La culture pop nippone se mondialise

Fujii Kaze, le dernier phénomène musical au Japon

Culture Musique

Kurihara Yûichirô [Profil]

La dernière superstar de la scène musicale japonaise est l’auteur-compositeur-interprète Fujii Kaze, considéré par beaucoup comme l’artiste le plus talentueux de ces dernières années. Nous sommes allés rencontrer Matsuo Kiyoshi, l’un des plus importants producteurs R&B du Japon, sur l’avenir prometteur de ce musicien hors du commun.

Matsuo Kiyoshi MATSUO Kiyoshi

Musicien et producteur de musique. Il débute sa carrière en tant que journaliste spécialiste de la scène R&B et hip-hop. Il multiplie les voyages à l’étranger afin de faire des interviews exclusives avec des grands artistes comme James Brown et Quincy Jones, avant de commencer à travailler comme musicien à partir du milieu des années 1990. Il connaît le succès en tant que producteur pour des artistes connus.

Pas qu’un beau minois !

Cependant, Fujii est plus qu’un simple chanteur. Il est aussi un pianiste talentueux et énergique, et cela participe grandement à rendre ses vidéos impressionnantes.

« Je pense que chaque fois que vous tombez sur quelqu’un d’aussi doué techniquement – et cela ne se limite pas qu’au piano – vous vous demandez qui est cette personne et le genre de vie qu’elle a mené pour atteindre ce niveau, poursuit Matsuo. Dans le cas de Fujii Kaze, je pense qu’il donne tout simplement aux spectateurs un sentiment d’émerveillement : il est si jeune, si beau... où a-t-il appris à si bien jouer ? C’est complètement différent de regarder un vieux maestro jouer ! »

En tant que musicien, Fujii a clairement tous les atouts pour réussir. Mais comment Matsuo le considère-t-il du point de vue d’un producteur ?

« L’une des premières choses qui frappe est son apparence extérieure : il pourrait se démarquer sans même chanter ! En ce qui concerne sa musique, on ressent fortement qu’il est plus ou moins indépendant, qu’il a déjà en lui tout ce dont il a besoin pour créer sa musique. Il n’y a rien dans la production de cet album qui gêne ou obscurcit son identité. La production est tellement restreinte qu’on dirait presque qu’il s’est autoproduit. »

Au niveau mondial, l’une des tendances majeures du R&B en ce moment est la “trap”, un type de hip-hop au tempo lent, un rythme détendu et une basse bien lourde, avec du rap ou d’autres voix sur une piste d’accompagnement mélangée à des sons électroniques. Mais Fujii a pris une direction qui n’a rien à voir avec ce style en vogue.

« Aux États-Unis, le trap est l’un des genres les plus vendus, note Matsuo, mais il semble que Fujii n’essaie pas de rompre avec le style de R&B qui est populaire au Japon. »

Artiste multilingue, Fujii semble parler assez bien anglais. Mais Matsuo pense qu’il ne l’a pas juste appris à l’oreille, comme sa musique.

« Si vous écoutez les interviews qu’il a faites en anglais, sa base grammaticale est également bien solide. Ce n’est pas le genre d’anglais que les gens apprennent parfois en vivant à New York pendant une ou deux années. Il a dû l’étudier très sérieusement à l’école. »

(© Takayama Hirokazu)
(© Takayama Hirokazu)

Bien qu’il semble parfois ne pas être particulièrement ambitieux, Fujii donne aussi l’impression qu’il s’est fixé ses objectifs à un très jeune âge alors qu’il vivait encore à Okayama, en progressant étape par étape dans l’ascension de sa carrière. Ses compétences linguistiques en témoignent : l’école qu’il a fréquentée investit beaucoup d’efforts dans l’enseignement de l’anglais et c’est l’une des meilleures de la préfecture en termes de nombre d’étudiants admis dans des universités prestigieuses.

Jalousie, déception et avenir

« Fujii est le genre d’artiste qui pourrait rendre beaucoup de personnes jalouses dans l’industrie de la musique, estime Matsuo, en particulier d’autres artistes du même âge que lui. C’est sûrement déjà le cas. Il semble juste avoir tout ce dont un musicien a besoin pour se lancer sur la scène musicale et connaître un très grand succès. En fait, cela pourrait aller au-delà de la jalousie et se transformer en désespoir chez certains. »

« Je pense que les autres artistes réalisent probablement à quel point il est spécial. Le livret qui accompagne la première édition de son album est assez inhabituel : il y a un léger parfum de fleurs qui en émane lorsque l’on tourne les pages. J’ai été assez surpris, cela m’a fait comprendre à quel point les yeux sont tournés vers lui et que toute l’industrie s’attend à ce qu’il accomplisse quelque chose de spécial.

Comme l’explique ironiquement Matsuo, chaque fois que des gens de l’industrie de la musique rencontrent un beau jeune homme, ils font tout leur possible pour souligner son côté artistique, en utilisant des images en noir et blanc sombres au lieu de photos nettes et colorées.

« Je comprends clairement les intentions et les attentes derrière les photos utilisées pour son CD, y compris l’idée de masquer délibérément son beau visage sur la couverture de l’album ! »

Comme l’explique Matsuo, cette approche a déjà été utilisée par le passé :

« Lorsqu’il s’agit de vendre de la musique pop, la manière de faire du packaging joue aussi beaucoup. En écoutant l’album en boucle hier, je me suis dit que c’était peut-être la bonne manière de faire les choses, ou du moins la plus appropriée, . »

Fujii est aussi un parolier talentueux, souligne Matsuo, en faisant référence à plusieurs chansons entraînantes composées autour de paroles accrocheuses. Il explique aussi que beaucoup de ses chansons ont des accents de kayôkyoku : « les mélodies et les progressions d’accords ne renient certainement pas cette partie du passé musical du Japon. »

En tant qu’artiste, Fujii semble tout avoir. Quant à son avenir, la plus grande inconnue est la jalousie et le désespoir dont nous avons parlé plus tôt, et de voir comment les choses se passeront... Mais Matsuo est confiant :

« Il semble être capable d’accomplir à peu près tout ce qu’il décide d’entreprendre. Comme les jeunes aiment dire ces jours-ci, “Le clou qui dépasse appelle le marteau, mais s’il dépasse suffisamment il ne peut pas être martelé”. »

(Photo de titre : la jaquette du premier album de Fujii Kaze, Help Ever Hurt Never. Avec l’aimable autorisation de Universal Sigma)

Tags

musique YouTube pop jeune

Kurihara YûichirôArticles de l'auteur

Critique de littérature, musique et économie. Né en 1965 dans la préfecture de Kanagawa. Il a remporté le prix Mystery Writers of Japan pour « Une histoire littéraire du plagiat » (Tôsaku no bungaku-shi). Il a également écrit des livres sur l’économie et la musique dans les œuvres de Murakami Haruki.

Autres articles de ce dossier