Tawada Yôko : écrire en deux langues pour la promotion d’une littérature mondiale

Culture Livre

Tawada Yôko, une auteure qui vit en Allemagne et écrit en japonais et en allemand, est extrêmement appréciée à l’international. Son écriture d’un style avant-gardiste est libre des entraves que constituent les frontières et les langues. Mais elle est aussi connue pour sa faculté à mettre en avant le charme de la langue japonaise grâce à ses jeux de mots à l’humour tout en finesse, tout en traitant de thèmes aussi graves que les désastres et la pollution, ou encore l’exil.

Un récit grandiose dépassant les êtres humains, les cultures et les frontières

Chaque élément de l'œuvre de Tawada a exploré un nouveau territoire, et elle est aujourd’hui à un nouveau tournant. L’autrice s’est lancée dans ce qu’elle envisage comme une trilogie, dont le premier volume, Chikyû ni chiribamerarete (« Incrusté dans le globe terrestre ») est parue en 2018, et la deuxième, Hoshi ni honomekasarete (« Suggéré par les étoiles »), vient de sortir.

Kentôshi (2014)
Kentôshi (2014)

Si le roman Kentōshi se déroulait dans un Japon isolé du monde après un désastre majeur qui faisait penser à l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi, l’archipel qui évoque le Japon dans cette trilogie a apparemment disparu. La raison de cette disparition n’est pas révélée, mais le lecteur est conduit à penser qu’il a subi des dommages irrémédiables entraînés par un désastre causé par l’homme, par des allusions à des mouvements d’opposition à une pollution qui rappelle la maladie de Minamata ou la construction de centrales nucléaires dans cet archipel.

Chikyû ni chiribamerarete (« Incrusté dans le globe terrestre », 2018)
Chikyû ni chiribamerarete (« Incrusté dans le globe terrestre », 2018)

Hiruko, l’héroïne de la trilogie est une émigrante originaire de cet archipel. Dans le texte japonais, son nom apparaît en caractères latins en majuscules, ce qui lui confère une présence particulière. Ce nom renvoie à Hiruko, l’enfant aquatique d’Izanami et Izanagi confié à la mer dans le mythe de la création du Japon. Hiruko a quitté le lieu où elle est née et elle a ensuite séjourné dans les pays scandinaves. Le roman, tout en reflétant la réalité actuelle dans laquelle l’immigration est devenue une question internationale majeure et un sujet de conflit politique, traite d’une multitude de questions, désastres, langues, appartenance ethnique, genre, ou identité. Certains lecteurs se sont probablement superposés au personnage de Hiruko, qui ne peut plus retourner dans son pays natal, en pensant à l’état actuel du monde où les frontières sont fermées à cause de la pandémie et où les mouvements sont contrôlés.

Hoshi ni honomekasarete (« Suggéré par les étoiles », 2020)
Hoshi ni honomekasarete (« Suggéré par les étoiles », 2020)

Tous les thèmes abordés sont graves, mais les jeux de mots typiques de Tawada qui font partie du texte défont le cadre d’une pensée rigide. Hiruko s’exprime dans une langue hybride qui lui est propre, un mélange de langues scandinaves, et l’un des plaisirs pour le lecteur est la manière dont Tawada utilise un japonais remarquable qui fait naître beaucoup d’images.

Séparée de la communauté des locuteurs de sa « langue maternelle », Hiruko se lance, en compagnie de camarades issus d’une variété de milieux linguistiques et culturels, dans un voyage à la recherche de locuteurs de sa propre langue maternelle. Dans le premier tome apparaît un Groenlandais chef sushi qui travaille en Allemagne et parle la langue maternelle de Hiruko, un des événements qui ébranlera sa conscience de « locuteur natif », qui était pour elle une évidence au moment de son départ. En tournant les pages de ce roman et en suivant le voyage de Hiruko et de ses compagnons, le lecteur en vient à penser qu’à l’époque de la mondialisation où les êtres humains et leur culture sont incrustés ici et là sur terre, par-delà les frontières, il existe sans doute une autre façon d’aborder les spécificités des cultures linguistique ou culinaire qu’en s’y accrochant. Dans le deuxième tome, le récit se développe d’une manière encore plus vaste, puisque la terre est considérée comme une des planètes dans l’espace.

Où va continuer le voyage de Hiruko ? Dans quel nouvel horizon littéraire Tawada Yôko va-t-elle emmener ses lecteurs ? Elle a toute notre attention.

(Photo de titre : Tawada Yôko lors de son discours après la réception du prix Kleist en novembre 2016 © Ullstein bild/Aflo)

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