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Immersion dans la villa Tokiwa, la mythique demeure des grands noms du manga

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La villa Tokiwa, à Tokyo,est une résidence quasi légendaire, un immeuble d’appartements où certains des plus grands artistes de l’Âge d’Or du manga, tels Tezuka Osamu ou Fujiko Fujio, ont vécu et travaillé dans leur jeunesse. Si la villa Tokiwa a été démantelée en 1982, elle est à présent reconstruite et transformée en Musée du manga ou plutôt, en un coin de terre sacrée pour les fans du Japon et d’ailleurs...

La résidence de célèbres auteurs de manga a ressuscité

La villa Tokiwa (ou Tokiwa-sô) fut fondée à l’origine le 6 décembre 1952, dans l’arrondissement de Toshima, tout près du quartier d’Ikebukuro. À cette époque, c’était un immeuble d’appartements de mortier et de bois très ordinaire. Le loyer était de 3 000 yens par mois.

Reconstitution de l’étage, où habitaient les mangakas. Dix chambres de 4 tatamis et demi (environ 12 m2) disposées de part et d’autre du couloir central, face à face. Toutes les portes étaient toujours ouvertes, dit-on.
Reconstitution de l’étage, où habitaient les mangakas. Dix chambres de 4 tatamis et demi (environ 12 m2) disposées de part et d’autre du couloir central, face à face. Toutes les portes étaient toujours ouvertes, dit-on.

Tezuka Osamu, le « père du manga » (Astro le petit robot, Black Jack...) emménagea dans la villa Tokiwa l’année suivante, en 1953, sur la présentation de Gakudô-sha, qui était l’éditeur du magazine Manga shônen. D’autres mangakas ont très vite suivi, également présentés par Gakudô-sha : par exemple Terada Hiroo, l’auteur de Sportsman Kintarô. La plupart d’entre eux étaient de jeunes et talentueux artistes, tous admirateurs de Tezuka. Viendront alors le duo Fujiko Fujio, créateur de Doraemon et de Kaibutsu-kun, Ishinomori Shintarô l’auteur des Kamen rider et Cyborg 009, ou encore Akatsuka Fujio, qui créera Tensai Bakabon. 

Après le départ de Tezuka en 1954, Terada, leader de facto des locataires de la villa Tokiwa, fonda avec ses acolytes le Nouveau Parti du Manga (Shin-manga-tô), et la demeure fut bientôt connue sous le nom de « Mont Liang du manga », du nom d’une montagne en Chine qui forme le repère de 800 bandits héroïques dans le roman classique Au bord de l’eau.

Soixante ans plus tard, une réplique de la villa Tokiwa a été construite dans le jardin public de Minami-Nagasaki, surnommé depuis « le parc de la villa Tokiwa », à 300 mètres à peine de son emplacement original. Il a été artificiellement patiné pour lui redonner son atmosphère de l’époque d’après-guerre.

Les murs extérieurs semblent maculés de terre et de pluie. Les tatamis des pièces donnent l’impression d’avoir été longtemps bronzés au soleil. Les bols de râmen qui traînent dans la cuisine commune portent le nom de Matsuba, qui était celui d’un restaurant de cuisine chinoise du quartier que les locataires de la villa fréquentaient assidûment. Seuls trois bols de cette époque existent encore aujourd’hui, et les patrons du Matsuba en ont offert un au musée.

La cuisine commune a été reproduite avec grand soin. Akatsuka et Ishinomori utilisaient souvent les éviers du fond comme salle de bain pour se laver.
La cuisine commune a été reproduite avec grand soin. Akatsuka et Ishinomori utilisaient souvent les éviers du fond comme salle de bain pour se laver.

La reconstitution de la villa Tokiwa a été confiée à l’entreprise Tansei-sha, qui a réalisé dans le passé le Musée du manga Ishinomori à Ishinomaki (préfecture de Miyagi), et le musée d’art du manga de Yokote Masuda (préfecture d’Akita). La collecte des documents qui ont servi de base à la reconstitution a commencé dès 2010.

Katô Tsuyoshi, directeur de la création chez Tansei-sha, raconte :

« Il ne restait aucun plan de la villa Tokiwa d’origine, mais nous avons retrouvé une photographie prise pendant la démolition, ce qui nous a permis de reconstituer la structure et le plan des étages. Et les anciens locataires ont bien voulu nous laisser consulter les photos qu’ils possédaient de l’intérieur et de l’extérieur. En fait, ces photos étaient toutes en noir et blanc et dataient presque principalement des dernières années du bâtiment, quand il était déjà bien délabré. Nous avons dû procéder à de nombreux entretiens pour reconstituer les couleurs et la patine de l’époque. »

Jusqu’au grincement de l’escalier

La villa Tokiwa était un bâtiment à structure de bois et murs de mortier. En conformité avec les normes actuelles en matière de construction, le nouveau musée du manga a été reconstruit avec une structure métallique, mais les murs sont à structure composite, de façon à cacher cette structure métallique et à présenter l’aspect extérieur d’un véritable appartement en bois. Les motifs figurant sur le bois du plafond ont été reproduits exactement comme ceux que Tezuka avait signé lui-même lors de la démolition et avait envoyé en souvenir aux clubs de presse de province. Plusieurs plaques de plafond étaient stockées aux archives de l’arrondissement, elles ont été scannées avec une caméra haute définition, pour reproduire les motifs exacts sur des plaques modernes aux normes anti-incendie.

Les grincements de l’escalier en bois aussi ont été reconstitués.

« Pour les mangakas du Tokiwa-sô, ces grincements avaient une signification très importante, explique M. Katô. Il pouvait s’agir de l’arrivée d’un éditeur, par exemple, qui venait passer une commande, ou récupérer des originaux. C’est pourquoi nous avons tenu à les reproduire. L’aménagement a été entièrement conçu, non pas comme une façon de meubler une structure intérieure existante, mais en nous impliquant directement dans la conception architecturale. » 

Un espace entre la marche et la contremarche en acier a été ménagé de façon à provoquer un plissement quand on monte dessus, puis couvert d’une couche de résine de pin de façon à provoquer un joli grincement.

Le courage de vouloir devenir mangaka

Pourquoi une si grande attention portée aux détails ?

« La villa Tokiwa est un endroit spécial pour les fans. Je voulais me montrer à la hauteur de leurs attentes, se souvient M. Katô. Par exemple, je voulais donner l’impression que les locataires étaient encore en train de dessiner leurs mangas un instant plus tôt. C’est pourquoi le plus grand compliment que j’ai reçu, c’est quand, sur Twitter, quelqu’un a dit : “J’ai l’impression de sentir l’odeur des toilettes !” (rires) »

La chambre d’Akatsuka Fujio. Il est possible de prendre une photo souvenir de sa table de travail (ce service est actuellement arrêté par mesure anti-coronavirus)
La chambre d’Akatsuka Fujio. Il est possible de prendre une photo souvenir de sa table de travail (ce service est actuellement arrêté par mesure anti-coronavirus)

Cependant, il ne faudrait pas prendre ce lieu pour un banal appartement rétro de la nostalgie de l’époque d’après-guerre, pas plus qu’un vestige des rêves de quelques jeunes hommes de talent. Comme le souligne Mme Satonaka Machiko, présidente de l’Association des mangakas japonais, qui a présidé le comité de gestion du Musée du manga de la villa Tokiwa :

« Aujourd’hui, le manga et l’animation japonaise sont connus et appréciés dans le monde entier, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps où le simple fait de dire “je veux devenir mangaka” vous faisait regarder de travers. C’est dire l’incroyable courage que nos aînés de la villa Tokiwa ont montré en décidant de franchir le pas, l’esprit de défi qu’il fallait à l’époque pour sauter à pieds joints dans le monde du manga. Si leurs chambres étaient minuscules, leurs rêves étaient immenses. Ils se stimulaient et s’encourageaient les uns les autres, se soutenaient pour pousser leur originalité individuelle. Leur défi allait jusqu’à viser toujours plus loin et plus haut que leurs aînés. Les chefs d’œuvres qu’ils admiraient ne les arrêtaient pas, eux feraient encore mieux. Voilà ce qui est important de transmettre au monde entier et aux générations futures, grâce à cet endroit et par des expositions spéciales : l’essence du manga japonais est né ici, à la ville Tokiwa ! »

La chambre de Mizuno Hideko, la seule mangaka femme de la villa Tokiwa. Elle était arrivée à 18 ans, son unique valise à la main du fin fond de Shimonoseki. C’est ici qu’elle a dessiné plusieurs histoires avec Akatsuka et Ishinomori.
La chambre de Mizuno Hideko, la seule mangaka femme de la villa Tokiwa. Elle était arrivée à 18 ans, son unique valise à la main du fin fond de Shimonoseki. C’est ici qu’elle a dessiné plusieurs histoires avec Akatsuka et Ishinomori.

Attirer les jeunes pour la renaissance de la rue commerçante du quartier

Les habitants du quartier espèrent que le Musée de la villa Tokiwa aidera à revitaliser le commerce, qui en a bien besoin.

Dans la période de reconstruction après la guerre, les immeubles locatifs accueillant des jeunes de tout le pays comme celui-ci poussaient comme des champignons dans le quartier de Shiina-machi, qui bénéficiait de la proximité d’Ikebukuro et d’une bonne desserte en tramway et bus pour aller en centre-ville. Une galerie marchande de 500 mètres et de 200 boutiques se mit en place, qui devint le point d’attraction de la vie du quartier. Malheureusement, il reste à peine une dizaine de magasins ouverts aujourd’hui, et la rue de la villa Tokiwa est devenue une rue commerçante fantôme.

Koide Mikio, porte-parole du projet de revitalisation du commerce local, a fermé la boutique d’horlogerie que son père avait ouvert devant le parc de la villa Tokiwa, et s’est associé avec une grande librairie d’occasion pour se reconvertir en profitant de l’ouverture du Musée. Il propose environ 7 000 volumes de mangas et livres des auteurs qui ont fait la gloire de la villa, et un espace salon de thé en reprenant le nom de celui que fréquentaient Ishinomori et les autres locataires à l’époque : l’Eden.

Koide Mikio est très enthousiaste :

« Cela prendra peut-être du temps, mais je veux que des jeunes profitent des magasins vides et investissent dans des projets originaux qui ramèneront de l’animation dans notre rue ! »

La crise du coronavirus a contraint à repousser la date d’ouverture du 22 mars au 7 juillet, et les mesures de distanciation et de restriction sanitaire sont toujours en vigueur, mais l’effet est déjà sensible. Ce sont plus de 400 visiteurs qui viennent les samedi, dimanche et jours fériés, et l’on remarque des familles qui se promènent dans le quartier et dans la rue de la villa Tokiwa. Chez Matsuba, le restaurant chinois, le « râmen à l’ancienne » est très demandé.

Une amitié forgée autour des râmen et de la villa Tokiwa

Par ailleurs, il suffit de relire le manga Obake no Q-tarô (Q-tarô le fantôme) de Fujiko Fujio pour voir un personnage qui revient souvent dans la série : Koike, l’amateur de râmen.

Ce Koike est une personne réelle. Il est basé sur Suzuki Shin’ichi, actuellement directeur du Musée de l’animation de Suginami, de l’Université polytechnique de Tokyo. M. Suzuki, natif de Shimonoseki (préfecture de Yamaguchi), a vécu une dizaine de mois à la villa Tokiwa à son arrivée à Tokyo en août 1955. Il est devenu artiste d’animation et a fondé une société de production et planning d’animation appelée Studio Zero, avec le duo Fujiko Fujio et plusieurs autres mangakas. C’est lui qui a produit les séries animées d’Osomatsu-kun (Akatsuka) et Perman (Fujiko Fujio).

Monument en l’honneur des vendeurs de râmen ambulants, dessiné par M. Suzuki lui-même et érigé dans le parc de la villa Tokiwa. Dans les mangas de Fujiko Fujio, Koike a toujours une ride de souci entre les deux yeux. Mais ici, il est toujours souriant. (© Suzuki Shinichi, Source : arrondissement de Toshima)
Monument en l’honneur des vendeurs de râmen ambulants, dessiné par M. Suzuki lui-même et érigé dans le parc de la villa Tokiwa. Dans les mangas de Fujiko Fujio, Koike a toujours une ride de souci entre les deux yeux. Mais ici, il est toujours souriant. (© Suzuki Shin’ichi, photo fournie par l’arrondissement de Toshima)

L’apparition du personnage de Koike est au cœur de l’amitié qui liait les locataires de la villa Tokiwa entre eux. Suzuki Shin’ichi raconte : 

« À l’époque, nous avions coutume de dessiner et de donner des caricatures de nos amis le jour de leur anniversaire. Pour mon anniversaire aussi, j’ai reçu des caricatures de la part de tout le monde, mais ce n’était pas très ressemblant. Jusqu’à ce que quelqu’un me dessine avec les cheveux bouclés en choucroute sur la tête, et là, tout le monde a dit : « Ah ouais, marrant ! ». Le duo Fujiko Fujio s’en est souvenu, et quand ils ont créé Obake no Q-tarô, ils ont inventé ce personnage, Koike, qui vit dans le même appartement et qui est tout le temps en train de manger des râmen devant l’immeuble. Vous parlez d’une surprise quand je l’ai reconnu ! J’étais super content ! »

Et pourquoi le personnage s’appelle-t-il Koike alors que son vrai nom est Suzuki ? Eh bien, parce qu’en quittant la villa Tokiwa, M. Suzuki est devenu locataire chez les Koike, ce qui fait que Fujiko Fujio a cru que son nom de famille était Koike.

Les mangakas de la villa Tokiwa étaient tous pauvres. Ils économisaient autant qu’ils le pouvaient sur la nourriture, les vêtements et les bains publics, mais n’économisaient jamais pour leurs amis, les films et les livres.

« Nous ne parlions quasiment jamais de manga, uniquement de films de SF et des romans policiers que nous avions lus ou vus récemment, déclare M. Suzuki. C’est jouer, bavarder, voyager avec les amis qui nourrissait leurs mangas. Et quand l’un d’entre eux avait du succès, tout le monde était heureux. Et quand l’un ou l’autre avait besoin d’un coup de main, ceux qui avaient une minute lui servaient d’assistant. Asseyez-vous sur les tatamis de ces chambres minuscules, et si vous ressentez cette ambiance, je suis sûr qu’Akatsuka et Ishinomori seront heureux. »

Musée du manga de la villa Tokiwa

  • Horaires d’ouverture : de 10 h à 18 h (dernière admission à 17 h 30)
  • Fermé le lundi (ou le jour suivant si le lundi est un jour férié national), jours fériés de fin d’année et Nouvel An, période de renouvellement des expositions temporaires.
  • Tarif : gratuit (les expositions spéciales peuvent être payantes)
  • Adresse : 3-9-22 Minami-Nagasaki, Toshima-ku, Tokyo
  • Accès : métro Toei Ôedo Line, à 5 minutes à pied de la station Ochiai Minami-Nagasaki / train ligne Seibu Ikebukuro, 10 minutes à pied de la gare de Higashi-Nagasaki ou à 15 minutes à pied de la gare de Shiina-machi.
  • Site web (en anglais) https://tokiwasomm.jp/en/

(Photo de titre : vue extérieure du Musée du manga de la villa Tokiwa. Le pilier carré où était écrit « Tokiwa-sô » et le palmier à côté de l’entrée ont également été reproduits. Photos : Amano Hisaki, sauf mention contraire)

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