L’aura de Mishima Yukio dans le monde

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Mishima Yukio s’est donné la mort le 25 novembre 1970, et c’est l’écrivain de l’Archipel le plus connu dans le monde depuis des décennies, grâce aussi à l’aura unique du personnage. En termes de nombre d’ouvrages traduits, il dépasse de loin Kawabata Yasunar et Ôe Kenzaburô, les deux lauréats du prix Nobel de littérature de nationalité japonaise. Une telle notoriété avec autant de lecteurs constitue un véritable exploit dans l’univers ultra trépidant du XXIe siècle, où d’énormes changements sont à l’œuvre dans les médias, et où la littérature de haute volée n’a plus la portée qui était la sienne jadis. Mais que reste-t-il de l’héritage de Mishima Yukio en tant qu’écrivain ? C’est la question que l’on est en droit de se poser.

Du « mythe Mishima » au « problème Mishima »

Toutefois quand on s’intéresse à Mishima Yukio, on se trouve forcément confronté un jour ou l’autre au même dilemme. Au fait, de quoi est-on en train de parler ? De l’œuvre littéraire de l’auteur ? Ou bien du mythe entourant sa personne qu’il a sciemment élaboré avec tant d’habileté au fil du temps et qui a culminé en 1970, avec l’acte performatif de son suicide rituel ?  Avec le recul, la version cinématographique de « Patriotisme » (Yûkoku, 1961, publié en français par la NRF en 1971) intitulée Yûkoku ou les Rites d’amour et de mort donne l’impression d’avoir constitué une sorte de répétition de cette horrible mise en scène.

Ce n’est pas par hasard que Mishima a donné à ce court métrage, dont il est à la fois l’acteur principal et le réalisateur, le sous-titre de « les Rites de l’amour et de la mort » et qu’il a choisi pour musique de fond « Mort d’amour » (Liebestod), le thème final de l’opéra « Tristan et Isolde » de Richard Wagner. Le film, tourné en noir et blanc, ne contient aucun dialogue et il fait de multiples références au théâtre Nô.

On peut le considérer comme une sorte de condensé des principes esthétiques de Mishima qui a contribué à amalgamer son personnage et son œuvre aux yeux du public, au même titre que ses autres comportements et déclarations excentriques. C’est ainsi que le romancier japonais est devenu un mythe qui a débouché sur ce qu’on a appelé le « problème Mishima », c’est-à-dire la quasi impossibilité de dissocier l’individu de son œuvre. Les spécialistes de la littérature répètent à qui mieux mieux qu’il ne faut pas confondre les personnages de fiction avec leur créateur. Pourtant c’est peut-être en cela que réside l’un des secrets de l’influence mondiale durable de Mishima Yukio. En se créant un personnage, le romancier japonais a donné lieu à un amalgame complexe et envoûtant autour de sa personne et ce faisant, forgé un véritable mythe toujours vivant qui continue à susciter de l’intérêt pour son œuvre.

Une œuvre avec des racines multiculturelles

À vrai dire, on pourrait aussi expliquer l’impact international de Mishima par les racines multiculturelles de son œuvre. Il a d’ailleurs lui-même insisté sur son attachement à toutes sortes de traditons culturelles et littéraires. De la Grèce antique au symbolisme. Du bouddhisme et des formes théâtrales du Japon prémoderne (1573-1868) à la littérature allemande et française du XXe siècle. De Yamamoto Jôchô (1659-1719), l’un des plus éminents théoriciens de la « voie du guerrier » (bushidô) auteur du fameux traité « À l’ombre des feuilles » (Hagakure), jusqu’à l’école romantique japonaise en passant par Friedrich Nietzsche (1844-1900) et les écrivains de l’Europe de l’Est des années 1960.

Mais il suffit de regarder les peintures et les installations récentes d’artistes internationaux se réclamant de Mishima ou de sa mouvance pour se rendre compte que les jeunes générations ne sont pas forcément attirées par son œuvre littéraire en premier lieu, mais plus par le personnage.  À preuve la manifestation organisée en 2009 par le Benesse Art Site sur l’île de Naoshima, dans la préfecture de Kagawa, où un jeune artiste habillé comme Mishima a mimé le dernier discours de l’écrivain juste avant son suicide. Ou bien les nombreuses vidéos à prétention artistique mises en ligne sur You Tube qui puisent dans l’immense collection de photographies de l’auteur à toutes les phases de sa vie et mettent l’accent sur sa passion pour le culturisme et les arts martiaux, avec en toile de fond de la musique punk ou heavy metal. Elles sont toutes révalatrices d’une fascination persistante pour Mishima Yukio alimentée par le mythe que l’écrivain a commencé lui-même à créer autour de sa personne de son vivant.

En mars 2010, Hayashi Michio (né en 1959), professeur à la Faculté des sciences humaines de l’Université Sophia de Tokyo, a fait un exposé sur le thème « Mishima dans l’art », le deuxième jour du colloque organisé à Berlin par l’Académie des sciences de Berlin-Brandebourg (BBAW) l’Université libre de Berlin (FUB) et le Centre nippo-allemand de Berlin (JDZB). (© Hijiya Shûji)
En mars 2010, Hayashi Michio (né en 1959), professeur à la Faculté des sciences humaines de l’Université Sophia de Tokyo, a fait un exposé sur le thème « Mishima dans l’art », le deuxième jour du colloque organisé à Berlin par l’Académie des sciences de Berlin-Brandebourg (BBAW) l’Université libre de Berlin (FUB) et le Centre nippo-allemand de Berlin (JDZB). (© Hijiya Shûji)

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