Les Cent Contes : les histoires japonaises des terrifiantes créatures « yôkai »

Culture Tradition

Allumez des bougies et éteignez les une à une à mesure que vous racontez des histoires effrayantes... Quand la dernière chandelle est éteinte, quelque chose d’horrible va arriver ! Une introduction à la tradition japonaise séculaire des « Cent Contes », par un éminent spécialiste du folklore.

Yumoto Kôichi YUMOTO Kōichi

Chercheur spécialisé dans le folklore et les créatures yôkai. Né en 1950 à Sumida, Tokyo. Il a été conservateur en chef du Musée de Kawasaki. Il a travaillé plus de trente ans à la collecte, la conservation et la mise en valeur de la tradition des yôkai. Directeur honoraire du Yumoto Kôichi Memorial Japan Yôkai Museum (Miyoshi Mononoke Museum).

Selon Yumoto Kôichi, spécialiste des yôkai (esprits et monstres surnaturels issus du folklore nippon), la tradition culturelle japonaise ininterrompue qui puise son inspiration dans les frissons de terreur remonte à l’époque d’Edo (1603-1868). En ce temps-là, les recueils de hyaku monogatari (« Cent Contes ») jouissaient d’une immense popularité à tous les échelons de la société, que ce soit sous forme de livres ou à l’occasion de rassemblements où l’on échangeait des histoires fantastiques. Ils prennent leur source dans une pratique légendaire, consistant à allumer des bougies et à les éteindre une à une à l’issue de chacun des récits d’une longue suite d’histoires effrayantes. Une fois la dernière chandelle éteinte et les auditeurs plongés dans l’obscurité, quelque chose d’étrange et d’horrible est censé se produire.

Il n’existe aucune certitude quant aux origines de cette coutume, mais on pense qu’elle prend sa source dans les épreuves destinées à tester le courage des samouraïs à l’époque de Muromachi (1333-1568), reprises ensuite à titre de simples passe-temps par les gens ordinaires de l’époque d’Edo.

Des contes perçus comme des histoires vraies

« On donnait à ces recueils le nom de “Cent Contes”, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils en contenaient exactement cent », dit Yumoto. De même, explique-t-il, qu’une expression comme yaoyorozu (écrit avec les caractères 八百万) signifie littéralement 8 millions mais évoque simplement une énorme quantité, « cent contes » doit être compris comme « un grand nombre de contes ». Parmi les recueils qui, comme le Shokoku hyaku monogatari (« Cent Contes Provenant de Nombreuses Terres », 1677) et le Otogi hyaku monogatari (« Cent Contes Fantastiques », 1706) incluent le chiffre 100 dans leur titre, seul le premier contenait véritablement ce nombre de contes.

Katsushika Hokusai, Hyaku monogatari : Sarayashiki (Cent Contes : le Manoir aux Assiettes). (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)
Hyaku monogatari : Sarayashiki (Cent Contes : le Manoir aux Assiettes) de Katsushika Hokusai (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

« La mise en circulation de grandes quantités de livres écrits à la main étant impossible, l’essor de l’impression par gravure sur bois a contribué à la popularité des recueils de “cent contes”. Les images spectrales ornant les rouleaux suspendus attiraient les gens vers les rassemblements, et des artistes comme Katsushika Hokusai ont repris ce thème dans leurs œuvres imprimées à la planche. » Mais quel genre d’histoires contenaient les recueils ?

« Plutôt que de proposer des récits solidement construits », explique Yumoto Kôichi, « ils mettaient en scène des rassemblements où circulaient des histoires émaillées de phrases comme “ce conte a été transmis à tel ou tel endroit” et “j’ai entendu cela de la bouche d’Untel ou Untel”, qui accordaient une place prépondérante aux liens personnels avec les récitants. Ce faisant, ils construisaient des histoires basées sur ce que les participants disaient avoir vu ou entendu. Pour attirer les lecteurs, la préface de “Cent Contes Provenant de Nombreuses Terres” revendiquait une authenticité fondée sur une accumulation de détails concernant les protagonistes et la localisation des faits rapportés. »

 Tiré du troisième volume de Cent Contes Provenant de Nombreuses Terres. L’épouse d’un homme répondant au nom d’Abe Sôbei, morte de maladie suite aux mauvais traitements qu’il lui a infligés, revient sous la forme d’un esprit pour assouvir sa vengeance. (Avec l’aimable autorisation du Center for Open Data in the Humanities)
Tiré du troisième volume de « Cent Contes Provenant de Nombreuses Terres » (Shokoku hyaku monogatari). L’épouse d’un homme répondant au nom d’Abe Sôbei, morte de maladie suite aux mauvais traitements qu’il lui a infligés, revient sous la forme d’un esprit pour assouvir sa vengeance. (Avec l’aimable autorisation du Center for Open Data in the Humanities)

Présenté comme la version originelle des recueils de hyaku monogatari, « Cent Contes Provenant de Nombreuses Terres » est un ouvrage en cinq volumes regroupant des histoires provenant d’un vaste territoire allant du Tôhoku au nord-est à Kyûshû au sud-ouest. Un tiers environ de ces histoires concernent des fantômes, dont beaucoup sont d’un naturel jaloux et revanchard. C’est ainsi, par exemple, que le fantôme d’une première épouse morte en couches revient pour affronter sa remplaçante qui lui a jeté un sort et lui arrache la tête. D’autres histoires mettent en scène des monstres bizarres ou des animaux auréolés de mystère tels que serpents, renards, tanuki (chiens viverrins) et chats.

« Les légendes urbaines d’aujourd’hui sont racontées comme si elles s’étaient vraiment passées, mais à l’ère de l’information, si on nous dit que quelque chose est arrivé à tel ou tel endroit, nous pouvons vérifier en ligne ou nous rendre sur place. À l’époque d’Edo, en revanche, la majorité des gens ne quittaient jamais leur lieu de naissance. Si des personnes se rassemblaient et que quelqu’un disait “ceci s’est produit au Tôhoku...”, il n’existait aucun moyen de vérifier, l’impression de réalité s’en trouvait renforcée et les auditeurs prenaient plaisir à faire fonctionner leur imagination. »

Extraits du Ehon hyaku monogatari (Recueil Illustré des Cent Contes), publié en cinq volumes en 1841. L’image représente le « laveur de haricots », un ancien prêtre transformé en esprit après avoir été assassiné par un méchant compère, à Takada, Echigo (l’actuelle préfecture de Niigata). On le voit ici le soir, en train de laver des haricots azuki dans la rivière. Expert dans l’art de conter lorsqu’il était en vie, on dit qu’il connaissait le nombre exact des haricots qu’il manipulait rien qu’en les lavant. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)
Extraits du « Recueil Illustré des Cent Contes » (Ehon hyaku monogatari ), publié en cinq volumes en 1841. L’image représente le « laveur de haricots », un ancien prêtre transformé en esprit après avoir été assassiné par un méchant compère, à Takada, Echigo (l’actuelle préfecture de Niigata). On le voit ici le soir, en train de laver des haricots azuki dans la rivière. Expert dans l’art de conter lorsqu’il était en vie, on dit qu’il connaissait le nombre exact des haricots qu’il manipulait rien qu’en les lavant. (Avec l’aimable autorisation du Miyoshi Mononoke Museum)

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