Comprendre la réussite de Taïwan face au coronavirus : une expérience vécue de l’intérieur
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Seulement 1 000 cas d’infections à Taïwan en un peu plus d’an
Je suis arrivé au Japon en février 2020, non sans un certain sentiment d’appréhension. À cette époque, le Covid-19, venu de Chine, commençait à se propager dans le reste du monde. Un grand nombre de passagers de l’avion en provenance de Taïwan portaient des masques, mais dans le monorail qui relie l’aéroport de Haneda au centre de Tokyo, seule la moitié environ des personnes que j’ai croisées en portaient un. Dans la capitale nippone, les mesures prises pour contenir le virus ne semblaient pas très strictes...
Après le premier cas de contamination confirmé au Japon le 16 janvier 2020, nous voici à près de 500 000 cas (début avril 2021). À Taïwan, la première infection a été signalée quelques jours plus tard, le 21 janvier. Cependant, contrairement au Japon où le nombre de cas ne cesse d’augmenter, à Taïwan, le nombre vient tout juste de dépasser les 1 000 (début avril 2021).
À mesure que mon année à Tokyo avançait, je sentais que la capitale perdait peu à peu de son dynamisme. Elle n’était plus la ville grouillante de monde que je connaissais. Ne pas pouvoir profiter des nombreuses festivals de saison au Japon, ça aussi, c’était triste.
Les événements liés aux sakura (cerisiers en fleur) au printemps, aux feux d’artifice en été, aux kôyô (feuilles rouges) en automne et au Noël et au Nouvel An en hiver ont été soit annulés, soit organisés avec des participants en nombre très réduit. De nombreuses familles n’ont pas pu se retrouver pour partager un moment ensemble pendant la période de la fin d’année et de nouvel an.
J’ai eu l’occasion de retourner à Taïwan, mon pays natal (entre mi-janvier et mi-février). Je devais y faire des interviews pour un article. Beaucoup ont fait l’éloge du pays pour avoir réussi à contenir le virus. Mais qu’en est-il de sa propagation? Je vais vous raconter ma propre expérience.
Tout commence avant même de prendre l’avion
Des mesures de lutte contre la propagation du virus étaient en place avant même que nous ayons pris place dans l’avion pour Taïwan. Je sentais que le gouvernement de Taipei entend faire tout, absolument tout, pour repousser le coronavirus avant même qu’il n’atteigne les côtes du pays. Avant notre départ de l’aéroport de Narita, on nous a demandé de nous inscrire dans le cadre d’un système de contrôle aux frontières, mis en place par les Centres taïwanais pour le contrôle des maladies (CDC), une agence du ministère taïwanais de la Santé et du Bien-être. Après confirmation de mon nom et de mon numéro de vol, j’ai reçu un message texte du CDC de Taïwan autorisant mon entrée. C’est avec ce message que s’est terminée la procédure d’enregistrement à la réception de l’aéroport.
À notre arrivée au pays, avant de passer la douane, on nous a demandé de présenter notre autorisation du CDC de Taïwan. À ce moment-là, un inspecteur de la quarantaine a vérifié chacune de nos pièces d’identité et nous a expliqué que nous devions impérativement observer une période de quarantaine de 14 jours, précisant par ailleurs la date de fin de la quarantaine et les frais élevés encourus à quiconque ne se plierait pas aux consignes. Ils n’allaient pas nous laisser dire que nous n’étions pas prévenus !
Ensuite, nous avons enfin pu récupérer nos bagages et quitter l’aéroport. J’ai remarqué que mon sac était un peu humide. Il avait probablement été aspergé de désinfectant. Ensuite, j’ai rejoint une file d’attente, déjà plutôt longue, réservée aux taxis spéciaux approuvés par le gouvernement. Il nous était interdit d’utiliser les transports en commun.
Taxi obligatoire !
Pour pouvoir monter dans un de ces taxis spéciaux, vous devez présenter un formulaire avec votre adresse à la compagnie de taxi. Un trajet coûte 1 000 NT$ (soit environ 28 euros). Il s’agit d’une somme forfaitaire qui s’applique à n’importe quel endroit de la ville de Taipei. Tout montant excédant est pris en charge par le gouvernement taïwanais sous forme de subvention pour le chauffeur de taxi.
Une fois votre tour arrivé, le chauffeur appelle à haute voix votre nom et votre destination, un peu comme si vous attendiez d’être affecté à un régiment lorsque vous faites votre service militaire.
Le chauffeur de taxi n’a pas dit pas un mot et n’a même pas souri une seule fois. En fait, toute conversation est interdite, car à la différence des taxis au Japon, il n’y a pas de feuille de vinyle de protection entre les sièges avant et arrière. Mais, une fois arrivé, le chauffeur m’a souri. « J’espère que vos 14 jours d’isolement se passeront bien. C’est encore un peu tôt, mais joyeux Nouvel An lunaire » me dit-il. Pendant un bref instant, je me suis souvenu l’attitude chaleureuse des Taiwanais.
Deux semaines d’isolement total avec un cadeau de bienvenue et des appels de surveillance
Le jour de mon arrivée sur mon lieu de quarantaine, j’ai reçu des appels téléphoniques du li local, une subdivision administrative des districts de la ville de Taipei, et de l’autorité gouvernementale compétente. Là encore, les règles de la période d’isolement et les sanctions encourues, si je ne les respecte pas, m’ont été énumérées en détail.
Pendant ma période d’isolement, tous les jours, je devais prendre ma température et signaler toute anomalie que je pourrais remarquer dans mon état de santé. Je devais également répondre au SMS que le CDC de Taïwan m’envoyais chaque jour sur mon smartphone. J’ai appris plus tard que ces contrôles quotidiens ont été mis en place après le décès d’une personne pendant sa période de quarantaine.
Le deuxième jour de ma période d’isolement, une boîte de « bienvenue » a été livrée à ma porte. À l’intérieur, de la nourriture, comme des flocons d’avoine et des biscuits, des sacs à ordures et un thermomètre.
Les règles sont strictes concernant l’évacuation des déchets pendant la période d’isolement. Il est interdit de déposer ses déchets à l’endroit habituel. Il faut contacter l’agence locale de l’environnement un jour à l’avance. Quelqu’un viendra ensuite les chercher. Même les ordures sont désinfectées, pour la simple et bonne raison que tant qu’il n’a pas été confirmé si je suis oui ou non porteur du virus, tout ce qui se trouve dans le sac peut avoir été contaminé.
La chose la plus importante est que nous n’avions pas le droit de sortir sans permission préalable. Grâce au GPS de notre smartphone, les autorités gouvernementales et la police étaient en mesure de savoir, exactement et à n’importe quel moment, où nous étions et de nous suivre ne permanence. Chaque fois que nous devrions nous déplacer, ou que notre téléphone était déconnecté, quelqu’un venait immédiatement voir ce qui se passait. La sanction était suffisamment élevée, d’un minimum de 100 000 NT$ (2 800 euros) à 1 000 000 NT$ (28 000 euros ), pour dissuader tout mauvais comportement.
Il arrive qu’une période de quarantaine oblige certains employés à s’absenter de leur travail. Mais si toutes les consignes ont bien été respectées, il leur est possible d’adresser au gouvernement une demande en ligne de compensation pour la perte de revenu occasionnée pendant la période de quarantaine. Cette approche de la carotte et du bâton, récompense si les règles sont respectées ou sanction si elles ne le sont pas, est une incitation suffisamment forte pour se plier aux directives.
Ces mesures d’isolement strictes mises en place à Taïwan reposent sur des ordonnances d’urgence pour le suivi et la gestion, définies par le Centre de commandement central des épidémies, une agence qui est elle-même coordonnée par le CDC de Taïwan. Au Japon également, toute personne arrivant de l’étranger a la même obligation de se soumettre à une période de quarantaine de 14 jours. Mais ni la police ni les agences gouvernementales ne surveillent si la personne concernée a respecté les consignes qui lui ont été données. Il est donc très facile pour n’importe qui de sortir se promener ou de faire ses courses dans un supermarché local.
En fait, au Japon, aucune loi ne permet d’exiger d’un citoyen qu’il observe une période de quarantaine, et le pays entend respecter les droits fondamentaux de chaque citoyen. Appliquer des mesures d’isolement strictes est donc très difficile.
Des mesures extrêmement précises du gouvernement taïwanais
Ces mesures d’isolement strictes ont été appliquées pour la première fois à Taïwan en février 2020, il y a donc un peu plus d’un an. L’approche adoptée par Taïwan de « résister à l’ennemi tout en ne sous-estimant jamais sa puissance » repose sur les leçons tirées de son expérience en 2003, lorsque le pays luttait contre le virus du SRAS. Et j’ai pu également constater par moi-même, avec ma propre expérience, que le gouvernement taïwanais était résolument décidé à ne négliger aucun symptôme d’une éventuelle contagion.
Lorsque mon frère est retourné à Taïwan depuis le Japon en janvier dernier, sur son formulaire, il a indiqué qu’il avait eu des problèmes gastriques au cours des deux dernières semaines. Il a été immédiatement transporté à l’hôpital pour un test PCR. Il a dû observer une période de quarantaine de deux jours.
Dans une unité de quarantaine, la vie ressemble à une caserne militaire. Le matin, à 7 h 30, une annonce sonore vous indique qu’un petit-déjeuner vous attend devant votre porte. Toute la journée est rythmée par les allers et venues du personnel médical en tenue de protection qui veille au bon déroulement de la période de quarantaine. Quant à mon frère, il a dû subir deux tests PCR, attendre qu’ils soient confirmés comme négatifs, avant de pouvoir enfin quitter la zone d’isolement. Après quoi, il a dû se rendre dans un hôtel pour y observer une autre période de quarantaine.
Des périodes de quarantaine de 14 jours similaires à celles-ci sont devenues obligatoires dans de nombreux pays, mais Taïwan a été le premier territoire à mettre en place des mesures aussi strictes. Elles n’ont pas tout de suite fait l’unanimité. Certains habitants à se sont plaints, les trouvant trop sévères. Mais au bout du compte, elles se sont avérées efficaces, si bien que de nombreux autres pays ont plus tard pris exemple sur Taïwan.
Les Taïwanais qui reviennent de l’étranger n’apprécient pas du tout cette quarantaine de 14 jours imposée. De nombreux entrepreneurs taïwanais, qui doivent souvent se rendre à l’étranger, ont montré leur mécontement. Mais dans l’ensemble, sur le territoire, la plupart ont fini par se résigner, pensant que ces mesures, si exigeantes soient-elles, sont nécessaires si elles permettent de contenir le coronavirus.
Par ailleurs, il arrive que certains Taïwanais réagissent de manière excessive lorsqu’ils apprennent qu’une personne de nationalité étrangère ou un membre du personnel est confirmé comme porteur du virus. En effet, certains se mettent en colère, disant que cette personne a introduit le virus à Taïwan. Bien sûr, personne ne s’infecte volontairement, mais les Taïwanais ont tendance à démarrer au quart de tour. Les chiffres des cas de contamination, qui varient beaucoup, ont donné lieu à de véritables luttes politiques. Je pense qu’en cela, les Taïwanais sont très différents des Japonais que je connais, qui sont plus calmes.
Trop de souplesse au Japon ?
Aussi et surtout, la plus grande différence entre les mesures de lutte contre le coronavirus au Japon et à Taïwan semble être le suivi. Les mesures d’entrée sur le territoire nippon sont rigoureuses, mais après avoir passé la douane et observé une période de quarantaine, beaucoup utilisent souvent les transports publics, alors qu’ils doivent prendre un taxi ou un véhicule privé, comme le leur demandent les autorités.
Le 10 janvier dernier, lorsque je me rendais à l’aéroport international de Narita, j’ai vu des gens sur le quai attendre le train à la gare de Shinjuku avec des sacs munis d’étiquettes où l’on pouvait lire NRT, les initiales de l’aéroport de Narita. À l’aéroport, j’ai aussi vu de nombreuses personnes sortir du hall des départs pour prendre un bus ou un train.
Bien sûr, cela ne signifie pas qu’une de ces personnes était contagieuse. Mais une seule personne, même asymptomatique, pourrait suffire à propager le Covid-19 et à potentiellement infecter un grand nombre de personnes.
Cependant, il n’existe aucune loi au Japon permettant d’obliger tous les nouveaux arrivants dans le pays à prendre un moyen de transport privé à leur sortie de l’aéroport. Il n’existe pas non plus de taxis spéciaux, comme c’est le cas à Taïwan. Le 3 février, de nouvelles lois ont été approuvées par la Diète japonaise pour la mise en place de mesures spéciales de lutte contre le coronavirus et la révision des lois existantes concernant les maladies contagieuses et les politiques de quarantaine. Désormais, dans le cas d’une déclaration d’état d’urgence, il est donc possible pour les gouverneurs des préfectures d’obliger les entreprises à fermer ou à réduire leurs heures d’ouverture. Les contrevenants s’exposent à des amendes, mais les autorités sont souvent réticentes à établir de réelles sanctions.
Appliquer des mesures efficaces pour prévenir la propagation du virus, tout en respectant les droits humains fondamentaux de chacun et en soutenant l’activité économique est extrêmement difficile. Le Japon et Taïwan ont des histoires très différentes, tout comme leurs approches de ces problèmes. Cependant, alors que les cas d’infection continuent de se multiplier au Japon, et après la découverte de nouveaux variants du coronavirus, il est impératif que le gouvernement japonais mette tout en œuvre pour protéger la santé et la sécurité de son peuple.
(Photo de titre : la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, deuxième en partant de la droite, et le ministre de la Santé et du Bien-être Chen Shih-chung, au centre, inspectent le Centre de commandement central des épidémies du CDC de Taïwan, le 31 décembre 2020. Photo reproduite avec l’aimable autorisation du bureau présidentiel. Toutes les autres photos ont été fournies par l’auteur, sauf mentions contraires)