John Lennon, « Imagine » et le Japon

Culture Musique

Le 8 décembre 1980, John Lennon était assassiné par un fan déséquilibré. Intéressons-nous à sa vie après la séparation des Beatles et à ses liens avec le Japon, notamment à travers l’influence du zen et des poèmes haïku sur sa musique.

Hirota Kanji HIROTA Kanji

Écrivain, spécialiste des Beatles, ancien professeur à l’université préfectorale de Yamanashi. Né en 1952, il commence à écrire sur les Beatles immédiatement après la mort de John Lennon. Il est l’auteur, éditeur et coordinateur de nombreux ouvrages comme la série de magazines Bungei Bessatsu Rock, MUSIC LIFE et « Le rock des adultes ! » (Otona no rokku !). Il est également l’auteur d’une « Introduction aux Beatles » (Beatles gaku nyûmon, éd. Shinchôsha) et de Beatles (éd. Kodansha), entre autres. Éditeur et coordinateur du numéro spécial Bungei Bessatsu John Lennon Forever sorti en octobre 2020.

Les maîtres zen Hakuin et Sengai, et Imagine

Hakuin et Sengai sont des moines zen de l’école Rinzai du milieu de l’époque d’Edo (1603 - 1868); convaincus que tout un chacun pouvait atteindre l’Éveil, ils ont prêché le zen auprès du peuple. Ils nous ont également laissé des calligraphies tout à fait particulières. John Lennon, qui en a acheté une de chacun, « connaissait peut-être Hakuin et Sengai, dont il partageait possiblement la pensée », estime Hirota Kanji. « Après 1969, le haïku est de mieux en mieux connu. Les préférés de John Lennon étaient ceux qui reflétaient la pensée zen, où l’homme se considère comme un minuscule élément de l’univers, se fond dans la nature et l’aime, des poèmes qui vous vont droit au cœur. »

Il poursuit : « En 1971, le titre Imagine, après l’album John Lennon/Plastic Ono Band, donne l’impression d’un poème renga, le style aux racines du haïku. Et ces dernières années, certains moines zen soulignent que Hakuin Ekaku, dans son enseignement, insistait sur le fait que “l’enfer comme le paradis ne sont rien d’autre que le reflet du cœur de chacun”. »

À l’instar de Hakuin considéré comme le père de la renaissance de l’école Rinzai, Sengai a prêché dans tout le pays. Il est connu pour avoir détesté le pouvoir et vécu librement. Après être devenu le supérieur du temple Shôfuku-ji à Hakata, il se consacre à la rénovation du bâtiment laissé à l’abandon tout en peignant des calligraphies zen pleines d’humour qui lui valent d’être apprécié du peuple. On dit qu’il avait l’esprit large et qu’il ne s’arrêtait pas aux différences de religion ou d’école au sein du bouddhisme.

John Lennon a reconnu que le terme « imagine », à la forme impérative, lui avait été inspiré par le recueil de poésie de Yoko Ono intitulé Grapefruits, composé d’instructions originales. « On note bien entendu l’influence d’une pensée utopique occidentale et de Yoko Ono. Mais ce n’est pas tout, je pense que le Imagine de John Lennon puise aussi sa source dans la pensée de Hakuin et Sengai qui apprenaient au peuple à ne pas avoir peur, à vivre librement », suppose Hirota Kanji.

Un long séjour au Japon

Une fois mariés, John et Yoko s’impliquent dans de nombreuses actions pacifiques à travers le monde ; après la publication de l’album Imagine, ils s’installent à New York où ils participent aux protestations contre la guerre du Vietnam. Bien que fervent partisan de l’action pacifique, Lennon réussit à inquiéter le président américain Nixon, qui ordonne son expulsion. Le couple, qui conteste cette décision, reste néanmoins dans le pays.

En octobre 1975, à l’issue d’une longue bataille judiciaire, l’ordre d’expulsion est annulé ; le même mois, Yoko donne naissance à leur fils, Sean. Deux ans plus tard, la famille séjourne au Japon, de mai à octobre 1977. Ils y retourneront trois mois en 1978, et un mois en 1979. En tout, John Lennon passera neuf mois au Japon, où il visitera Tokyo, Shônan, Karuizawa, Hakone et Kyoto, entre autres. On dit même que le couple cherchait dans l’Archipel une résidence secondaire où il aurait pu séjourner librement.

« Aujourd’hui, avec Twitter, on saurait instantanément où ils ont été vus. Mais à l’époque, quasiment personne ne savait qu’il était au Japon, on n’en parlait pas aux informations », souligne Hirota Kanji.

Lennon décide d’arrêter la musique jusqu’aux cinq ans de son fils, pour se consacrer à son éducation. « C’est plus courant aujourd’hui, mais à l’époque, l’idée était nouvelle. Je crois que John est le premier homme célèbre et influent à le faire. Ses principes éducatifs s’inspiraient de la philosophie du yin et du yang, et aussi du zen. Par exemple, c’était lui qui cuisinait, et il privilégiait une alimentation macrobiotique à base de riz complet et de légumineuses. »

L’exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko » est l’occasion de voir des photos de la famille au Japon ainsi que l’original du carnet de vocabulaire illustré avec lequel John Lennon apprenait le japonais. Certains dessins ne sont pas sans rappeler ceux du bouddhisme zen.

À gauche : « John, Yoko et Sean, voyage en famille en 1977 » (Photo : Nishi F. Saimaru, © Yoko Ono) À droite : à Karuizawa en 1979 (Photo : Nishi F. Saimaru, © Nishi F. Saimaru & © Yoko Ono) Extraits de l’exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko »  à Tokyo
À gauche : « John, Yoko et Sean, voyage en famille en 1977 » (Photo : Nishi F. Saimaru, © Yoko Ono) À droite : à Karuizawa en 1979 (Photo : Nishi F. Saimaru, © Nishi F. Saimaru & © Yoko Ono) Extraits de l’exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko » à Tokyo

Deux pages du carnet illustré d’apprentissage du japonais : Wabishii et Sabi (Photo : Yamanaka Shintarô (Qsyum!)/exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko » à Tokyo)
Deux pages du carnet illustré d’apprentissage du japonais : Wabishii et Sabi (Photo : Yamanaka Shintarô (Qsyum!)/exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko » à Tokyo)

Hirota Kanji se souvient de sa joie à l’écoute de l’album Double Fantasy (sorti le 17 novembre 1980 en Grande-Bretagne), à l’issue de cinq années de silence musical : « Quand j’ai écouté la cassette de démonstration envoyée par la maison de production, j’ai été ému, c’était un album qui exprimait avec beaucoup de justesse le couple et la famille, les relations entre les hommes et les femmes. Je me réjouissais à l’idée que John se remettait à composer ; mais il a été assassiné. »

« Il ne se contentait pas de dire qu’il aimait le zen et les haïku, il en comprenait vraiment la philosophie et l’appliquait dans sa façon de vivre. C’est rare, chez les musiciens. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait peut-être acheté une résidence secondaire au Japon, et il aurait eu l’occasion de collaborer avec des artistes japonais. Et puis, je crois qu’il aurait aimé écrire des haïku en japonais. Il n’en aura jamais eu l’occasion, c’est dommage. »

(Texte et interview de Hirota Kanji par Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de bannière : « John, Yoko et Sean, voyage en famille en 1977 ; à Tokyo » ; Photo : Nishi F. Saimaru, © Yoko Ono, extrait de l’exposition « DOUBLE FANTASY – John & Yoko » à Tokyo, tenue en février 2021)

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