Les véritables geishas : danseuses, musiciennes et entremetteuses

Culture Tradition

Iwashita Hisafumi [Profil]

Les geishas étaient des artistes professionnelles, héritières et gardiennes de la musique au shamisen (luth à trois cordes), et ont contribué au développement des danses traditionnelles japonaises. Il ne faudrait donc pas les pas confondre avec des prostituées, comme c’est parfois le cas. Nous dressons ici sur leur juste portrait, en compagnie d’un écrivain japonais.

Des geishas devenues Trésors nationaux vivants

Les règles et les lois n’empêchaient pas, bien entendu, certains riches clients, appelés danna, de devenir les « protecteurs » de telle ou telle geisha. Quoi qu’il en soit, savoir se caler sur le cœur très volatile de ces messieurs faisait aussi partie des talents des geishas. Depuis, il s’est avéré nécessaire de préserver cette forme d’art qui se transmettait depuis la seconde moitié de l’époque d’Edo, et c’est ainsi que deux artistes du hanamachi de Shimbashi ont été nommées Trésors nationaux vivants dans les années 1960, puis une autre du hanamachi d’Asakusa en 2007.

La situation était différente dans le Kansaï, où, dès l’époque d’Edo, les geikos interprétaient surtout des danses dans les salons des riches particuliers, se produisant mêmes dans les théâtres gérés par les hanamachi dès le début de l’ère Meiji, comme les spectacles de danse Miyako Odori du quartier de Gion. Les propriétaires des restaurants traditionnels de Shimbashi introduisirent ce style de performance à Tokyo vers la fin de Meiji. Ils invitèrent des maîtres de danse pour former les geishas du cru, et financèrent ces geishas pour introduire la danse dans le programme de réjouissances des banquets. Des geishas spécialisées en danse sont donc apparues dans le hanamachi de Shimbashi, et les soutiens que celles-ci ont su se gagner parmi l’élite économique ont permis l’émergence d’une culture de la danse aussi vivante que luxueuse, en particulier durant l’époque Taishô (1912-1926), contribuant de façon essentielle à l’émancipation de la « danse japonaise » Nihon buyô, qui jusque-là n’était qu’un aspect accessoire du kabuki.

Sans les geishas, il n’y aurait pas eu de développement de la danse japonaise. Une scène de répétition la veille du spectacle « Azuma Odori » au Shinbashi Enbujô (mai 2019, Jiji)
Sans les geishas, il n’y aurait pas eu de développement de la danse japonaise. Une scène de répétition la veille du spectacle « Azuma Odori » au Shinbashi Enbujô (mai 2019, Jiji)

Une culture soutenue uniquement par le secteur privé

Il faut ici préciser que, jusque dans les années 1940 au moins, le kabuki et les autres formes artistiques et culturelles des quartiers hanamachi étaient uniquement soutenues financièrement par des associations de riches mécènes appelés renjû. Ils ont également travaillé main dans la main avec les plus importants magasins de kimono comme Mitsukoshi, qui sont à l’origine des grands magasins, pour codifier, développer et populariser les kimonos dans tout le pays, améliorant ainsi la tenue vestimentaire des femmes en général. C’est un fait que les geishas, en tant que grandes acheteuses de kimonos, ont à leur tour soutenu financièrement les arts du spectacle et l’artisanat traditionnels que l’État n’a jamais envisagé de protéger avant l’ère Shôwa (1926-1989).

Les geishas de Shinbashi ont mis de la couleur à la cérémonie d'ouverture du nouveau Kabuki-za (avril 2013, Jiji)
Les geishas de Shinbashi ont mis de la couleur à la cérémonie d’ouverture du nouveau théâtre Kabuki-za (avril 2013, Jiji)

Malheureusement, avec le déclin des hanamachi, le sentiment que l’art des geishas consistait essentiellement dans la maîtrise du chant et de la danse a pris trop d’importance, au détriment d’une autre de leur compétence, tout aussi essentielle mais moins formalisée : l’art de la conversation, de raconter des histoires, la discussion parfois profonde, tout ce qui pouvait entretenir la relation entre l’hôte principal du banquet et ses invités et leur donner envie de revenir.

Surtout que, bien entendu, comme je l’ai mentionné au début de cet article, les clients et participants des banquets, au fil des générations, ont perdu la mémoire que ces banquets étaient des reconstitutions des anciennes fêtes avec une fonction non négligeable de faire avancer des projets sérieux et de faire passer une volonté économique ou politique. L’idée que la présence de geishas n’était qu’un prétexte pour boire et s’amuser sans souci s’est enkystée, et les geishas ne sont pas seules à blâmer sur ce point.

(Photo de bannière : « Azuma Odori », un spectacle de danse des geishas de Shinbashi, que l’on ne voit généralement que dans les salons des restaurants ryôtei, est présenté une fois par an au Shinbashi Enbujô. La photo montre une répétition la veille de la représentation, en mai 2019. Jiji)

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musique tradition culture geisha danse kimono

Iwashita HisafumiArticles de l'auteur

Écrivain. Né dans la préfecture de Kumamoto en 1961, professeur de l’Université du Kokugakuin. Après avoir obtenu son diplôme universitaire, il rejoint le théâtre Shimbashi Enbujô, qu’il quitte ensuite pour écrire son premier ouvrage en 2006 : « Les geisha : quand les Japonais oublient qu’ils peuvent se traverstir en dieux » (Geisha-ron : kamigami ni fun suru koto wo wasureta nihonjin), lequel remporte le 20e prix culturel Watsuji Tetsurô. Sur la recommandation du philosophe Umehara Takeshi et de l’écrivaine Hiraiwa Yumie, il rejoint l’Association des écrivains japonais. Également actif en tant que commentateur à la télévision.

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