Les Cent Contes : les histoires japonaises des terrifiantes créatures « yôkai »

Culture Tradition

Allumez des bougies et éteignez les une à une à mesure que vous racontez des histoires effrayantes... Quand la dernière chandelle est éteinte, quelque chose d’horrible va arriver ! Une introduction à la tradition japonaise séculaire des « Cent Contes », par un éminent spécialiste du folklore.

Yumoto Kôichi YUMOTO Kōichi

Chercheur spécialisé dans le folklore et les créatures yôkai. Né en 1950 à Sumida, Tokyo. Il a été conservateur en chef du Musée de Kawasaki. Il a travaillé plus de trente ans à la collecte, la conservation et la mise en valeur de la tradition des yôkai. Directeur honoraire du Yumoto Kôichi Memorial Japan Yôkai Museum (Miyoshi Mononoke Museum).

L’envoûtement de Heitarô

La tradition du hyaku monogatari a inspiré des auteurs modernes et contemporains comme Lafcadio Hearn, Mori Ôgai et Kyôgoku Natsuhiko. Elle occupe aussi une place importante dans le « Recueil de l’Esprit d’Inô » (Inô mononoke-roku), récit d’un envoûtement légendaire, survenu dans la ville de Miyoshi, préfecture de Hiroshima, au cours duquel un jeune samouraï reçoit la visite d’une kyrielle de yôkai.

L’histoire raconte que, tout au long du septième mois (selon l’ancien calendrier japonais) de l’année 1749, Inô Heitarô, un jeune homme de 16 ans vivant à Miyoshi, a été harcelé jour et nuit par une pléthore de créatures et de phénomènes étranges, mais qu’il est sorti indemne de cette épreuve. Si l’on en croit le recueil, c’est en éteignant les chandelles l’une après l’autre, conformément au rituel du hyaku monogatari qu’il accomplissait en compagnie d’un ami, que Heitarô a déclenché ce redoutable carnaval d’esprits. On dit qu’il à donné plus tard un récit de ses jeunes années, lorsqu’il s’est rendu à Edo (aujourd’hui Tokyo) pour y travailler dans la résidence qu’y possédait le seigneur de son domaine.

« Cette histoire s’est répandue au delà de son territoire d’origine sous la forme de rouleaux de peintures, d’ouvrages manuscrits et de livres d’images. Comme ils étaient faits à la main, il n’était pas possible de les produire à des centaines d’exemplaires, mais les lecteurs pouvaient les emprunter aux prêteurs de livres, et il est donc probable qu’un grand nombre de gens y ont eu accès. Certains des yôkai représentés sur les rouleaux de peintures étaient très impressionnants tandis que d’autres étaient enfantins ou mignons. »

Dans ce carrousel de yôkai figurait une tête coupée de femme qui marchait à l’envers, utilisant ses cheveux en guise de jambes et riant à gorge déployée, ainsi qu’une tête géante de vieille femme qui pendait du plafond et léchait le visage de Heitarô en train de dormir. Les recherches du spécialiste de l’époque d’Edo Hirata Atsutane témoignent de l’intérêt prodigieux que lui a inspiré cette histoire, qui a également fasciné des écrivains comme Izumi Kyôka au point qu’ils en fassent un motif récurrent de leurs ouvrages.

 Détails du Inô mononoke roku emaki (Rouleau de Peintures du Recueil de l’Esprit d’Inô) de l’époque d’Edo, qui fait le récit des événements étranges censément survenus le premier jour du septième mois de l’an 1749. À gauche, Heitarô est saisi par la main d’un géant, qui apparaît au dessus du mur. À droite, son ami Gonpachi, qui a lui aussi participé au tragique événement, reçoit la visite d’un yôkai dans la maison d’à côté. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)
Détails du « Rouleau de Peintures du Recueil de l’Esprit d’Inô » (Inô mononoke roku emaki) de l’époque d’Edo, qui fait le récit des événements étranges censément survenus le premier jour du septième mois de l’an 1749. À gauche, Heitarô est saisi par la main d’un géant, qui apparaît au dessus du mur. À droite, son ami Gonpachi, qui a lui aussi participé au tragique événement, reçoit la visite d’un yôkai dans la maison d’à côté. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

Détails du Hyaku monogatari emaki (Rouleau de Peintures des Cents Contes) de l’ère Meiji (1868-1912). Dans le Japon en voie de modernisation, la parution d’ouvrages traitant du Recueil de l’Esprit d’Inô ne s’est pas tarie. Cette illustration représente la créature arrivée le trentième jour du septième mois. Il s’agit d’un yôkai constitué de cendres apparu dans la cheminée du bâtiment. Un grand nombre de vers rampent en outre sur le sol de la pièce. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)
Détails du « Rouleau de Peintures des Cents Contes » (Hyaku monogatari emaki) de l’ère Meiji (1868-1912). Dans le Japon en voie de modernisation, la parution d’ouvrages traitant du « Recueil de l’Esprit d’Inô » ne s’est pas tarie. Cette illustration représente la créature arrivée le trentième jour du septième mois. Il s’agit d’un yôkai constitué de cendres apparu dans la cheminée du bâtiment. Un grand nombre de vers rampent en outre sur le sol de la pièce. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

Effrayants et mignons

Les yôkai sont nés de la peur que la nature et l’obscurité inspiraient aux gens. « Les Japonais de l’époque d’Edo, dit Yumoto Kôichi, avaient des antennes très sensibles à tout ce qui pouvait grouiller dans les ténèbres. Dans les rues de la ville, il n’y avait pratiquement aucune lumière après le crépuscule, si bien que l’obscurité était une présence familière. Des rumeurs qui donnaient le frisson pouvaient surgir dans une communauté ou un quartier, sans nécessairement voyager plus loin. » Il existait des recueils de Nana fushigi, ou « Sept histoires mystérieuses », associés à différents endroits de la ville, tels que Honjo, Kôjimachi et Azabu. À l’époque d’Edo, la peur du surnaturel cohabitait avec une vision des yôkai perçus comme des hôtes mignons et amicaux du voisinage. Le second point de vue se nourrissait des portraits attachants des yôkai que véhiculaient les rouleaux de peintures et les impressions à la planche.

« L’usage très répandu de l’impression à la planche permettant à chacun de les acquérir à bas prix, les images de yôkai sont devenues des objets familiers. À mesure que s’estompait la peur des yôkai, les images avaient de plus en plus tendance à en donner une représentation bon enfant. Suite à la vague de popularité du hyaku monogatari, les yôkai ont fait leur apparition sur les motifs décoratifs des kimonos, les sculptures miniatures netsuke et les cartes et jeux pour enfants.

Cartes karuta, contemporaines ou postérieures à l’époque d’Edo, représentant des yôkai. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)
Cartes karuta, contemporaines ou postérieures à l’époque d’Edo, représentant des yôkai. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

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