Une plongée dans les bains publics de l’époque d’Edo

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Kobayashi Akira [Profil]

La tradition des bains publics au Japon date de l’époque d’Edo (1603-1868). À quoi ressemblaient-ils ? Existaient-ils des différences entre les régions ? Y avait-il de la mixité ? L’écrivain et dessinateur Kitagawa Morisada nous renseigne grâce à ces précieuses illustrations.

Des bains publics au prix fluctuant

Les premiers bains publics (sentô) sont apparus à Edo, l’ancienne Tokyo, en 1591. Selon le document Sozoro monogatari (« Contes qui viennent à l’esprit »), cet établissement aurait été ouvert par un certain Ise Yoichi dans ce qui est aujourd’hui devenu Ôtemachi, l’un des plus grands quartiers d’affaires de la capitale.

Autrefois, la chaleur et la vapeur des bains étaient telles qu’elles en devenaient suffocantes. Il était difficile de respirer ni même d’ouvrir les yeux à l’intérieur des établissements. Pourtant, ils ont vu leur fréquentation augmenter — peut-être parce que la température y a été ajustée — et sont devenus un élément à part entière de la vie citadine à l’époque d’Edo.

Dans les bains publics, on voyait parfois des panneaux représentant un arc et une flèche. On pouvait y lire yumi iru, qui signifie « tirer une flèche avec son arc », une expression proche à une syllabe près de yu ni iru, « entrer dans le bain ». Ces panneaux sont devenus de moins en moins fréquents vers la fin de l’époque d’Edo. Vers 1830, les petits rideaux en tissu bleu marine appelées noren (parfois visibles aussi à l’entrée des restaurants) où étaient inscrits les caractères pour « hommes », « femmes » et « bain » étaient devenus communes.

Généralement, l’entrée coûtait 10 mon pour un adulte (1 mon équivaut à 12 yens aujourd’hui). Cependant, à partir de 1841, le shogunat de l’époque fixe ce tarif à 8 mon pour les adultes, à 6 mon pour les enfants et à 4 mon pour les nourrissons. (Ces tarifs sont écrits sur l’illustration de titre de cet article.)

Le dessinateur et écrivain Kitagawa Morisada, qui est l’auteur de cette illustration, aimait à représenter les us et coutumes dans les villes au Japon au XIXe siècle. Doté d’un bon sens de l’observation, il remarque qu’une forte augmentation du prix du bois de chauffage vers 1862-1863 entraîne à son tour une augmentation du tarif d’entrée des bains publics, lequel revient à son prix initial de 12 mon.

À cette époque, de nombreux biens de consommation deviennent plus chers en raison de l’ouverture du pays par le commodore américain Matthew Perry. Le déclin du shogunat est également marqué par des événements tragiques comme l’assassinat, le 24 mars 1860, de Ii Naosuke, l’un des grands hommes du gouvernement (tairô), et celui d’un marchand britannique, le 14 septembre 1862, par des samourais du domaine de Satsuma (aujourd’hui préfecture de Kagoshima). L’événement est maintenant connu sous le nom d’incident de Namamugi.

En 1865, les tarifs augmentent de plus belle pour atteindre 16 mon, puis 24 mon l’année suivante, alors que l’instabilité politique ne fait qu’exacerber la fluctuation des prix. C’est de cette époque que datent les chroniques de Kitagawa Morisada.

À quoi ressemblait un bain public d’Edo ?

Parmi les croquis de Morisada figure ce plan d’un établissement de bains publics de la capitale Edo.

Plan d'un établissement de bains de la capitale Edo : (1) le doma, un espace d'entrée sur un sol de terre battue, (2) l’emplacement pour le personnel responsable de l’établissement de bains publics, (3) un endroit pour se changer, (4) un endroit pour la toilette, (5) les zakuroguchi, les entrées des bains et (6) les bains. Extrait de Morisada mankô (« Manuscrit Morisada ») (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Plan d’un établissement de bains de la capitale Edo : (1) le doma, un espace d’entrée sur un sol de terre battue, (2) l’emplacement pour le personnel responsable de l’établissement de bains publics, (3) un endroit pour se changer, (4) un endroit pour la toilette, (5) les zakuroguchi, les entrées des bains et (6) les bains. Extrait de Morisada mankô, « le Manuscrit Morisada » (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Au-delà de l’emplacement pour le personnel responsable de l’établissement, le bain est divisé entre une zone pour les hommes à gauche et une zone pour les femmes à droite. La disposition des vestiaires et des douches n’a guère changé depuis cette époque.

Ce qui est différent, c’est le zakuroguchi, espace situé entre l’endroit pour la toilette et les bains en eux-mêmes. Dans le dictionnaire japonais, les zakuroguchi sont définis comme des entrées des bains publics de l’époque Edo. Les plafonds y étaient particulièrement bas, si bien que les clients devaient se baisser pour les franchir. De cette façon, les bains donnaient plus l’impression d’être des pièces séparées de l’endroit où chacun faisait sa toilette avant d’entrer dans le bain.

Dans ses œuvres, Morisada documente les différences entre les entrées des établissements d’Osaka avec ceux de la capitale Edo.

Une entrée zakuroguchi à Osaka (à gauche) et à Edo (à droite). Extrait du Morisada mankô (« Manuscrit Morisada ») (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Une entrée zakuroguchi à Osaka (à gauche) et à Edo (à droite). Extrait de Morisada mankô, « le Manuscrit Morisada » (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Les premiers bains publics sont apparus dans l’ouest du Japon, si bien que les zakuroguchi d’Osaka sont les premiers dans l’ordre chronologique, d’un style plutôt riche, chargé de pignons de couleur vermillon et de sculptures de fleurs. Les entrées dans la capitale Edo sont plus sobres et rappellent le portique torii d’un sanctuaire shintô.

On y aperçoit également une image au-dessus avec un paysage et des gens. Toutefois, les détails sont difficiles à distinguer. Aujourd’hui, le mont Fuji est souvent représenté dans les sentô mais ce ne serait le cas que depuis le début du XXe siècle. Pour preuve, Morisada ne mentionne pas une seule fois l’existence de représentation de la montagne sacrée du Japon dans ses œuvres. 

L’ouvrage Kengu irigomi sentô shinwa (« Sagesse et folie mêlées dans de nouveaux contes de bains ») écrit en 1802 par Santô Kyôden, qui est né environ 50 ans avant Morisada, comporte également des représentations à l’intérieur des bains publics d’Edo.


Partie des bains réservée aux hommes (image extraite de l’ouvrage Kengu irigomi sentô shinwa (« Sagesse et folie mêlées dans de nouveaux contes de bains » de Santô Kyôden. L'image au-dessus représente un zakuroguchi, tandis que celle du bas fait face à la zone réservée au bain, avec un seau visible dans l’endroit réservé à la toilette (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Partie des bains réservée aux hommes (image extraite de l’ouvrage Kengu irigomi sentô shinwa, « Sagesse et folie mêlées dans de nouveaux contes de bains » de Santô Kyôden). L’image au-dessus représente un zakuroguchi, tandis que celle du bas fait face à la zone réservée au bain, avec un seau visible dans l’endroit réservé à la toilette (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Notez la présence des pignons de style occidental sur le zakuroguchi ; ils sont la preuve que ce style était encore commun à Edo au début du XIXe siècle. Un demi-siècle plus tard, les pignons ont laissé place aux portiques torii.

Quoi qu’il en soit, la zone de bain était basse de plafond, exiguë et sombre, très différente des sentô spacieux, ouverts et lumineux d’aujourd’hui. Toutefois, les Japonais, de classes aisées ou non, aimaient à venir s’y prélasser.

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Kobayashi AkiraArticles de l'auteur

Né en 1964 à Tokyo. Après avoir travaillé comme éditeur dans une maison d’édition, il devient indépendant en 2011. Il dirige actuellement Diranadachi, un bureau de production éditoriale, où il mène des projets de magazines de voyages ou d’histoire, des mooks, et écrit lui-même des articles.

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