Exploration de l’histoire japonaise

Les « terakoya » : l’instruction et les bonnes manières pour les enfants de l’époque d’Edo

Histoire Éducation

Les terakoya, ces écoles primaires destinées aux enfants de la classe des marchands et artisans de l’époque d’Edo (1603-1868), enseignaient les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul. Leur objectif étant de former des membres de la société qui soient productifs, elles insistaient aussi sur les normes de bon comportement. Nous allons examiner ce qu’elles apportaient aux élèves et les leçons qu’on peut en tirer aujourd’hui.

Une grande place accordée au bon comportement

Les terakoya ne se contentaient pas de traiter les sujets fondamentaux. Les enseignants ont aussi déployé de grand efforts pour donner à leurs élèves, souvent gâtés par leur parents, des instructions sur les bonnes manières et les comportements adéquats. Yuyama Bun’emon, directeur d’une terakoya de la province de Suruga (préfecture de Shizuoka), a déclaré que les Yoryoku gakumon constituaient l’objectif à atteindre pour les élèves. Le nom de ces enseignements vient d’un passage des Analectes de Confucius où il est dit que « Après avoir rempli tous vos devoirs moraux, si vous avez de l’énergie en réserve, vous devez l’investir dans la poursuite de la connaissance ». Le bon comportement moral, autrement dit, vient avant les études. Seuls ceux qui remplissent leur devoir filial envers leurs parents, s’entendent bien avec leurs frères et sœurs à la maison et se comportent avec sincérité et vertu dans la société, sont qualifiés pour suivre le chemin des études scolaires.

En 1844, Yuyama a publié une liste de 18 règles de bon comportement à suivre par les enfants, et l’a communiquée à ses élèves et à leurs parents. Au nombre de ces règles figuraient les suivantes :

  • Lorsque tu arrives à l’école, agenouille-toi en seiza, les mains au sol de part et d’autres du corps, incline la tête, et salue calmement le professeur avant d’aller t’asseoir à ta place.
  • Lorsqu’arrive un visiteur, apporte-lui un cendrier et une tasse de thé.
  • En présence du visiteur, ne fais pas ta lecture à haute voix.
  • Lorsque vous allez aux toilettes, n’y allez pas tous en même temps mais chacun à son tour.
  • Vous devez traiter vos camarades d’école comme des frères et des sœurs. Entendez-vous bien avec eux, soyez polis les uns avec les autres, et restez proches pendant le reste de vos vies.
  • Chaque fois que vous vous disputez entre vous, c’est uniquement de votre faute. Vos parents n’ont rien à voir à l’affaire.
  • Si tu ne peux pas dire au revoir à ton professeur quand tu quittes l’école, dis au revoir à tes camarades de classe. À la maison, quand tu prends ton petit-déjeuner et ton dîner, fais face à ton père et à ta mère et remercie-les avant de manger.
  • Ne fais pas la grasse matinée. Lève-toi et lave-toi le visage à l’eau, rends hommage au soleil et offre une prière à tes ancêtres.
  • Lis ces règles à haute voix tous les jours et ne manque pas d’intégrer le bon comportement dans ta vie.

Qu’il s’agisse de l’étiquette à l’école ou de la façon adéquate de recevoir un hôte, le bon comportement était exposé en détails à l’intention des élèves. Les règles interdisaient à leurs parents de trop s’impliquer et plaçaient la relation professeur-élève, présentée comme sanze no chigiri — un lien suffisamment fort pour durer trois générations — au cœur d’un réseau d’amitiés nouées entre les élèves eux-mêmes et destinées à être honorées toute la vie. Elles donnaient aussi des instructions aux enfants en matière de moralité à la maison, les enjoignant de se lever tôt, de rendre hommage au soleil et à leurs ancêtres, et de remercier leurs parents. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans les terakoya s’adressait aux élèves qui avaient de « l’énergie en réserve », afin d’éviter qu’ils ne courent le risque de la dilapider dans des plaisirs plus mondains, en perdant de vue les tâches les plus importantes de la vie quotidienne et en souillant le nom de leurs familles. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture n’était qu’un élément au sein du contexte plus vaste du bon comportement.

Des programmes de groupe pour former les jeunes arrivés à l’âge adulte

Il arrivait souvent que les jeunes gens qui avaient suivi tout le cursus des terakoya rejoignent les wakamono-gumi, ou groupes de jeunes, où ils continuaient de s’instruire et de se former via la pratique de diverses activités. Pour les jeunes femmes, il y avait les musume-gumi, mais il reste peu de données sur ces groupes et on ne sait pas grand-chose de leurs activités spécifiques.

Les wakamono-gumi constituaient un appareil éducatif chargé d’inculquer les traditions aux jeunes gens, via la transmission orale des enseignements culturels et la formation au bon comportement. Mis sur pieds dans les villages, les villes et autres collectivités, ils étaient organisés selon l’âge de leurs membres. Dans toutes les familles, riches ou pauvres, les garçons sortaient de l’enfance à l’âge de 15 ans et rejoignaient les rangs des jeunes gens via ces groupes locaux. Laissant leurs parents derrière pour vivre ensemble dans des logements collectifs, ils faisaient leur entrée dans une société enrégimentée et se trouvaient soumis à de nouvelles règles, au titre desquelles la parole d’un membre plus ancien avait force de loi.

Dans cette phase de l’éducation, la formation des cadets par les anciens passait, non pas par l’écriture, mais par les instructions orales et par l’exemple. Les parents, bien entendu, n’étaient pas autorisés à y prendre part. Même les représentants des autorités locales n’avaient pas le droit d’interférer dans les activités des wakamono-gumi. Générations après générations, des jeunes gens ont pris la responsabilité de former les nouveaux membres jusqu’à ce qu’ils soient en mesure d’assumer pleinement leur rôle de membres de la collectivité. De nos jours, ce modèle d’éducation passe pour une coutume périmée appartenant au passé, et on n’en trouve plus aucune trace hormis dans des domaines comme le déroulement des festivals. Il a totalement disparu du système scolaire moderne, qui vise à former individuellement les élèves et à tirer le meilleur parti de leurs aptitudes.

À l’époque d’Edo, en revanche, ce modèle d’éducation constituait la norme pour quantité d’élèves d’un bout à l’autre du Japon. Les garçons et les filles apprenaient à lire, à écrire et à faire des mathématiques dans les terakoya, puis à maîtriser les savoirs traditionnels de leurs collectivités dans les wakamono-gumi et les musume-gumi. Ces deux systèmes d’éducation, à la fois rivaux et complémentaires, constituaient à cette époque une base solide pour l’éducation. Ces modèles, qui témoignent du désir qu’avait le peuple japonais de former des membres de la société jouissant de la plénitude de leurs capacités, ont, aujourd’hui encore, beaucoup à nous offrir lorsque nous nous interrogeons sur la forme appropriée de l’éducation.

(Photo de titre : Terakoya no zu, une œuvre anonyme. Aflo)

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