Découvrir la culture aïnoue : une régénération culturelle et personnelle

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Né à Tokyo, Kitahara Jirôta Mokottunas s’intéresse depuis son plus jeune âge à ses racines aïnoues. Ses conversations avec sa grand-mère, qui a grandi sur l’île de Sakhaline, sont à l’origine de la curiosité qu’il éprouve pour cette culture dans toute sa diversité.

Le nom de ma grand-mère

Alors que j’étais en cinquième au collège, il y eut un rassemblement à Shizunai (qui fait maintenant partie de Shinhidaka) à Hokkaidô, où des personnes d’un certain âge qui connaissaient bien la culture et la langue aïnoues ont pris la parole. J’y suis allé avec mon père, et ma grand-mère, informée de l’événement par ma mère, a elle aussi décidé de venir.

Ma grand-mère vivait alors dans la ville voisine de Biratori. Ma mère, semble-t-il, se souvenait que, lorsqu’elle était très jeune, les adultes parlaient entre eux en aïnou, mais ma grand-mère n’employait jamais cette langue, que ce soit en famille ou à l’extérieur de la maison. Avant ma naissance, ma mère lui posait des questions sur l’histoire de la famille, ainsi que sur le vocabulaire et les coutumes, mais elle n’obtenait jamais de réponse.

De façon tout à fait inattendue, après avoir assisté à un kamuy yukar au rassemblement de Shizunai, elle changea complètement d’attitude et me soutint dans mes efforts en vue de me renseigner sur les Aïnous.

À l’occasion d’une visite que je rendis à ma grand-mère pendant les vacances scolaires, elle me dit qu’elle avait un nom aïnou et m’apprit ceux de mes arrière-grands-parents. Elle s’appelait Toonintemah, un nom qui semble faire référence aux grandes quantités de lait qu’elle absorbait. Le nom de mon arrière-grand-père était Asketoku et celui de mon arrière-grand-mère Cikasuhpa. Il aurait dû être évident pour moi que ma grand-mère portait un nom aïnou, mais cela m’avait échappé jusque-là. Lorsque je l’appris, ce fut un choc pour moi, et j’acquis la certitude qu’il existait un lien entre l’histoire aïnou et moi-même.

La diversité au sein de la culture

Les conversations avec ma grand-mère se déroulaient dans une atmosphère tendue. Parler des Aïnous faisait ressortir chez elle nombre d’émotions complexes et il arrivait souvent qu’elle ne dise rien si elle ne se sentait pas d’humeur à parler. Je m’étonnais que les mots aïnous qu’elle employait sonnent parfois autrement que ceux que j’avais appris.

Par exemple, lorsqu’elle m’expliquait que sa méconnaissance de la langue aïnoue provenait du fait qu’elle vivait parmi les Wajin (la majorité ethnique de la province de Yamato), sa prononciation semblait plus longue pour les voyelles et le son ha donnait l’impression de jaillir d’une brève expiration. Lorsque je lui fis part de mes observations, elle me répondit que c’était parce qu’elle était originaire de Karafuto (le nom japonais de Sakhaline, une grande île aujourd’hui sous contrôle russe), et que, pour cette raison, sa façon de parler l’aïnou était différente de celle des gens de Hokkaidô. Le mot « Karafuto » s’est fixé dans mon cerveau.

Jusque-là, j’avais associé les Aïnous exclusivement à Hokkaidô, pourtant, avant l’époque moderne, le territoire où ils vivaient s’étendait du sud de Sakhaline et des îles Kouriles jusqu’à Hokkaidô et au nord du Tôhoku (le nord-est du Japon). À la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand l’Union soviétique a pris le contrôle des Kouriles et de Sakhaline, la majorité des Aïnous qui vivaient sur ces îles sont partis vers le sud pour Hokkaidô, où sont aussi venus s’installer d’autres membres des populations indigènes de Sakhaline tels que les Uilta et les Nivkh. Ma grand-mère habitait un village appelé Raichishi, sur la côte ouest de Sakhaline et le village voisin abritait des Uilta venus pour se marier ou travailler. Globalement, les Aïnous partageaient une langue et une culture communes, mais chaque endroit avait des caractéristiques qui lui appartenaient en propre. C’est ce que j’ai profondément ressenti en parlant avec ma grand-mère.

Après cela, Sakhaline occupait sans cesse mes pensées. J’étais avide de connaître les coutumes et la langue de mes ancêtres, mais peut-être étaient-elles différentes de celles en vigueur à Hokkaidô. J’ai commencé à me rendre compte de la diversité de la langue et de la culture aïnoues.

Sakhaline se situe à la frange méridionale de la culture des traîneaux à chiens en Asie de l’Est. L’équipement et les noms en usage chez le Aïnous de Sakhaline ont une grande similarité avec ceux des populations nordiques. L’illustration représente un chien de tête arborant un seta kiraw.
Sakhaline se situe à la frange méridionale de la culture des traîneaux à chiens en Asie de l’Est. L’équipement et les noms en usage chez le Aïnous de Sakhaline ont une grande similarité avec ceux des populations nordiques. L’illustration représente un chien meneur arborant un ornement appelé seta kiraw.

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