Découvrir la culture aïnoue : une régénération culturelle et personnelle

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Kitahara Jirôta Mokottunas [Profil]

Né à Tokyo, Kitahara Jirôta Mokottunas s’intéresse depuis son plus jeune âge à ses racines aïnoues. Ses conversations avec sa grand-mère, qui a grandi sur l’île de Sakhaline, sont à l’origine de la curiosité qu’il éprouve pour cette culture dans toute sa diversité.

Des attitudes dédaigneuses

Bien que mon intérêt pour la culture aïnoue soit allé croissant tout au long de mes études secondaires, j’en parlais moins à mon entourage. Mes professeurs et mes camarades de classe ne savaient rien des Aïnous ou ne s’y intéressaient pas, si bien qu’on me regardait comme une curiosité, qui ne suscitait que des réactions de rejet. Dans les études sur le racisme, on emploie le mot « micro-aggression » pour désigner la façon dont les échanges quotidiens ordinaires peuvent, à un niveau inconscient ou non, être imprégnés d’une légère condescendance ou malveillance. Il est difficile de soulever le problème lorsque l’atteinte est mineure ou involontaire, mais elle n’en est pas moins blessante. Pendant de nombreuses années, je n’ai pas eu d’outil pour décrire mon expérience, mais le mot « micro-aggression » semble adéquat pour désigner les réactions de dédain ou de désintérêt à l’égard de la langue et de la culture de mes ancêtres, et pour parler des gens qui adoptent ces comportements.

J’ai poursuivi mon étude des croyances et de la langue aïnoues en suivant des cours du soir dans une université de Sapporo (la plus grande ville de l’île de Hokkaidô). Le cursus normal ne comportait que deux cours ; le reste du temps je fréquentais des séminaires privés. Plus j’étudiais, plus j’étais consterné à l’idée que tout le courant dominant de l’information était focalisé sur Hokkaidô, et que j’allais devoir mener mes propres recherches pour me renseigner sur Sakhaline.

Alors que je rassemblais des matériaux sur les croyances des Aïnous de Sakhaline au cours de mes études supérieures, j’ai commencé à avoir le sentiment que la culture aïnoue de Hokkaidô n’était pas homogène, mais offrait une riche palette de nuances. Je découvris aussi qu’il y en avait d’autres comme moi qui s’échinaient à trouver des informations sur leurs ancêtres de Hokkaidô. En 2005, la chance a voulu que je trouve un emploi de conservateur au Musée aïnou. Je l’avais visité à maintes reprises quand j’étais étudiant et j’y avais beaucoup appris. J’en étais venu moi aussi à vouloir partager ce que j’avais appris au cours de mes recherches auprès d’un grand nombre d’Utari.

Un homme en train de prier tient dans sa main droite un ikupasuy, un bâton cérémoniel utilisé dans les offrandes d’alcool aux divinités, et dans sa main gauche un bol à saké laqué provenant des échanges commerciaux avec le Japon.
Un homme en train de prier tient dans sa main droite un ikupasuy, un bâton cérémoniel utilisé dans les offrandes d’alcool aux divinités, et dans sa main gauche un bol à saké laqué provenant des échanges commerciaux avec le Japon.

Récemment, j’ai connu un moment de révélation en parlant avec une femme utari effectuant des recherches sur la culture matérielle. Privée de toute opportunité de rencontrer sa culture et son histoire pendant son enfance, elle n’avait connu que le dédain de la société envers les Aïnous. C’est à l’âge adulte qu’elle se mit à l’étude de la culture traditionnelle, devint chercheuse et s’engagea dans des activités de renouveau et d’éveil des consciences. Elle concevait ces activités comme une forme de « régénération », riche d’enseignements sur sa culture, et source d’inspiration pour en parler aux autres. En l’écoutant, la signification de « régénération culturelle » devint claire pour moi aussi.

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Kitahara Jirôta MokottunasArticles de l'auteur

Depuis 2010, maître de conférences au Centre de l’Université de Hokkaidô pour les études aïnoues et indigènes. Né à Tokyo en 1976. Sa grand-mère était une Aïnoue de Sakhaline et ses parents ont participé à la fondation de l’Association Kantô Utari, ce qui lui a offert dès son enfance l’opportunité d’être en contact avec les activités de renouveau culturel. Son intérêt pour les variantes de la langue et de la culture aïnoues en usage sur l’île de Sakhaline lui vient des conversations qu’il a eues dans sa treizième année avec sa grand-mère, Oda Toonintemah. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Chiba. Effectue des recherches sur les variantes régionales observées dans la forme et la signification des bâtons rituels inau des Aïnous et sur les points communs entre ces pratiques et celles de cultures avoisinantes. Auteur de « Les ustensiles rituels aïnous : recherche sur l’inau » (Ainu no saigu : Inau no kenkyû) et co-auteur de « Les fleurs et l’inau : la culture aïnoue dans le monde » (Hana to inau : Sekai no naka no Ainu bunka). Travaille depuis 2005 au Musée aïnou.

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