Prochainement au studio Ghibli…
« Aya et la sorcière » : le grand retour du Studio Ghibli avec son premier film en 3D/images de synthèse
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Aya et la sorcière est la première production à sortir du Studio Ghibli depuis quatre ans. Il est réalisé par Miyazaki Gorô, le fils de Miyazaki Hayao. Non seulement c’est le premier film en 3D numérique du studio, mais c’est également la première production Ghibli dont la sortie officielle soit effectuée sur une chaîne de télé (le 30 décembre, sur la chaîne publique NHK). Une première qui est devenue le sujet dont tout le monde parle.
La précédente production du Studio Ghibli, La Tortue rouge (de Michael Dudok de Wit) était une coproduction d’une très grande exigence artistique, avec la collaboration d’artistes étrangers. Le dernier film Ghibli de très grande audience, à drainer les foules lors de sa sortie, traditionnellement pendant les vacances d’été remonte à 2014 avec Souvenirs de Marnie, de Yonebayashi Hiromasa.
Effectivement, depuis 2013, quand Miyazaki Hayao avait déclaré qu’il prenait sa retraite, le Studio Ghibli avait décidé de clore son activité de production de nouveaux films. Que s’est-il passé entre cette date et la sortie d’Aya et la sorcière ? Comment se dessine l’avenir du Studio à partir de maintenant ? Nous avons parlé au réalisateur d’Aya et la sorcière, Miyazaki Gorô et au producteur Suzuki Toshio, avec lesquels nous avons également parlé du film Et vous, comment vivrez-vous ? sur lequel travaille Miyazaki Hayao du fond de sa retraite.
Les thèmes d’Aya et la sorcière
Miyazaki Hayao avait lu le dernier livre de Diana Wynne Jones, Earwig and the Witch, dont il avait déjà adapté Le Château ambulant.
Ce nouvel opus raconte l’histoire d’une jeune fille qui a grandi dans un orphelinat. Un jour, Earwig est placée dans une famille d’accueil, qui se révèle être la maison d’une sorcière. Exploitée et employée aux basses besognes, elle décide de faire face à la sorcière, avec la complicité de Thomas, le chat noir…
Miyazaki Hayao avait immédiatement été séduit par le personnage d’Earwig(= Aya), qui est très douée pour jongler avec les adultes. Il avait suggéré à son producteur Suzuki Toshio d’en tirer un film.
Suzuki Toshio : À cette époque, Miya-san [= Miyazaki Hayao] envisageait déjà d’adapter Et vous, comment vivrez-vous ? de Yoshino Genzaburô, et il hésitait entre les deux projets. Il m’a demandé ce que j’en pensais et je lui ai répondu que nous allions nous occuper de Et vous, comment vivrez-vous ? D’un autre côté, Aya et la sorcière est vraiment intéressant et c’est un projet qui touche exactement à l’époque que l’on vit aujourd’hui. Cela m’a donné l’idée de proposer à Gorô de réaliser Aya et la sorcière.
De son côté, quand Gorô a vu traîner le livre Earwig and the Witch sur la table, un jour où il avait rendez-vous avec Miyazaki Hayao et Suzuki Toshio pour autre chose, il l’a feuilleté et a senti que l'œuvre renfermait un certain potentiel. Finalement, il l’a lu de son propre chef et a commencé de son côté à y réfléchir avec l’idée d’en faire un film.
Depuis le premier film de Gorô Les Contes de Terremer, Miyazaki Hayao a toujours été impliqué dans la production ou l’idée de départ des projets de son fils. Tous deux travaillent dans la même société, où tous deux sont réalisateurs, à égalité. Vu de l’extérieur, le fils doit souffrir de l’aura de son père. Il est certes facile d’imaginer la pression et le manque d’aisance qu’il doit y avoir à être soi-même à égalité avec un personnage d’une telle stature, et si l’on en croit Suzuki Toshio, non seulement « Miyazaki Hayao est quelqu’un qui ne mâche pas ses mots, mais il ne retient pas ses actes non plus ». Il investit régulièrement le bureau de travail de son fils, et ils se sont opposés parfois de façon frontale. Cette fois-ci, de même, au moment où les projets se sont mis en place, Hayao est souvent venu rendre visite à Gorô sur son espace de travail pour discuter avec lui du thème de l’œuvre.
Miyazaki Gorô : La toute première chose que mon père m’a dite à ce moment, c’est que l’intérêt de l’histoire venait du fait qu’elle illustrait la manière dont les enfants surpassaient les adultes. Ensuite il y avait cette idée que le personnage d’Aya manipule les gens autour d’elle, mais cela, mon père m’a avoué qu’en ce qui le concerne ce point n’était pas très compréhensible.
Alors Gorô a continué à observer comment les gens pouvaient manipuler autrui, et a dessiner plusieurs versions du story board, approfondissant son image du personnage d’Aya.
Miyazaki Gorô : Dans le roman original, que j’ai lu en anglais, Aya est présentée comme quelqu’un qui « fait bouger les autres selon son idée à elle ». Mais quand on traduit cette idée, on tombe sur l’idée de « manipulation », ce qui est plutôt négatif comme image. Mais moi, j’ai considéré que ce pouvoir était comme une force nécessaire qu’elle avait acquise pour survivre. Parce qu’en vivant dans une situation qui nous est désagréable, on ne peut pas rester à la supporter indéfiniment. Il faut trouver un moyen pour s’échapper. Alors on trouve cherche des échappatoires, on escalade, on creuse un tunnel, on fait travailler toutes les facultés qu’on possède pour grimper un peu plus haut. Jusqu’à ce qu’on arrive à passer la tête au dessus de cet environnement hostile pour pouvoir enfin respirer. Je pense que c’était là le point le plus important. Et est-ce que ce n’est pas cette capacité dont ont besoin les enfants d’aujourd’hui ? Je me suis dit que je tenais le thème.
Gorô ressemble à Aya, voici pourquoi c’est son meilleur film
Miyazaki Gorô : Dans le Japon d’autrefois, il y avait beaucoup plus d’enfants. Ceux d’un quartier se rassemblaient et vivaient dans leur monde à eux, le monde des enfants. Mais aujourd’hui, le nombre d’enfants a drastiquement diminué, un enfant vit seul, perdu dans un coin du monde des adultes. Pour survivre, il doit gérer avec des personnes bien plus âgées que lui. Dans ce sens, les enfants d’aujourd’hui présentent certaines ressemblances avec Aya. Pour intéragir avec les adultes, l’une des voies peut être de faire semblant d’être mignon, de se faire passer pour quelqu’un d’adorable, une autre de tricher et tendre des pièges... Pour leur propre sécurité, les enfants apprennent à tout prévoir, tout préparer. Et j’ai eu envie de dessiner une histoire sur cet enfant-là.
Ce qui, évidemment, met la puce à l’oreille : Miyazaki Gorô, comme Aya, a grandi enfant entre deux adultes à la stature plus grande que nature, un génie de l’animation et un très grand producteur. Les deux images se chevauchent. Et Suzuki Toshio qui a supervisé la production, l’avait également remarqué.
Suzuki Toshio : Dans un certain sens, Aya est une enfant assez détestable, qui se sert des adultes et jongle avec eux. Cette personnalité n’est pas étrangère à Miyazaki Hayao. Et quand j’ai compris que Gorô aussi aimait les héroïnes de ce type, je me suis dit : Tel père tel fils ! C’est clair : Gorô et Aya se ressemblent. Par certains côtés, il en veut à son père, et moi aussi, il me considère parfois comme le vieux pénible qu’il faut supporter. Mais pour ce film, il s’est libéré, il a vraiment fait le film qu’il voulait. D’abord parce qu’il s’est peint lui-même. C’est ce qui lui a donné de l’assurance pour dessiner et c’est ce qui fait de ce film, de loin, le meilleur de tous les films de Gorô à ce jour.
De nouveaux défis pour survivre chez Ghibli
Bien entendu, cela ne veut pas dire que les films précédents de Miyazaki Gorô n’aient pas été de très grande qualité. Il avait été incorporé à Ghibli du fait de son précédent métier, consultant en architecture, pour le projet de construction du Musée Ghibli, et de là il a été propulsé réalisateur sur Les Contes de Terremer en 2006 alors qu’il n’avait aucune expérience dans la production cinématographique. Et néanmoins, le film est devenu le plus gros succès de cette année-là (7,69 milliards de yens au box-office). Idem pour son second film, La Colline aux coquelicots, qui a rapporté 4,46 milliards de yens en 2011.
Ce n’est pas un résultat qu’il aurait été possible d’obtenir sans l’excellence du personnel du Studio Ghibli pris comme un tout. Mais malgré ses indéniables succès, aujourd’hui encore, du fait du nom et des attentes qu’il porte, les films de Miyazaki Gorô traînent encore une sorte de sècheresse avec eux. Comme s’il se sentait jusqu’à maintenant forcé de « faire du Ghibli ».
Ce n’est plus du tout le cas dans Aya et la sorcière. L’évidence saute aux yeux dès la première scène d’action qui ouvre le film. La 3D de Pixar, les mouvements des personnages se meuvent avec une grande aisance et beaucoup de vivacité. La musique, c’est celle qu’il préfère, c’est celle du rock britannique des années ’70, y compris lors de la scène du groupe qui joue dans l’histoire.
Du point de vue de l’histoire, elle est conforme à l’œuvre originale, dans le genre « orthodoxe » de la littérature jeunesse. Mais à partir de là, Miyazaki Gorô a réussi à créer un univers qui renouvelle totalement l’image du Studio Ghibli, par une profonde recherche sur l’image et la musique.
Miyazaki Gorô : Il m’a semblé que faire quelque chose de nouveau était une nécessité, pour le Studio Ghibli. Parce que, quand même, le Studio Ghibli, c’est la structure que Suzuki Toshio a créée pour produire les films de Miyazaki Hayao. À la base, c’est leur truc à tous les deux. Mais mon père aura bientôt 80 ans, Suzuki Toshio en a 72. Ils ne seront pas actifs indéfiniment. Bien sûr, l’univers Ghibli tel que l’ont créé Takahata Isao, Miyazaki Hayao et Suzuki Toshio est toujours debout, mais se poser en défenseur de cet univers est peut-être une cause perdue. Ce ne serait qu’une production en modèle réduit d’une esthétique qu’eux ont construit pas à pas. Si le Studio doit perdurer, je me suis dit qu’il fallait introduire un esprit de défi quelque part.
Miyazaki Gorô parle en choisissant méticuleusement ses mots. Et s’il ne l’affirme pas explicitement, on sent bien qu’il est parfaitement motivé pour prendre la succession du Studio. Et son désir d’une œuvre nouvelle est clairement perceptible.
Miyazaki Gorô : Personnellement, j’espère que ce sur quoi j’ai travaillé pour Aya et la sorcière aura une continuité. Je pense qu’un certain nombre de créateurs qui ont le désir de travailler sur une animation numérique 3D totale, mais n’ont pas encore trouvé l’occasion de le faire, existent. S’ils découvrent maintenant que chez Ghibli, ils font aussi du 3D, alors on devrait pouvoir réunir encore plus de monde sur de nouveaux projets. Et grâce aux compétences de chacun, on pourra peut-être engager des projets encore plus ambitieux ! Voilà pourquoi je pense qu’il est important de poursuivre parallèlement l’animation manuelle et l’animation numérique.
Pourquoi une diffusion à la télé ?
Cet esprit d’ouvrir de nouvelles voies pour le Studio s’exprime aussi dans le choix du mode de distribution. Ghibli avait maintenu avec fermeté la ligne d’une diffusion pour le grand écran. Eh bien, le nouvel opus du Studio a été diffusé tout d’abord à la télé (pour la première fois le 30 décembre). Suzuki Toshio explique la raison de ce choix, difficilement compréhensible selon un mode de réflexion conventionnel.
Suzuki Toshio : L’industrie cinématographique a opéré une mutation ces dernières années. Des projets se sont trouvés annulés, et trop d’œuvres similaires étaient sorties. Le secteur se recroquevillait. Et je me suis fait la réflexion que même un film comme Aya et la sorcière aurait du mal à être mis en valeur dans ce contexte. Un film, ça se voit dans une salle de cinéma. C’est l’habitude qu’ont longtemps eu les gens, mais aujourd’hui, les moyens de diffusion se sont multipliés. La télé, le DVD, le câble. Et cette multiplicité des fenêtres sur les films n’est pas une mauvaise chose en soi. J’ai réfléchi à la situation réelle et je me suis demandé : quelle serait la réaction si le film sortait d’abord à la télé ? La question valait au moins de tenter l’expérience.
Miyazaki Gorô : Pour moi qui ai fait le film, c’est aussi une occasion que je donne à plus de gens de pouvoir le visionner. Le projet ne se termine pas une fois que nous avons fini de faire le film, nous le faisons de même parce que nous avons envie d’entendre les gens dire « Ça m’a plu ! » Et de ce point de vue, je pense que la diffusion à la télé est une excellente opportunité.
Où en est le prochain film de Miyazaki Hayao ?
Pendant que Miyazaki Gorô intègre l’animation numérique au Studio Ghibli, son père Miyazaki Hayao poursuit la production en animation manuelle de son prochain film Et vous, comment vivrez-vous ? Quand pourra-t-on le voir, c’est évidemment la question que tout le monde se pose.
Les films d’animation de Miyazaki Hayao ont souvent été produit en deux ans. Avec Et vous, comment vivrez-vous ? la production en est déjà à sa troisième année. Compte tenu du fait qu’il s’agira potentiellement de la dernière œuvre de Miyazaki Hayao, Suzuki Toshio a pris la décision exceptionnelle de n’annoncer aucune date prévisionnelle de sortie.
« Je veux que Miyazaki se sente absolument libre de mener son projet jusqu’à ce qu’il en soit parfaitement satisfait, sans être tenu par une quelconque date limite », déclare le producteur. Takahata Isao a mis 8 ans à achever son dernier film Princesse Kaguya. Il n’est pas impossible qu’on se rapproche de cet ordre de grandeur pour Et vous, comment vivrez-vous ?
Suzuki Toshio : Environ la moitié des dessins sont faits. La durée totale sera d’environ 125 minutes, séquences d’introduction et de fin comprises. Au début, il faisait 1 minute par mois, je me disais qu’on était parti pour 10 ans. Mais récemment, ça avance un peu plus vite. Mais avant la fin de la deuxième moitié, il pourrait bien se passer encore 3 ans…
Quels seront les effets de la crise sanitaire ? On dit que dans le milieu, de plus en plus d’animateurs travaillent à domicile. Cela sera-t-il une cause de retard ?
Suzuki Toshio : C’est là que les Japonais ont montré de quoi ils étaient capables. Avec le travail à distance, tout le monde s’est dit : la productivité va chuter. Or, elle a augmenté. Au studio, tout le monde travaille en regardant ce qui se passe autour. Ça fait baisser l’efficacité. Fixez un quota et laissez les gens travailler seuls, la conscience que si vous n’avancez pas vous allez vous faire dépasser augmente l’efficacité. Si j’avais encore besoin de me convaincre du sérieux et de la diligence au travail des Japonais, je l’aurais trouvée là (rires).
L’avenir de Ghibli
Aya et la sorcière va impressionner tout le monde par la capacité de reprendre la main et l’esprit de challenge du Studio Ghibli. Et avec Et vous, comment vivrez-vous ? nous aurons l’aboutissement de la vision fantastique de l’univers de Miyazaki Hayao. Le film suivant du Studio Ghibli est d’ores et déjà sur les rails, même si aucune annonce n’a été faite concernant le contenu et le réalisateur.
En outre, la construction du parc Ghibli, sur l’emplacement de l’exposition Aichi 2005, près de Nagoya, a commencé. L’ouverture est prévue pour l’automne 2022. À la différence d’un classique parc à thème alignant les attractions mécaniques, le Parc Ghibli sera un lieu plongé dans la nature, où l’univers des films du Studio Ghibli sera directement reproduit. Le concept a été développé par Miyazaki Gorô lui-même, mais Miyazaki Hayao ne pouvait pas rester silencieux sur ce sujet et a avancé plusieurs idées.
Si le Studio Ghibli a dissout son département production, il fonctionne depuis lors avec un moteur entièrement ouvert. 35 ans de succès, une ère entière de l’histoire du cinéma japonais porte son nom et le Studio continue à relever de nouveaux défis. Les studios d’animation qui connaissent un second âge d’or sont extrêmement rares dans le monde, mais c’est exactement ce à quoi nous sommes en train d’assister.
(Photo de titre : Miyazaki Gorô devant l’affiche d’Aya et la sorcière. Photo de l’auteur)