Voyage à travers les cerisiers du Japon
Le « hanami » : comment est née l’admiration des fleurs de printemps au Japon
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La contemplation des cerisiers en fleur est une pratique culturelle japonaise qui s’est répandue dans le monde entier. D’innombrables visiteurs se rendent au Japon pour le hanami. Comment expliquer cet engouement ? Il faut d’abord savoir que ses origines remontent aux cerisiers sauvages qu’on trouve un peu partout au Japon.
Un avant-goût de printemps
Le mot sakura (cerisier à fleurs) est un terme générique pour toute une variété d’arbres à feuilles caduques du genre Cerasus, avec plus de cent espèces principalement répandues dans les zones tempérées de l’hémisphère nord. Certains experts catégorisent le sakura avec le prunier (Prunus domestica) sous le genre Prunus, mais les genres Cerasus et Prunus ont des différences structurelles claires, confirmées par des chercheurs ayant entrepris des analyses en phylogénie moléculaire ces dernières années. Je vais donc discuter du sakura en tant qu’appartenant au genre Cerasus.
Il existe au Japon dix espèces de cerisiers sauvages, y compris le Yama-zakura (Cerasus jamazakura) et le Edo-higan (Cerasus itosakura) qui datent sans doute de la préhistoire, au moment où les humains ont commencé à peupler l’archipel japonais. Le Yama-zakura est répandu du centre à l’ouest du Japon, sur des terrains vallonnés proches des habitations. Comme ils fleurissent avant les autres arbres, ils se remarquent sur les collines au printemps. Dans certaines zones, comme sur le mont Yoshino, dans la préfecture de Nara, les sakura fleurissent depuis plus de mille ans, au plus grand plaisir des spectateurs.
Toutefois, on trouve rarement la variété Edo-higan dans les régions montagneuses. Il fleurit plus tôt que le Yama-zakura, rendant ses fleurs roses encore plus remarquables. Le Edo-higan peut atteindre des tailles prodigieuses, jusqu’a trente mètres de haut et deux mètres de diamètre. Beaucoup de ces arbres immenses sont devenus des attractions touristiques à part entière, et bien qu’aucune de ces deux variétés ne produit de fruits, leur beauté explique sans doute leur popularité depuis des temps illustres.
Le hanami : d’un passe-temps d’aristocrate à un loisir populaire
La pratique du hanami remonte au VIIIe siècle au Japon, durant l’époque de Nara (710-794), lorsqu’un passe-temps on ne peut plus raffiné appelé kyokusui no utage était à la mode. Les participants se mettaient au bord de ruisseaux pour réciter des poèmes, tout en buvant du saké dans des coupes qu’ils renvoyaient après à la personne suivante en les faisant flotter sur l’eau. Ce divertissement originaire de Chine avait traditionnellement lieu le troisième jour du troisième mois du calendrier luni-solaire, ce qui correspond à début avril de nos jours, et se tenait dans les jardins de la cour impériale et de l’aristocratie. AU VIIIe siècle, ce n’était pas les sakura que les nobles admiraient, mais les ume (pruniers japonais, Prunus mume) ou les momo (pêchers japonais, Prunus persica), tous les deux venus de Chine. Le hanami consacré aux cerisiers n’est arrivé que plus tard.
C’est durant l’époque Heian (794-1185) que le Japon commença à faire naître sa propre culture, et de plus en plus de gens regardaient avec joie les sakura au printemps. Ces cerisiers étaient abondants à l’état sauvage, et comme leurs fleurs ressemblaient à celles du prunier, ils s’intégrèrent naturellement à la pratique du hanami. Si la tradition du kyokusui no utage se perdit au fil des années, les fleurs de printemps continuèrent à être admirées. Mais en plus du prunier et du pêcher, les gens se prirent également de curiosité pour les cerisiers Yama-zakura et Edo-higan, appréciant la différence d’une contemplation dans un cadre plus naturel que celui d’un jardin d’aristocrate.
Pendant l’époque d’Edo (1603-1868), les lieux prisés pour le hanami passèrent de jardins privés à des espaces publics. Dans la capitale Edo (l’ancienne Tokyo), des parcs tels que ceux d’Asuka-yama et Goten-yama furent crées par Yoshimune, le 8e shogun Tokugawa (au pouvoir de 1716 à 1745) qui y planta des centaines de Yama-zakura pour le plus grand plaisir du public. Au fil des années, ces parcs devinrent des lieux où l’on se rassemblait pour manger, boire et s’amuser sous les arbres en fleurs, marquant le début de la pratique du hanami elle qu’on la connaît aujourd’hui – la fusion d’un ancien passe-temps aristocratique et des loisirs populaires plus récents.
La naissance du fameux Somei Yoshino
Beaucoup de variétés de sakura ornementaux pour les jardins ont été développées pendant l’époque d’Edo, notamment en raison de l’utilisation de la variété Ôshima-zakura (Cerasus Speciosa) ainsi que l’Edo-higan et le Yama-zakura. Le cerisier Ôshima-zakura est une variété sauvage qui pousse dans l’archipel d’Izu, un groupe d’îles éparpillées au sud de Tokyo. Cette variété était inconnue pendant l’époque Heian, et elle a été beaucoup cultivée après l’époque de Kamakura (1185-1333). L’Ôshima-zakura a de grandes fleurs blanches et bien que l’arbre reste assez petit, même à maturité, sa floraison est abondante. Il existe même des mutations à fleur double, faisant de cette variété l’idéal pour planter dans un jardin.
Durant l’époque d’Edo, la capitale devint le centre de ce qu’on appelait « l’horticulture d’Edo » : beaucoup de variétés de chrysanthèmes, azalées et autres furent développées. Il était de même pour le sakura, et c’est les horticulteurs d’Edo qui se servirent du cerisier Ôshima-zakura pour créer les variétés à fleurs doubles. La variété Somei Yoshino, celle que l’on associe toujours avec le hanami, en est sans doute le résultat le plus connu.
Le Somei Yoshino a fait ses débuts au XIXe dans le village de Somei, à Edo. À l’époque, les cerisiers à fleur simple de plus de dix mètres de haut à maturité étaient considérés comme des Yama-zakura et reçurent le nom de Yoshino-zakura, un clin d’œil à la région de Yoshino, terre d’origine de cette variété. Il n’existe plus de documents sur la naissance du Somei Yoshino, mais des recherches ADN ont indiqué que l’arbre mère était l’Edo-higan et l’arbre père l’Ôshima-zakura. Le Somei Yoshino marie les meilleurs caractéristiques de chaque, une couleur rose pâle pendant la floraison, comme dans l’Edo-higan, et une croissance rapide comme l’Ôshima-zakura. Très vite, le Somei Yoshino devint le cerisier favori des habitants d’Edo, l’idéal pour le hanami.
Pendant l’ère Meiji (1868-1912), au moment de la modernisation rapide du Japon, cette variété a été souvent plantée dans les espaces publics tels que les parcs, les écoles, et le long de chaussées, un peu partout dans le pays. Mais comme ce n’était pas exactement la variété de Yama-zakura qu’on trouvait à Yoshino, ce cerisier changea de nom pour Somei Yoshino vers 1900, du nom du village où il a été créé.
Somei Yoshino, qui atteint sa maturité en environ dix ans, était la variété idéale pour le hanami populaire qui avait prit forme à Edo. Facile à propager par le greffage, tous les Somei Yoshino sont des clones et donc fleurissent en même temps, avec les mêmes fleurs rose pâle. Les gens viennent de près et de loin manger et boire en groupes, en plein air sous les branches étalées. Et avec la propagation des arbres eux-mêmes, la coutume du hanami à la mode d’Edo s’est répandue dans d’autres régions du pays. Il n’y a ainsi rien d’exagéré en disant que c’est grâce au Somei Yoshino que le hanami est devenue un loisir ouvert à tous.
D’autres variétés en chemin
Le hanami peut prendre des formes bien différentes : une fête bruyante dans un parc, la contemplation silencieuse des fleurs, ou le bonheur de découvrir des sakura pendant une randonnée en montagne. Beaucoup de variétés sauvages sont une féérie pour les yeux, allant du Ôyama-zakura (Cerasus Sargentio) des contrées froides de l’île de Hokkaidô au Kanhi-zakura (Cerasus Campanulata) des régions subtropicales d’Okinawa, ou même une découverte récente, le Kumano-zakura (Cerasus Kumanoensis) qui fleurit au sud de la péninsule de Kii.
Le Somei Yoshino est loin d’être la seule variété que l’on croise. Citons aussi le fameux Shidare-zakura (cerisier pleureur, Cerasus Itosakura « Pendula »), le Kawazu-zakura (Cerasus x Kan-zakura « Kawazu-zakura »), le taihaku (Cerasus Sato-zakura Groupe « Taihaku ») et bien d’autres encore. Connaître la provenance et l’histoire de tous les cerisiers qui poussent au Japon ne peut qu’intensifier le plaisir du hanami.
(Photo de titre : un hanami au parc d’Ueno à Tokyo. Toutes les photos sont de l’auteur.)