Les Cent Contes : les histoires japonaises des terrifiantes créatures « yôkai »

Culture Tradition

Allumez des bougies et éteignez les une à une à mesure que vous racontez des histoires effrayantes... Quand la dernière chandelle est éteinte, quelque chose d’horrible va arriver ! Une introduction à la tradition japonaise séculaire des « Cent Contes », par un éminent spécialiste du folklore.

Yumoto Kôichi YUMOTO Kōichi

Chercheur spécialisé dans le folklore et les créatures yôkai. Né en 1950 à Sumida, Tokyo. Il a été conservateur en chef du Musée de Kawasaki. Il a travaillé plus de trente ans à la collecte, la conservation et la mise en valeur de la tradition des yôkai. Directeur honoraire du Yumoto Kôichi Memorial Japan Yôkai Museum (Miyoshi Mononoke Museum).

Traverser les époques en s’adaptant

Yumoto Kôichi dit que la culture des yôkai disposait d’une multitude de sources où puiser son inspiration. « Il y avait des adaptations de contes et d’histoires empruntés à la Chine et au bouddhisme, mais les conteurs ne se limitaient pas à ce bagage ; ils avaient aussi intégré un nombre important d’éléments animistes. En témoigne tout particulièrement l’essor du concept de tsukumogami, désignant des objets qui acquièrent un esprit au bout d’un certain nombre d’années. N’importe quel objet peut se transformer en un yôkai de ce genre, et il en existe toutes sortes d’images. »

À l’ère Meiji (1868-1912), des objets comme les pousse-pousse, les lampes et les parapluies à l’occidentale ont rejoint les rangs des yôkai. À l’arrivée du chemin de fer et des locomotives à vapeur, des histoires de tanuki se transformant en locomotives ont commencé à circuler, tandis que l’avènement des appareils photo a inspiré des histoires d’apparition de fantômes sur des photographies.

« Les récits d’événements étranges traversent les époques et les sociétés en s’adaptant constamment aux changements, et ils se perpétuent. Aujourd’hui encore, les sentiments de peur et de familiarité à l’égard des yôkai continuent de cohabiter. Chaque été, quand la télévision diffuse des émissions spéciales d’horreur, il y a probablement des téléspectateurs qui ont peur l’aller seuls aux toilettes, tout en serrant dans leurs mains des téléphones portables d’où pendent des breloques représentant de gentils yôkai. »

Les yôkai doivent certes leur vogue actuelle à la popularité des mangas de Mizuki Shigeru et aux romans d’horreur de Kyôgoku Natsuhiko, mais, comme le remarque Yumoto Kôichi, leurs racines culturelles très anciennes ont joué elles aussi un rôle indispensable.

Selon lui, la majorité des Japonais ont une image mentale de créatures comme kappa, oni, ou tengu. « Ce n’est pas quelque chose qu’ils apprennent de leurs parents ou de leurs professeurs ; cela vient de la culture des yôkai, qui remonte à l’époque d’Edo et dont tout le monde hérite. C’est à cause de cette culture que le Kitarô de Mizuki Shigeru est devenu un personnage si populaire. À mesure que les dessinateurs de mangas de yôkai puisent leur inspiration chez Mizuki et que croît la demande de yôkai, la base s’élargit et la culture se transmet. »

Partager la culture des yôkai avec le reste du monde

En avril 2019, le Miyoshi Mononoke Museum s’est ouvert à Miyoshi, préfecture de Hiroshima, lieu présumé le l’envoûtement du samouraï Heitarô. Le plus beau fleuron de cet établissement, également connu sous le nom de Yumoto Kôichi Memorial Japan Yôkai Museum, est la collection de livres, rouleaux illustrés, jouets et autres objets ayant un lien avec les yôkai accumulés par Yumoto Kôichi pendant plus de 30 ans.

« Diverses initiatives ont été prises en vue de consolider les fondations de la recherche sur les yôkai, telles que la constitution d’une base de données à leur sujet au Centre international de recherches pour les études japonaises, mais je souhaitais de mon côté créer un musée dédié aux yôkai. À l’heure actuelle, le risque existe que les matériaux non utilisés dans la recherche sombrent dans l’oubli. Parallèlement à la recherche, il faut qu’il y ait un musée spécifiquement chargé de préserver les matériaux pour les générations à venir. La vocation de cet établissement ne doit pas se limiter à encourager l’essor du tourisme local. Ce doit être un endroit doté d’une équipe d’experts qui, conscients qu’il est important de prendre soin des matériaux pour les transmettre à la postérité, se préoccupent de problèmes tels que l’humidité et l’éclairage lors de l’exposition ou du stockage des articles, et les réparent quand cela s’avère nécessaire. Ce doit aussi être un endroit où les gens puissent effectuer des recherches. »

Le partage de la culture des yôkai avec le reste du monde est un autre projet qui suscite l’enthousiasme de Yumoto Kôichi. En 2018, lors des événements qui ont accompagné la célébration du 150e anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et l’Espagne, une partie de la collection de Yumoto a fait l’objet d’une exposition à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando à Madrid. Yumoto Kôichi projette de mettre sur pieds une exposition internationale itinérante en 2021.

« Je veux que, dans le monde entier, les gens voient de leurs propres yeux l’unicité de la culture japonaise des yôkai et son pouvoir de fascination. Le mot manga est désormais connu internationalement, et le yôkai suit le même chemin. »

(Texte et interview de Yumoto Kôichi par Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : détails du Hyaku monogatari emaki, ou « Rouleau de Peintures des Cents Contes », un ouvrage en deux volumes de Hayashi Kumatarô datant de l’ère Meiji. Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

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