Les véritables geishas : danseuses, musiciennes et entremetteuses

Culture Tradition

Les geishas étaient des artistes professionnelles, héritières et gardiennes de la musique au shamisen (luth à trois cordes), et ont contribué au développement des danses traditionnelles japonaises. Il ne faudrait donc pas les pas confondre avec des prostituées, comme c’est parfois le cas. Nous dressons ici sur leur juste portrait, en compagnie d’un écrivain japonais.

Un code vestimentaire renversé pour les distinguer des prostituées

Le succès de Yoshiwara fut tel que vers le milieu de l’époque d’Edo, des prostituées, qui n’étaient pas officiellement autorisées à travailler dans ce district, se sont introduites dans le district, spoliant ainsi celles de Yoshiwara de certains de leurs clients. Préoccupés de cette situation, les propriétaires des bordels de Yoshiwara ont obtenu des nouvelles venues la promesse qu’elles ne se prostitueraient pas dans l’enceinte du secteur. En compensation, ils les ont autorisées à travailler comme « geishas », c’est-à-dire comme intermédiaires auprès des clients, et accompagnatrices, chanteuses et joueuses de shamisen pendant les banquets organisés pour les riches clients. C’est le début de ce qu’on a appelé le kenban (les agences de geishas), où les geishas, hommes et femmes, recevaient leurs affectations et où les frais et rétributions de chacun étaient réglés. Les geishas femmes sont devenues de plus en plus nombreuses et les plus recherchées, et les geishas hommes ont été de plus en plus appelés otoko geisha (otoko signifie « homme ») pour les poètes, acteurs, etc.) ou taiko-mochi (ou « porteurs de tambour » pour les musiciens).

Pour résumer, à l’époque d’Edo, les geishas femmes, comme leurs prédécesseurs hommes, étaient essentiellement des musiciennes joueuses de shamisen. Mais en outre, si le client le demandait, la geisha devait jouer le rôle d’entremetteuse dans un pseudo-mariage entre le client et une prostituée.

Afin qu’elles ne soient pas confondues avec les prostituées qui tenaient toujours le haut du pavé à Yoshiwara, un code vestimentaire particulier visant à une « anti-féminité » fut mis en place pour les geishas, à savoir l’obligation de porter un col blanc, manches droites avec blason (mon), ainsi qu’une ceinture (obi) sans couture noué à l’envers. De même, il leur était interdit de porter un sous-kimono long, afin de garantir qu’elles ne se dénuderaient pas devant le client. La coiffure était de même imposée, à savoir le chignon dans le style shimada, qui à cette époque était le style de chignon porté par les garçons.

Des geishas en col blanc, manches serrées à blason noir, et chignon shimada. Scène de répétition avant la soirée du Azuma Odori au Shimbashi Enbujo. Le Shimbashi Enbujo a été créé pour produire le spectacle de fin de formation des geishas de Shimbashi (mais 2019, Jiji press)
Des geishas en col blanc, manches serrées à blason noir, et chignon shimada. Scène de répétition avant la soirée du Azuma Odori au théâtre Shinbashi Enbujô. L’établissement a été créé pour produire le spectacle de fin de formation des geishas de Shinbashi (mais 2019, Jiji press)

Ce code vestimentaire a été adopté dans d’autres quartiers réservés de la banlieue d’Edo qui n’étaient pas affiliés, comme à Fukagawa et Yanagibashi, ce qui conduisit à l’unification du style des geishas d’Edo. Si l’on excepte que les sous-kimono longs et les obi luxueux sont devenus tolérés et de plus en plus communs à partir de l’époque Meiji, ce style vestimentaire est demeuré le style le plus formel porté par les geishas de la région de Tokyo et de plusieurs autres régions.

Je parle ici de ce qui était pratiqué dans les hanamachi d’Edo puis de Tokyo. Je ne prétends pas connaître les détails de la situation dans le Kansaï et les autres régions, mais, pour autant que je sache, les différentes ne portent que sur des détails, si ce n’est que, dans certaines préfectures, des décrets et ordonnances autorisaient les geishas à pratiquer également la prostitution, jusqu’à la loi anti-prostitution de 1958.

Les domaines où les geishas excellent

Les geishas, ou geikos comme on l’appelle dans le Kansaï, trouvent leur origine devant les portes des temples et sanctuaires, ou devant les cours d’eaux dédiés aux bouddhas et aux divinités du shintô. Car les banquets qui étaient donnés dans les hanamachi des temps modernes proviennent en droite ligne des festivals et rites festifs des temps anciens, au cours desquels des offrandes sont faites et des chants et des danses accompagnent les prières aux dieux et aux bouddhas.

En ce qui concerne la performance des geishas, depuis l’origine des geishas hommes dont j’ai déjà parlé, jusqu’à la seconde moitié de l’ère Meiji (1868-1912), l’entrée des geishas dans le salon se faisait quand les convives étaient déjà installés. Elles chantaient tout d’abord des chants accordés à la saison, dans le style nagauta, tokiwazu ou kiyomoto (trois styles de chants accompagnés de shamisen, qui se distinguent en fonction de la façon dont les sentiments sont exprimés). Ensuite des membres du public répondaient par d’autres chants pour célébrer l’occasion. Ce protocole indémodable était appelé zatsuki à Yoshiwara, aussi bien qu’à Yanagibashi et Shimbashi. Après le zatsuki venaient des chants plus courts, appelés hauta et des danses, interprétées par des hangyoku, c’est-à-dire des apprenties geishas. De fait, il était rare que ce soit une geisha de plein titre qui danse.

L’excellence au shamisen est considérée comme essentielle depuis l’époque d’Edo pour devenir une geisha de Tokyo. Il faut bien entendu connaître les principaux morceaux du répertoire, aussi bien en nagauta, tikiwazu et kiyomoto, que les hauta et les kouta. Bien sûr, parce qu’il fallait se tenir prête à les chanter à tout moment si un client vous appelait, mais aussi parce que le travail essentiel de la geisha était d’amener le client à se sentir suffisamment bien pour qu’il se mette à chanter, lui aussi. Il fallait donc être prête à l’accompagner à la demande sur n’importe quel titre qui lui plaisait.

Les geishas ont grandement contribué à la préservation et à la transmission de la musique au shamisen. Une scène de répétition la veille du spectacle « Azuma Odori » au théâtre Shinbashi Enbujô (mai 2019, Jiji)
Les geishas ont grandement contribué à la préservation et à la transmission de la musique au shamisen. Une scène de répétition la veille du spectacle « Azuma Odori » au théâtre Shinbashi Enbujô (mai 2019, Jiji)

On dit que le shamisen a été introduit au Japon via les îles Ryûkyû (aujourd’hui Okinawa) pendant l’ère Eiroku (1558-1570). Ce sont des joueurs de luth biwa qui l’ont adopté les premiers, et dans la région d’Osaka (ou Kamigata) le shamisen fut d’abord joué par les kengyô, musiciens aveugles de plus haut niveau dont l’occupation était de jouer du biwa et d’autres instruments dans un style sérieux.

Dans la région d’Edo (Tokyo), au contraire, ce sont des maîtres du nagauta et du jôruri, genres musicaux de divertissements que l’on joue dans le chœur pour accompagner les pièces de kabuki ou de marionnettes, qui sont devenus les premiers chefs d’école du shamisen et en ont fait la promotion au fil des générations.

Mais dans les salons du Yoshiwara et les autres districts réservés et hanamachi, cela n’a pas empêché le shamisen d’être également utilisé par les geishas hommes et femmes pour accompagner les ballades sentimentales du jôruri, de la fin de l’époque d’Edo jusqu’à nos jours.

Suite > Des geishas devenues Trésors nationaux vivants

Tags

musique tradition culture geisha danse kimono

Autres articles de ce dossier