La culture pop nippone se mondialise
Hatsune Miku, la diva virtuelle qui révolutionne la musique pop japonaise
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Une nouvelle vague d’artistes issus de la scène Vocaloid
La scène musicale pop japonaise (J-pop) est aujourd’hui prise d’assaut par des « Vocalo P », un terme qui désigne des producteurs musicaux utilisant un logiciel de synthèse vocale, Vocaloid, pour composer leurs chansons et les poster sur Internet. Longtemps un phénomène assez restreint, ces chansons occupent désormais le sommet du hit-parade au Japon.
L’un des représentants de ce style est l’auteur-compositeur-interprète Yonezu Kenshi. Son dernier album Stray Sheep, sorti en août 2020, s’est hissé à la première place du palmarès annuel des albums de Billboard Japan. Avant qu’il sorte des chansons sous son vrai nom et sa propre voix et qu’il devienne l’un des plus célèbres musiciens japonais, Yonezu Kenshi était un Vocalo P, connu sous le nom de scène Hachi et postait ses compositions sur la toile.
Le duo YOASOBI, en pleine ascension, est aussi un utilisateur de Vocaloid. Leur première chanson Yoru ni Kakeru, sortie le 19 décembre 2019 a atteint la première place annuelle de Billboard Japan, propulsant le groupe dans le cercle des artistes en vogue au Japon. YOASOBI est composé de Ayase, Vocalo P, et de la chanteuse Ikura. On trouve dans la scène Vocaloid d’autres artistes au succès grandissant tels que Yorushika, Eve ou Suda Keina.
Pourquoi ces artistes connaissent-ils un succès aussi fulgurant sur la scène musicale japonaise ? Revenons sur les débuts et les changements provoqués par ce nouveau mouvement culturel né sur Internet au début du XXIe siècle.
Hatsune Miku, ou la liberté de produire de la musique soi-même
Tout a commencé le 31 août 2007, date de sortie du logiciel à l’origine de cette nouvelle tendance musicale : Hatsune Miku.
Développé par la société Crypton Future Media sur la base de la technologie de synthèse vocale « Vocaloid 2 » de Yamaha, Hatsune Miku connaît un succès immédiat. Ce logiciel de création sonore produit une voix artificielle pouvant chanter n’importe quelle mélodie et paroles. Les premiers à se saisir de ce nouveau programme étaient les musiciens composant des chansons chez eux sur leur ordinateur et les publiant sur Internet.
Jusque-là, le seul moyen pour créer et sortir des chansons pop était d’enregistrer un chanteur ou de chanter soi-même. Même avant Hatsune Miku, il existait des logiciels utilisant la technologie Vocaloid et qui ciblaient ce genre de musiciens.
Mais ce qui a fait l’originalité de Hatsune Miku, c’est que le logiciel était incarné par un personnage. De plus, sa voix, basée sur celle de l’actrice vocale Fujita Saki, était si naturelle et agréable à l’oreille qu’elle surpassait toutes les voix synthétiques de l’époque.
Hatsune Miku a stimulé l’élan créateur de nombreux musiciens car au-delà d’être un simple logiciel de production musicale, c’était un moyen pour n’importe qui de produire sa propre musique. La possibilité de manipuler librement le personnage a aussi contribué à son succès. Au moment de la sortie de Hatsune Miku, sa présentation était relativement simple : une illustration sur l’emballage d’une adolescente aux longues couettes vertes accompagnée de ces informations : « Âgée de 16 ans, mesure 1 m 58 et pèse 42 kg. Ses styles de prédilections : Idol pop et Dance pop ». N’importe qui pouvait changer ses vêtements et sa personnalité et lui faire chanter ses propres chansons.
Un cercle vertueux de créations musicales grâce à la « Diva numérique »
Le succès retentissant de Hatsune Miku dépasse la sphère de la musique pour atteindre des créateurs de styles variés, notamment des illustrateurs, qui publient sur Internet de nombreuses représentations artistiques du personnage.
La plupart des compositeurs se servant de Hatsune Miku publient leurs chansons sur des sites de streaming tels que Niconico et YouTube, inspirant des artistes à créer des illustrations, qui à leur tour inspirent des animateurs à créer des clips vidéo. Parfois, d’autres compositeurs font des reprises ou reprennent la version originale en proposant une nouvelle chorégraphie. On peut même trouver des romans écrits à partir des paroles de ces chansons. C’est ainsi que s’est développée une chaîne créatrice puisant son énergie dans la collaboration, les reprises et les remix (version revisitée d’un morceau).
Crypton Future Media a joué un rôle important dans la promotion et la diffusion de ses œuvres secondaires. Grâce à un système de licence similaire aux logiciels open source, ses personnages peuvent être librement utilisés par des particuliers pour un usage non lucratif, sans qu’elles aient à se soucier des droits d’auteur. L’entreprise a également mis en place Piapro, une plateforme en ligne permettant aux utilisateurs de poster leurs œuvres et d’échanger entre eux.
Lors de sa sortie, Hatsune Miku était souvent qualifiée de « Diva numérique », mais il faut préciser que ce n’est pas en tant que personnage d’anime qu’elle a connu le succès. Ce qu’on trouve au cœur de ce mouvement, c’est un phénomène culturel complètement nouveau porté par des artistes et créateurs s’inspirant mutuellement sur Internet.
C’est ainsi que les auditeurs ont commencé à prêter attention non seulement au personnage de Hatsune Miku, mais aussi aux musiciens derrière les chansons. La chanson Meruto, sortie en décembre 2007, en est l’un des premiers exemples. Publiée par l’artiste Ryo (Supercell), la chanson a eu un impact énorme sur les auditeurs de l’époque et a été jouée plus de 3 millions de fois en un an.
Outre l’original, les reprises chantées par d’autres utilisateurs gagnent alors en popularité, à tel point qu’à un moment le haut du classement des vidéos les plus visionnées de Niconico était uniquement constitué de Meruto et de reprises. Avec ce titre, Ryo (Supercell) s’est démarqué des premiers morceaux qui étaient surtout centrés sur le personnage de Hatsune Miku, tels que MikuMiku ni Shite Ageru et Koisuru Voc@ loid, en créant une chanson pop qui aurait pu être chantée par n’importe quelle idole japonaise.
Ses débuts avec une grande maison de disques en 2008 ont été le fruit de l’activité de ce nouveau mouvement, rapidement suivis par une variété de nouveaux artistes en 2009 et 2010 se faisant connaître sur Niconico, tels que Yonezu Kenshi, qui travaillait alors sous le nom de Hachi, et Wowaka, du groupe de rock Hitorie.
L’avènement des « enfants du Vocaloid »
Au cours des années 2010, cette tendance musicale continue de s’étendre, grâce notamment à Tell Your World de Livetune, un groupe dont fait partie KZ, un Vocaloid P produisant des morceaux depuis les premiers temps du mouvement. Initialement écrite pour une campagne publicitaire de Google Chrome, la chanson, sortie en mars 2012 et créditée « Livetune feat. Hatsune Miku », a pour thème le phénomène culturel créé par Hatsune Miku.
Hatsune Miku est synonyme de nouvelles possibilités : créer et collaborer au-delà des frontières régionales ou nationales grâce aux technologies numériques, s’exprimer et se mesurer aux autres artistes même en étant un inconnu, ou se faire connaître du monde entier depuis son ordinateur. Toutes ces nouvelles opportunités sont le résultat de la « révolution musicale » déclenchée par Hatsune Miku.
Hatsune Miku n’a pas été un succès éphémère car elle a été soutenue par un mouvement musical composé de nombreux créateurs. Aujourd’hui, le style a atteint une nouvelle génération, dont la première expérience de musique pop est du Vocaloid et non pas des chanteurs réels, soutenant la montée en puissance d’une nouvelle génération, celles des « enfants du Vocaloid ». Bien établie comme nouvelle forme unique de culture musicale japonaise, la scène Vocaloid devrait continuer de produire beaucoup de nouveaux artistiques doués dans les années à venir.
(Photo de titre : © Crypton Future Media, INC)