanki entretenus avec une attention particulière sont souvent très bons. Il peut arriver que le goût varie entre deux modèles identiques de distributeurs qui ne sont pas entretenus de la même manière. »
Une résurrection des distributeurs rétro portée par des passionnés
Hanawa Norihiro, gérant d’une épicerie à Biei (Hokkaidô), rêve de ressusciter un type de jihanki qui a complètement disparu de toute l’île de Hokkaidô : les distributeurs de nouilles. C’est avec cet objectif qu’il a repris un vieux modèle Fuji Electric et obtenu les fonds nécessaires à son installation grâce à une campagne de financement participatif. Il prévoit de proposer des udon et soba aux tempura avant la fin de l’année 2021. C’est Saitô Tatsuhiro, patron de Chûko Taiya Shijô, une entreprise spécialisée dans les pneus et jantes de voiture d’occasion à Sagamihara (préfecture de Kanagawa), qui est s’est déplacé à Hokkaidô pour réparer le distributeur.
Lorsque l’on insère une pièce, les nouilles réfrigérées et les différents ingrédients à l’intérieur du distributeur sont disposés dans l’espace de cuisson. De l’eau chaude y est versée, puis les nouilles sont essorées à grande vitesse et le bouillon est ajouté. Durée totale de l’opération : 30 secondes (photo fournie par Hanawa Norihiro).
Pour Saitô, tout a commencé en 2016, quand il a installé sur le site de son entreprise un vieux distributeur automatique qu’il avait lui-même réparé. Il en possède désormais 95 en état de fonctionnement, faisant de ce lieu un véritable sanctuaire visité par les passionnés de jihanki vintage.
« À l’origine, j’aimais simplement collectionner les vieux distributeurs automatiques, qui avaient des décorations drôles et très colorées, explique-t-il. Au bout d’un moment, j’ai voulu les faire fonctionner et c’est comme ça que j’ai commencé à les réparer moi-même. Nous avons mis en place un coin avec des distributeurs automatiques dans notre entreprise pour permettre à nos clients de faire une pause en attendant que les pneus de leur voiture soient changés. Nous possédons actuellement la plupart des modèles connus qui étaient en service pendant l’ère Shôwa . »
Distributeur automatique Big Burger.
« Les hamburgers sont sous-traités à une entreprise alimentaire locale, mais pour ce qui est de la cuisson et du réapprovisionnement des nouilles, toasts et bentô, je m’en occupe avec les autres employés. Nous vérifions tous les jours le bon fonctionnement des distributeurs et effectuons au besoin des réparations. Nous avons maintenant plus de clients qui viennent pour les distributeurs que pour se faire échanger des pneus. On voit passer un bon millier de personnes tous les weekends. Beaucoup de familles aussi, les enfants adorent surtout les distributeurs de kakigôri. Nous avons aussi un distributeur d’omikuji (petits papiers prédisant la bonne fortune) qui attire toujours beaucoup de monde ».
Le rêve de Saitô est de voyager dans tout le pays et de réparer et remettre en service les distributeurs en panne : « Je pense qu’il existe encore beaucoup de vieux distributeurs automatiques qui pourraient fonctionner s’ils étaient réparés. Je voudrais en restaurer autant que possible pour qu’il puisse continuer de marcher. »
Le magasin de pneus d’occasion de Saitô Tatsuhiro, à Sagamihara (préfecture de Kanagawa), aujourd’hui un sanctuaire et lieu d’échanges pour les passionnés de jihanki.