La station de recherche du mont Fuji : une mine d’or pour la science

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La station météorologique du mont Fuji, située à son sommet a été fermée en 2004 après 72 années d’observation ininterrompue des phénomènes atmosphériques. Depuis lors, la Station de recherche du mont Fuji, une institution sans but lucratif, loue tous les ans les bâtiments à des fins de recherche pendant deux mois de l’été. Son altitude élevée et l’absence de toute autre montagne aux alentours font du mont Fuji un endroit idéal pour un large éventail d’activités environnementales importantes.

Cartographes célèbres et alpinistes étrangers

Le mont Fuji, admiré depuis la nuit des temps pour sa belle forme symétrique, occupe une place toute particulière dans le cœur et dans l’esprit des Japonais. Icone du Japon aux yeux du monde entier, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, mais le rôle clef qu’il joue depuis longtemps dans le domaine de la recherche scientifique reste largement ignoré.

C’est au cours de l’époque d’Edo (1603-1868) que la montagne a fait son entrée dans le monde de la science, dans les années où le cartographe Inô Tadataka avait entrepris de dresser la carte de l’archipel japonais. Inô, qui s’était lancé dans ce projet en 1800, a passé les 17 années suivantes à arpenter le territoire national. Les relevés de l’Archipel qui sont le fruit de ce travail sont connus aujourd’hui sous le nom de « cartes d’Inô ». (Voir notre article : Cartographier le Japon du début du XIXe siècle, le projet fou d’Inô Tadataka)

Pour produire une carte précise, il est important de mesurer non seulement les distances horizontales mais aussi les azimuts, mot qui désigne l’angle formé par une direction de référence et la ligne qui va de l’observateur à un point d’un intérêt particulier projeté sur le même plan. Dans sa majesté solitaire, le mont Fuji constituait aux yeux d’Inô un parfait « point d’un intérêt particulier », comme en témoigne sa carte où figurent des lignes rayonnant dans toutes les directions à partir du mont Fuji. Inô, qui a également mesuré la hauteur de la montagne, est arrivé au chiffre de 3 927,7 mètres, soit une erreur de seulement 4 % par rapport à l’altitude exacte.

Le mont Fuji, dressant vers le ciel sa majestueuse solitude, offre un cadre idéal pour l’observation météorologique. (Photo de l’auteur)
Le mont Fuji, dressant vers le ciel sa majestueuse solitude, offre un cadre idéal pour l’observation météorologique. (Photo de l’auteur)

C’est en outre le mont Fuji qui a attiré une grande partie des étrangers venus au Japon juste avant et juste après le début de l’ère Meiji (1868-1912). En 1860, John Rutherford Alcock, premier consul général britannique au Japon, entré en fonction vers la fin de l’époque d’Edo, a été le premier étranger à gravir le mont Fuji. Les relevés de température qu’il a effectués pendant l’ascension constituent les plus anciennes données météorologiques collectées au sommet du célèbre volcan. Après la Restauration de Meiji (1868), le nouveau gouvernement japonais, résolu à moderniser le pays, a fait appel à de nombreux experts étrangers en vue d’accélérer le processus.

Au nombre de ces experts figurait le physicien américain Thomas Corwin Mendenhall, qui escalada le mont Fuji pendant l’été 1880 accompagné par cinq de ses étudiants japonais. Arrivé au sommet, Mendenhall se servit d’un pendule de Kater pour mesurer la constante de gravitation et le champ géomagnétique. Ces expériences marquent l’avènement de la prédiction scientifique de l’activité volcanique au Japon, étant donné que la situation et l’état du magma à l’intérieur d’un volcan peuvent avoir un impact sur les mesures de gravité et de champ magnétique qu’on y effectue.

Le technicien allemand Erwin Knipping fait lui aussi partie des étrangers qui ont contribué à l’essor de la météorologie au Japon, à travers les cartes quotidiennes du temps qu’il a créées, imprimées et distribuées. Knipping a escaladé le mont Fuji en 1887 et effectué des mesures météorologiques au sommet. Guidés par ces experts étrangers, les Japonais ont commencé à affecter du personnel à demeure sur le mont Fuji pendant l’été pour effectuer les observations météorologiques et la collecte des données.

La première station météorologique mondiale de haute montagne

La précision de prévisions météorologiques requiert toutefois des observations à long terme. C’est exactement la tâche à laquelle Nonaka Itaru (1867-1955) souhaitait s’atteler. Après avoir quitté l’école préparatoire d’une université (aujourd’hui Collège des arts et des sciences de l’Université de Tokyo), il trouva un mentor en la personne de Wada Yûji, de l’Observatoire central météorologique (aujourd’hui Agence météorologique du Japon) et, au cours de l’été 1895, eut recours au matériel et aux conseils techniques de Wada pour se frayer un chemin jusqu’à l’arête du Kengamine, point culminant de la caldeira du mont Fuji. Arrivé là, il construisit, avec son argent personnel, une petite hutte de quelque 20 mètres carrés de surface. Au début du mois d’octobre, il y établit ses quartiers et commença à effectuer des mesures météorologiques.

Itaru faisait ses relevés toutes les deux heures, de jour comme de nuit. Son épouse, Chiyoko, craignait que l’hiver dans un tel endroit lui soit fatal. Sans qu’il le sache, elle entreprit de s’entraîner en vue d’aller le retrouver au sommet du mont Fuji. Deux mois plus tard, Chiyoko confia leur fille de deux ans à ses parents, entreprit la difficile ascension sur les traces de son mari et arriva à la hutte à l’improviste. Balayant les protestations d’Itaru et ses suggestions l’incitant à redescendre en bas de la montagne, elle resta pour l’assister dans son travail. À l’époque, le Japon avait encore beaucoup de chemin à parcourir pour rattraper l’Occident en termes de sophistication de l’observation météorologique. La petite hutte des Nonaka au sommet du mont Fuji n’en devint pas moins la première station météorologique mondiale de haute montagne.

Passer un hiver au sommet du mont Fuji est une rude épreuve. Quand des soutiens rendirent visite au couple au début du mois de décembre, la température restait en dessous de -20° C. Ils trouvèrent Itaru et Chiyoko en état de malnutrition et souffrant du mal des montagnes. Choqués par la volonté du couple de rester sur place et de poursuivre son travail, les soutiens le forcèrent à redescendre le 22 décembre. Au bout d’un peu moins de trois mois d’efforts, les deux époux étaient profondément déçus de renoncer à leur rêve d’observation météorologique tout au long de l’hiver. Et pourtant, leur tentative en vue d’effectuer une tâche que personne au monde n’avait jusque-là entreprise suffit à faire sensation dans le pays tout entier.

Relevés météorologiques effectués par Itaru et Chiyoko, les époux Nonaka. Le dernier relevé est daté du 22 décembre 1895, le jour où ils furent contraints de quitter le sommet. (Photo avec l’aimable autorisation des archives numériques de Nonaka Itaru et Chiyoko. Le document originel appartient à Nonaka Masaru, leur petit-fils.)
Relevés météorologiques effectués par Itaru et Chiyoko, les époux Nonaka. Le dernier relevé est daté du 22 décembre 1895, le jour où ils furent contraints de quitter le sommet. (Photo avec l’aimable autorisation des archives numériques de Nonaka Itaru et Chiyoko. Le document originel appartient à Nonaka Masaru, leur petit-fils.)

Suite > Un nouvel observatoire au sommet du Fuji

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