Comment j’ai appris le japonais et suis devenue une « otaku »

Le japonais Anime Manga/BD Musique

Li Kotomi [Profil]

L’écrivain Li Kotomi, qui a grandi à Taïwan, a réussi à obtenir la plus prestigieuse récompense littéraire japonaise, le prix Akutagawa, en 2021, pour un livre écrit en japonais. Comment s’est-elle démenée pour apprivoiser cette langue ? Si la culture pop nippone n’est pas étrangère à ses résultats, elle parle aussi de l’influence de son caractère d’adolescente dans son parcours à la découverte de ses propres compétences.

Grandir avec la pop culture japonaise

Je suis une otaku.

À vrai dire, j’hésite un peu à affirmer ce statut. Je suis loin d’être une experte du monde bidimensionnel des personnages de manga et d’anime, et une partie de moi a le sentiment de manquer de respect envers les vrais otaku en revendiquant l’appartenance à leur communauté. Mais alors que la société « ordinaire » les regarde un peu de haut, exprimer de telles préoccupations semble montrer que je suis suffisamment qualifiée, et donc je continuerai à m’appeler ainsi, une otaku.

Je ne m’en suis rendue compte que plus tard, mais quand j’étais petite à Taïwan, moi-même et les autres enfants autour de moi vivions tous les mêmes délires et regardions les mêmes anime que les enfants de notre âge au Japon, et plus ou moins en même temps.

Dès mes premières années à l’école primaire, j’aimais me plonger dans le manga Détective Conan, mon imagination était capturée par le combat entre le héros et l’Organisation des hommes en noir, même si je ne comprenais pas les caractères hiragana et katakana qui apparaissaient parfois dans l’histoire comme indices pour mener les enquêtes.

Quand j’étais un peu plus âgée, nous sommes tous devenus obsédés par le magazine de prépublication de mangas mensuel CoroCoro Comic, et j’ai collectionné tous les derniers jouets du Japon, y compris les mini voitures sur circuit, les robots lanceurs de bille B-Daman, les Hyper Yoyo et les produits Beyblade. Au lycée, j’ai découvert les joies de la série animée Sakura, chasseuse de cartes, et suis devenue accro au manga Inuyasha.

Mais ce qui m’attirait le plus, c’était Pokémon. Je ne savais pas du tout lire le japonais à cette époque, mais cela ne m’a pas empêché de jouer aux jeux. Et je me suis assurée de ne jamais manquer l’un des épisodes hebdomadaires à la télévision (sauf lorsque mes parents se mettaient en travers du chemin...). J’ai collectionné les jouets et autres produits dérivés Pokémon puis j’ai regardé tous les films, vidéos et DVD. Je reste convaincue à ce jour que le premier film Pokémon, Mewtwo contre-attaque !, est un véritable chef-d'œuvre.

En fait, j’ai dû entendre parler de l’engouement pour ces « monstres de poche » avant même que la franchise ne débarque officiellement à Taïwan. Je me souviens d’un jour où j’étais dans les premières années de l’école primaire, apprenant tout juste à lire, lorsque mon attention a été attirée par un titre d’un journal local contenant ce mot intrigant « monstres de poche » en chinois. L’article s’est avéré être un reportage sur un fait controversé au Japon, où des centaines d’enfants avaient été transportés d’urgence à l’hôpital après avoir souffert de crises d’épilepsie alors qu’ils regardaient le nouvel épisode à la télévision : le trente-huitième épisode notoire de la première série, « Le Soldat virtuel Porygon ». La nouvelle a créé un grand émoi à Taïwan, car le « choc Pokémon » a eu des répercussions dans le monde entier.

À cette époque, je n’avais pas encore vu une seule fois l’anime. Ce n’est que plusieurs années plus tard que la série a commencé à être diffusée à la télévision taïwanaise. Le premier épisode que j’ai vu était le numéro 31, « Barrage contre Pokémon ». Cela m’a tout de suite plu. J’ai rapidement rattrapé l’histoire en lisant la version bande dessinée de la série et j’ai continué à regarder l’anime avec avidité jusqu’à mon entrée au lycée. Pour des raisons évidentes, l’épisode notoire 38 n’a jamais été diffusé à Taïwan et n’a pas non plus été inclus dans la version papier. Pendant de nombreuses années, celui-ci, souvent évoqué mais jamais diffusé, est resté pour moi un grand mystère.

Apprendre le japonais avec les génériques d’anime

La culture otaku a été un compagnon constant sur mon chemin vers l’apprentissage du japonais. J’ai grandi dans une ville de province où il n’y avait pas de professeurs de japonais, alors j’ai fait mes premiers pas en autodidacte vers l’âge de 13 ou 14 ans. Le premier syllabaire kana que j’ai appris n’était pas celui des hiragana mais celui des katakana. C’était le script dans lequel les noms des Pokémon étaient écrits. Ma connaissance de l’anglais m’a beaucoup aidé ici, car grand nombre des noms japonais ont été inspirés par des mots anglais.

Ma plus grande aide dans l’apprentissage des hiragana est venue des chansons d’anime. Ayant grandi dans l’ère du numérique, j’ai tout de suite cherché sur internet, où j’ai trouvé un tableau montrant les 50 sons du syllabaire hiragana avec leur prononciation donnée en rômaji. J’ai téléchargé la vidéo du thème Pokémon et j’ai tapé les paroles japonaises dans un fichier Word au fur et à mesure qu’elles apparaissaient à l’écran, en les recherchant sur le tableau et en les comparant aux prononciations rōmaji.

Chaque fois qu’un idéogramme kanji apparaissait, je le tapais en chinois. Ensuite, j’imprimais les paroles et commençais à chanter. Longtemps avant, j’avais mémorisé la plupart des caractères hiragana. J’ai repris les prononciations japonaises de certains kanji dans les paroles, apprenant des mots comme kimi 君 (tu), suki 好き (aimer), shônen 少年 (garçon), et monogatari 物語 (histoire). J’ai commencé alors à regarder des anime en version originale plutôt que doublée en chinois, et je suis tombé amoureux des sons des mots japonais.

Une feuille de paroles que j’ai créée peu de temps après avoir commencé à apprendre le japonais, montrant les paroles d’une chanson d’anime. En fait, si vous regardez attentivement, il y a pas mal d’erreurs ! (Photo avec l’aimable autorisation de l’auteure)
Une feuille de paroles que j’ai créée peu de temps après avoir commencé à apprendre le japonais, montrant les paroles d’une chanson d’anime. En fait, si vous regardez attentivement, il y a pas mal d’erreurs ! (Photo avec l’aimable autorisation de l’auteure)

Au fur et à mesure que mon niveau s’améliorait, je me suis essayé à d’autres chansons d’anime, y compris les thèmes de Détective Conan, Inuyasha et Hikaru no Go. C’est à cette époque que j’ai pu connaître d’autres chansons de Kuraki Mai, V6 et Dream, qui m’ont toutes faites une énorme impression. Même si je ne comprenais pas tout, je pouvais chanter assez facilement en suivant la prononciation du kana. C’était quelque chose d’un peu déroutant en soi : même si je connaissais beaucoup plus l’anglais que le japonais à cette époque, j’avais du mal à chanter en anglais. Je passais tout mon temps à chanter en japonais. Dans le processus, j’ai mémorisé toutes sortes de nouveaux mots. À cette époque, le vocabulaire passait avant tout la grammaire. Mais j’avais un esprit réactif et une bonne mémoire, donc même sans professeur, une fois que j’avais appris un mot comme kasumu (devenir flou) par exemple je pouvais tout de suite l’associer au personnage Kasumi dans Pokémon et comprendre ce que cela signifiait. De cette façon, j’ai progressivement construit ma propre image idiosyncrasique de la langue et de son fonctionnement.

C’est un peu plus tard, après avoir commencé à fréquenter le lycée de la ville, que je suis entrée en contact avec ce que j’appellerais du contenu otaku « complet » - des anime comme Shakugan no Shana, La mélancolie de Haruhi Suzumiya, et Lucky Star. Ces anime et d’autres ont été une autre source d’inspiration majeure. En plus de mes cours réguliers, j’ai commencé à suivre des leçons particuliètres une à deux fois par semaine, pour finalement recevoir des cours structurés de japonais en complément des cours d’autoformation que je suivais jusqu’alors. J’ai été embêtée et méprisée à l’école parce que j’étais une nerd doublée d’une otaku, mais il ne fait aucun doute dans mon esprit que m’immerger dans un anime comme celui-ci m’a été d’une grande aide dans mes études.

J’ai continué la pratique même après être entrée à l’université, en regardant ces anime et en écrivant les paroles des chansons que j’aimais. Étudier la langue de cette manière m’a aidé à perfectionner mes compétences à la fois en écoute et en écriture.

Comme tout bon otaku qui se respecte, j'ai visité un maid café à Akihabara, où la serveuse en costume de soubrette a écrit mon nom sur mon omuraisu (omelette au riz frit).
Comme tout bon otaku qui se respecte, j’ai visité un maid café à Akihabara, où la serveuse en costume de soubrette a écrit mon nom sur mon omuraisu (omelette au riz frit).

Suite > Le secret : se fabriquer sa propre boîte à bijoux de mots

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Li KotomiArticles de l'auteur

Écrivaine, traductrice et interprète en japonais et chinois. Née à Taïwan, elle apprend le japonais à l’âge de 15 ans tandis qu’elle produit ses premiers écrits romanesques en chinois. Installée depuis 2013 au Japon, elle publie en 2017 son premier roman rédigé en japonais, « Danse solitaire » (Hitori mai), couronné par le Prix Gunzô du premier roman. Elle a traduit elle-même cet ouvrage en chinois, qui a été publié à Taïwan.

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