Au secours des enfants de la minorité aïnoue : Etekekampa, une association pleine d’espoir
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Tout a commencé lorsqu’en juin 1990, l’association Etekekampa a ouvert une école de soutien scolaire privée à Obihiro, sur l’île de Hokkaidô (nord du Japon), pour venir en aide aux jeunes de la communauté aïnoue de la région. « Lorsque nous avons évoqué pour la première fois la création de notre établissement, la communauté locale n’était guère optimiste, se demandant bien à quoi nous pourrions parvenir en nous réunissant de la sorte », se souvient Kimura Masae, 72 ans, présidente de l’organisation. « Mais peu à peu, notre initiative a attiré de plus en plus d’enfants, même ceux qui n’étaient pas scolarisés. »
En langue aïnoue, « etekekampa » signifie « donnons-nous la main ». Mais la plupart des élèves et des membres de l’école l’appellent affectueusement « Eteke ». En 2020, l’organisme a fêté son trentième anniversaire en recevant le prix de la promotion culturelle aïnoue de la Fondation pour la culture aïnoue.
Une école qui se développe avec fierté
En 1986, une étude gouvernementale portant sur les conditions de vie des Aïnous à Hokkaidô a mis en lumière les difficultés auxquelles est confrontée la communauté en matière d’éducation. Selon cette étude de 1986, seuls 8 % des jeunes poursuivaient des études supérieures, soit environ 19 points de pourcentage de moins que la moyenne régionale. Ils faisaient par ailleurs souvent l’objet de discrimination à l’école et dans la société en général. Pour la présidente d’Eteke et pour d’autres, il était clair que les enfants avaient besoin d’un environnement plus sûr pour étudier.
L’association Eteke se réunit chaque jeudi au Obihiro Seikatsu-kan, un centre communautaire financé par le gouvernement préfectoral, qui soutient les activités culturelles et sociales en lien avec la communauté aïnoue. Des bénévoles de divers horizons assurent les cours, notamment des enseignants, des étudiants et même des moines bouddhistes. Eteke organise également tout au long de l’année des événements réguliers pour les enfants et leurs familles, tels que des campings, des journées sportives, des excursions, des fêtes de Noël et des événements marquant des étapes importantes de la scolarité, comme le début de la nouvelle année scolaire et la remise des diplômes. Ces activités sont financées par des donations. Pour l’heure, Eteke a ainsi pu subvenir gratuitement aux besoins de près de 300 étudiants, leur fournissant un lieu d’étude et de rencontre.
Au départ, Eteke cherchait surtout à venir en aide aux familles monoparentales et aux élèves absentéistes. Mais l’association accepte désormais tous les enfants de la communauté aïnoue. Kimura Masae explique que le recrutement s’est fait en grande partie grâce au bouche à oreille. « Il n’y a rien de plus encourageant que de voir des enfants dire eux-mêmes à leurs amis de venir à Eteke », dit-elle.
Expérimenter la discrimination : « Et là, j’ai pleuré »
Kimura Masae est née en 1949 à Nakagawa, un quartier de la ville d’Ikeda, près d’Obihiro. Ce petit village ne comptait pas plus de 30 foyers, dont des familles de membres de la communauté aïnoue. Masae se souvient même avoir vu lorsqu’elle était enfant des femmes âgées arborer des tatouages traditionnels sinuye sur la bouche, de plus en plus rares aujourd’hui. En 1958, à l’âge de 33 ans, sa mère a succombé à une tuberculose qui a évolué vers un cancer du poumon. Sa fille, Masae, a 9 ans et ses deux frères et sœurs, 7 et 4 ans.
Masae se souvient de ces moments où elle accompagnait sa mère à l’hôpital. Elle ne savait alors pas que son éducation et même sa santé allaient en pâtir lourdement. « J’ai contracté une péritonite et j’ai dû rester à l’hôpital pendant environ 18 mois », raconte-t-elle. « J’ai fini par manquer deux années d’école primaire, ce qui signifie que je n’ai pas pu apprendre des choses importantes comme les fractions et l’alphabet romain. »
Dans les années 1950 et 1960, pendant sa scolarité, la discrimination à l’égard des Aïnous, c’était son quotidien. Les insultes pleuvaient et leurs auteurs étaient rarement inquiétés. Elle raconte notamment que pendant sa première année au collège, un garçon la harcelait simplement du fait de son appartenance à la communauté aïnoue. Elle ne s’est pas laissé faire et lui a cassé une chaise sur la tête. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de ne plus aller à l’école. J’ai quitté mon école sans même en informer mon professeur », confie-t-elle. « J’étais tellement malheureuse que sur le chemin du retour. Je me suis assise dans l’herbe pour chercher des trèfles à quatre feuilles. Et là, j’ai pleuré. »
Peu de temps après, c’est son père qui est parti. Avec son frère et sa sœur, ils habiteront chez une tante paternelle. Pour un court moment seulement, puisqu’ils seront rapidement placés dans un orphelinat à Obihiro. Après quoi, Masae, alors en deuxième année de collège, commence à avoir une scolarité plus régulière. Mais son retard scolaire se fait néanmoins sentir. « J’étais complètement perdue en cours d’anglais », explique-t-elle. « Heureusement, mon ami a eu la gentillesse de m’apprendre l’alphabet après les cours. »
Masae a arrêté l’école après le collège et a cherché un travail. N’ayant pas d’appartement à elle, elle vivait dans un logement fourni par son employeur. Maintenant qu’elle y repense, la discrimination et la pauvreté l’ont privée de la simple joie d’assimiler des connaissances. Mais c’est cette même tristesse qui a nourri son esprit de persévérance avec Eteke.
Trois amis de la communauté aïnoue
Pour les enfants aïnous, Eteke, c’est un environnement sain et sûr où ils peuvent apprendre et jouer avec leurs camarades en dehors de l’école, où un grand nombre d’entre eux affrontent le harcèlement quotidien de leurs camarades non aïnous.
Sakai Mari a une femme au foyer de 39 ans, vivant à Obihiro. Elle confie avoir fréquenté Eteke pour la première fois en 1991, un an après la création de l’association. « J’étais au collège quand une amie m’a invitée à venir », se souvient-elle. « Avec mes frères et sœurs, on ne jouait jamais avec des amis à l’extérieur, alors mes parents étaient très heureux que je me rende chaque semaine dans cette école. »
Son mari Sakai Manabu, qui est mécanicien, a lui aussi passé sa scolarité à Eteke. C’est sa mère qui a insisté pour qu’il rejoigne l’établissement en 1993, alors qu’il était en première année de lycée. « J’étais un élève turbulant à l’école et les études, ce n’était pas mon fort », dit-il. « J’avais beaucoup de mal en calcul. Je ne savais pas faire de divisions et je m’en sortais à peine avec les multiplications. C’est ma mère qui m’a encouragé à rejoindre Eteke pour que je réussisse mes années de lycée. »
Arata Yûki a 35 ans. Lui aussi a fréquenté Eteke en 1992, alors qu’il était en première année d’école primaire. Il habite maintenant à Shiraoi et travaille au Musée et Parc national aïnou Upopoy, qui a ouvert ses portes en 2020.
Il se souvient encore de l’impatience qu’il ressentait chaque semaine à l’idée d’aller à Eteke, là où il pouvait se faire de nouveaux amis et jouer avec d’autres enfants de son âge, aïnous comme lui. « Officiellement, je n’y suis allé que jusqu’à la fin de l’école primaire », raconte-t-il. « Mais jusqu’à la fin de mes années lycée, j’y passais de temps en temps avec mes copains. » Même s’il y allait essentiellement pour aller fumer dans le parc derrière le centre, il admet que « c’était quand même toujours très agréable de passer du temps là-bas. »
À l’époque, Mari, Manabu et Yûki vivaient tous les trois dans un complexe de logements sociaux du quartir d’Ôzora, à Obihiro.
La réalité des « appartements aïnous »
Le complexe de logements sociaux d’Ôzora est composé de rangées de bâtiments bas, tous semblables les uns aux autres. Construits en 1970, ces bâtiments devaient accueillir la population toujours plus nombreuse de la ville d’Obihiro. Situés à environ huit kilomètres au sud-ouest du centre-ville, ils accueillent actuellement pas moins de 10 000 résidents. Encore aujourd’hui, parmi eux, de nombreux Aïnous qui y ont emménagé peu après son ouverture.
Sasamura Jirô a plus de 80 ans. De 1971 à 2018, il a présidé la branche d’Obihiro de l’association aïnoue, sur l’île de Hokkaidô. Il sait absolument tout sur la communauté aïnoue locale. Ses trois arrière-petits-enfants sont eux aussi scolarisés à Eteke. Il raconte qu’avant d’être relogés dans le complexe d’Ôzora, la plupart des résidents aïnous vivaient dans des kotan (hameaux) situés dans la banlieue d’Obihiro. Les conditions de vie dans les « appartements aïnous », comme on les appelait à l’époque, étaient loin d’être idéales.
« Forcer les Aïnous à habiter dans ces logements était déjà une mauvaise chose, dit-il, mais ils n’avaient même pas de salle de bain. » Il explique que pour les membres de la communauté non aïnoue, typiquement, les appartements étaient en bois, comportaient deux étages et avaient une salle de bain au rez-de-chaussée. « La discrimination à l’égard de la communauté aïnoue était flagrante. Certes, nous pouvions utiliser le bain public (sentô), mais les Aïnous sont très pudiques. »
Kimura Masae a elle aussi habité dans le complexe d’Ôzora. Jusqu’à son mariage, elle a travaillé comme gouvernante. Ensuite, elle est devenue cuisinière dans des dortoirs pour ouvriers du bâtiment, dans différents quartiers de Hokkaidô. Peu après la fin des travaux d’aménagement du complexe d’Ôzora, Masae, qui était enceinte et s’occupait de ses enfants en bas âge, y a emménagé avec sa famille.
« Le jour de notre déménagement, nous avons pris le bus », raconte-t-elle. « Cela a pris une éternité, et je me suis demandé pourquoi nous étions obligés de déménager si loin. »
Mais il y avait quand même de bonnes choses. « C’était neuf et propre, il avait des toilettes et l’eau courante, mais il n’y avait pas de salle de bain. Il y avait bien un bain public pas très loin de notre appartement, mais je n’aimais vraiment pas y aller. Il y avait beaucoup de gens qui se moquaient de nous. »
Arata Yûki raconte que lorsqu’il vivait au complexe d’Ôzora, les appartements avaient une mauvaise réputation. « Quand j’étais jeune, les résidents étaient soit des Aïnous, soit de mauvaises fréquentations », se souvient-il. « Beaucoup de gens, qu’ils appartiennent ou non à la communauté aïnoue, étaient nés du mauvais côté de la barrière. Le lotissement d’Ôzora était apparemment le premier endroit d’Obihiro à être raccordé au tout-à-l’égout. C’est pour cela que le complexe d’appartements était entouré de maisons modernes. À l’école, les enfants de la communauté aïnoue comme moi étaient sans cesse harcelés. Pendant toute notre enfance, nous avions juste le choix entre nous laisser faire ou apprendre à nous défendre. »
Mari, Manabu et Yûki sont toujours en contact avec Masae. « Elle parle toujours beaucoup, ironise Yûki, mais elle dit toujours la vérité. » Masae, elle aussi, est nostalgique de ces anciens élèves. En plongeant dans ses souvenirs, elle constate que beaucoup de choses ont changé. « Les enfants étaient mal éduqués dans le passé, ils avaient de mauvaises manières. Tous n’étaient pas voués à brillant avenir. Cela ne veut pas dire qu’ils étaient foncièrement mauvais. Oh ça non, ils étaient tous adorables. »
(Photo de titre : des écoliers de primaire avec leur tuteur, un étudiant de l’Université d’Agriculture et de Médecine vétérinaire d’Obihiro. Toutes les photos sont d’Ikeda Hiroshi)
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