Exploration de l’histoire japonaise

L’identité du prince Shôtoku, la plus importante figure politique et culturelle de l’ancien Japon

Histoire Culture

Tono Haruyuki [Profil]

L’année 2021 marque le 1 400e anniversaire de la mort du prince Shôtoku, dont le portrait sur les anciens billets de 10 000 yens et dans les manuels d’histoire est encore aujourd’hui familière à tous. Pourquoi cette vénération de tout le peuple japonais depuis plus d’un millénaire ? Explorons les réalisations exceptionnelles ce personnage, dont beaucoup sont passées dans la culture générale mais restent en fait méconnues, et les détails fascinants de sa vie.

Une preuve fascinante trouvée dans la statue de Bouddha

Toutefois, si on laisse de côté la question des titres de « prince héritier » et de « régent », l’examen des documents peut éveiller des soupçons, mais non conduire à des preuves indiscutables. Bien évidemment, il est très difficile de produire une preuve factuelle concernant un événement vieux de 1 400 ans, mais il se trouve que parmi les très nombreux artéfacts qui nous sont parvenus du prince Shôtoku, je me suis aperçu qu’une telle preuve factuelle existe belle et bien. Il s’agit d’une inscription sur l’auréole des trois bouddhas, la statue de la divinité principale du Hall d’or du Hôryû-ji.

Au dos de cette statue du Bouddha Shakyamuni (le Bouddha historique), faite de cuivre recouvert d’or, figure une inscription qui comporte 196 caractères chinois, répartis dans un carré parfait de 14 x 14 caractères. Le texte explique que la statue a été réalisée pour la mère du prince héritier, le prince héritier lui-même et son épouse, qui étaient tous trois décédés successivement entre 621 et 622. Le prince est décédé le 22 du 2e mois de 622, et l’on a énormément glosé sur le fait que le prince y est appelé Hôô. Certains y voient la preuve que cette statue serait en fait plus tardive.

Le document n’a donc en soit rien de nouveau, mais je voudrais attirer l’attention sur le fait que l’inscription de 14 x 14 caractères est inscrite dans un espace aménagé à l’arrière de l’auréole, plus grand que le texte ne l’exige, et donc contemporain de la fabrication de l’auréole elle-même, avant que le texte ne soit gravé. On remarque également quelques points d’or qui proviennent du processus de dorure employé. Ces éléments parlent indubitablement en faveur d’une gravure concomitante à la réalisation de la statue elle-même. Certes, ce n’est pas encore une preuve absolue, et il est toujours possible de soupçonner que la gravure date d’une période ultérieure. Néanmoins, dans ce cas, l’approche immédiate apporte un facteur décisif.

Le fait le plus important qui se déduit de l’inscription est qu’à l’époque de sa mort le prince était surnommé hôô, c’est-à-dire « roi du Dharma ». L’appellation était assez usuelle pour désigner le prince, mais dans d’autres documents, le mot est généralement écrit avec un autre caractère, tous deux se lisant au VIIe siècle kimi ou miko, et d’usage totalement interchangeable. « Roi du dharma », avec ce caractère précisément, cela ne peut que désigner un fils d’empereur possédant une connaissance profonde de la doctrine bouddhique. On dit que le prince Shôtoku délivrait des conférences sur l’enseignement du bouddhisme, commentait les sutras et a fondé de nombreux temples. Mais jusque-là, les sceptiques étaient nombreux quant à la fiabilité de telles allégations.

Le fait que le prince soit désigné dans ce texte comme hôô ne signifie pas en soi que la légende soit vraie, mais il est tout au moins certain que le prince Shôtoku était un intellectuel doté d’une connaissance profonde et d’une compréhension puissante du bouddhisme. Combinée avec la « glose sur le Sutra du Lotus », un texte du prince Shôtoku qui nous est parvenu, sa véritable personnalité nous apparaît enfin : dans la Constitution en 17 articles, avant l’injonction qui fait du respect des ordres de l’empereur la doctrine centrale de l’État, une clause encourage la foi bouddhiste. Et celle-là est indéniablement l’œuvre du prince Shôtoku.

Un intellectuel engagé dans la réalisation d’une société civilisée

Ce que je voudrais souligner ici, néanmoins, c’est que le prince Shôtoku a eu une influence majeure sur le développement de la civilisation du Japon de la période Asuka. À cette époque, le bouddhisme fut une puissante force de civilisation et de culture, bien supérieure à celle qui lui est reconnue généralement. Une ère japonaise (nengô) fut même nommée Hôkô (Prospérité du Dharma). Bien qu’un ardent bouddhiste, lui-même ne fut jamais ordonné bonze, mais en tant qu’homme d’état de la famille impériale, il s’est efforcé d’enraciner le bouddhisme dans la société japonaise.

Outre le sutra du Lotus, principal texte sacré de la doctrine bouddhiste, le prince Shôtoku a commenté et annoté deux autres textes fondamentaux du bouddhisme, le Vimalakîrti Sûtra et le Śrîmâlâdevî Siṃhanâda Sûtra, qui tous deux parlent du rôle qu’ont à jouer les bouddhistes laïques et les femmes des maisons royales. En choisissant et en favorisant le bouddhisme parmi les différentes cultures du continent, le prince Shôtoku a envisagé d’unifier le pouvoir central, dans un pays fragilisé par les luttes de pouvoir entre les familles les plus puissantes, et civilisé la société. Si les documents historiques qui nous sont parvenus laissent planer un doute sur le rôle politique effectif du prince Shôtoku, celui-ci nous apparaît comme un savant et un intellectuel qui a travaillé avec acharnement pour mettre en œuvre sa cette ligne politique, avec le soutien de l’impératrice Suiko et de Soga-no-Umako.

Et physiquement, à quoi ressemblait le prince Shôtoku ? Le portrait qui figurait sur les anciens billets de 10 000 yens (les billets à la plus haute valeur) et que connaissent tous les Japonais n’est vraisemblablement pas le sien, mais serait le portrait d’un noble de la période Nara. Mais si la figure centrale du triptyque du temple Hôryû-ji dont nous parlions précédemment, représente en principe le Bouddha Shakyamuni, cette figure est de la taille exacte du prince Shôtoku... Le visage en est stylisé conformément aux règles de la statuaire bouddhiste, mais elle aurait été réalisée sur les traits du prince Shôtoku. La taille du prince Shôtoku, calculée à partir de la taille de son siège, aurait été de 165 cm. Une grande taille pour l’époque.

(Photo de titre : le portrait qui a servi à graver celui du prince Shôtoku sur les anciens billets de 10 000 yens. Jiji Press)

Tags

temple bouddhisme histoire Nara maison impériale personnalité

Tono HaruyukiArticles de l'auteur

Professeur émérite de l’université de Nara et de l’université d’Osaka. Né dans la préfecture de Hyôgo en 1946. Diplômé de la Faculté de lettres de l’Université de la ville d’Osaka et docteur es Lettres de l’Université de Tokyo. Historien, spécialisé dans l’histoire et les archives du Japon ancien. Décoré de l’Ordre du Trésor sacré et de la médaille au ruban pourpre. Parmi ses nombreuses publications, citons « Le prince Shôtoku : à la recherche de sa véritable identité » (Shôtoku taishi : hontou no sugata wo motomete).

Autres articles de ce dossier