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Balade à vélo dans la campagne japonaise : les atouts cachés de Hida-Furukawa

Ville Tourisme

La plupart des visiteurs étrangers débarquant au Japon suivent ce qu’on appelle « le parcours doré » : ils passent à coup sûr à Tokyo, Hakone, au mont Fuji, Kyoto et Osaka. Mais cela leur donne-t-il une véritable perspective du Japon ? Hida-Furukawa est une petite bourgade sans attractions touristiques de grande envergure, mais son charme premier est d’offrir la possibilité de découvrir le Japon de tous les jours, notamment en proposant des randonnées à vélo dans la campagne nippone.

« De cools expériences rurales au Japon »

« Nous voudrions devenir le Cairns du Japon » nous dit Yamada Taku, PDG de Churaboshi, entreprise de conseil en tourisme de la ville de Hida, dans la préfecture de Gifu. Depuis 2004, le bourg voisin de Furukawa s’est rattaché à Hida, et c’est cette zone que Yamada cherche à mettre en avant (note : elle sera appelée Hida-Furukawa dans la suite de l’article).

Située dans le nord-est de l’Australie, Cairns est célèbre à travers le monde pour disposer à proximité de deux sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, à savoir la Grande Barrière de corail et les Tropiques humides de Queensland.

Mais Hida-Furukawa est bien peu connue, même au Japon. Le lieu se trouve pourtant à proximité de Takayama, une destination trois étoiles incontournable selon le Guide Michelin, ainsi que Shirakawa-gō, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et connu pour ses maisons traditionnelles à toits de chaume très pentus.

Ainsi, Hida-Furukawa éclipsé par ses voisins illustres, les touristes étrangers ne trouvent pas utile de s’y arrêter.

Yamada Taku, directeur de Churaboshi, travaille à créer de «cools expériences rurales ». (© Demachi Yuzuru)
Yamada Taku, directeur de Churaboshi, travaille à créer de «cools expériences rurales ». (© Demachi Yuzuru)

Pourquoi donc Yamada se concentre-t-il sur cette destination de province ? Il nous explique que son objectif est de mettre en place de « cools expériences rurales au Japon ». Au premier abord, si la campagne nippone ne semble rien proposer de particulier, lui est certain de pouvoir y faire venir des touristes du monde entier.

« Rien de particulier » : un atout

Les randonnées à vélo mises en place par Hida Satoyama Cycling Tours accueillaient plus de 5 000 visiteurs par an (hors période de crise sanitaire), dont 70 % venaient de l’étranger. Il n’était pas rare d’en rencontrer souvent juchés sur des vélos tout terrain de la marque Louis Garneau, déambulant dans les rues de Hida-Furukawa. Avec la réouverture totale des frontières japonaises depuis le 11 octobre, nul doute que l’on pourra progressivement apercevoir de nouveaux touristes.

Avant la crise sanitaire, il n’était pas rare d’apercevoir des touristes étrangers aux alentours de Hida-Furukawa. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)
Avant la crise sanitaire, il n’était pas rare d’apercevoir des touristes étrangers aux alentours de Hida-Furukawa. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)

Hida-Furukawa ne possède pas de temples, sanctuaires ou châteaux inscrits au patrimoine national ou international. On n’y voit pas non plus des musées dotés d’œuvres d’art connues. En revanche, ces randonnées proposent aux visiteurs de découvrir le quotidien des habitants. Les innombrables commentaires sur le site internet Trip Advisor mettent des notes à cinq étoiles, et beaucoup découvrent les randonnées via ce site. Le bouche à oreille se perpétue ainsi.

Pour Yamada Taku, le fait de n’avoir justement « rien de particulier » à présenter est un atout. Il l’a compris de par sa propre expérience. Né dans la préfecture de Nara, il était fasciné par les autres pays dès son plus jeune âge. Après son master à l’Université nationale de Yokohama, il a pu réaliser son rêve de travailler aux États-Unis en intégrant un bureau de conseil américain, et c’est ce qui lui a donné envie de découvrir d’autres pays. Il a alors quitté son emploi avant l’âge de 30 ans pour parcourir le monde avec sa femme.

Le couple a passé 525 jours à voyager en sacs à dos, principalement en Amérique latine et en Afrique. En Afrique du Sud, Yamada et son épouse ont fait une randonnée de trois jours à cheval, visitant des villages éloignés où ils étaient accueillis par des habitants qui leur préparaient à manger. Le soir, c’était l’heure des spectacles de danse folklorique. En l’absence d’hôtels, ils dormaient dans des tentes en bordure des villages. Malgré le manque de sites touristiques à proprement parler, cet échange avec les locaux et leurs expériences quotidiennes sur le terrain se sont avérés passionnants.

Ils ont aussi visité des villages de montagne à Belize, le long des côtes des Caraïbes, au sud du Mexique. Un hameau qui n’avait ni électricité ni eau courante était éclairé à la lueur des chandelles la nuit. Yamada a pensé à son bureau à Tokyo, où les lumières étaient allumées en permanence, et il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton pour avoir ce qu’on voulait.

C’est pendant ce périple qu’il a pris la décision de vivre à la campagne une fois rentré au Japon.

Vivre à la campagne, vivre au sein du satoyama

Rentrés au Japon, Yamada et sa femme se sont mis à la recherche d’un nouveau lieu de vie, mais cela n’a pas été si simple.

En août 2016, un ami les a présenté à Murasaka Yûzô, directeur d’une imprimerie à Hida-Furukawa et ancien directeur de l’Office de tourisme de Furukawa, avant la fusion du bourg avec la ville de Hida. C’était une personnalité locale, impliquée dans les efforts des habitants pour revitaliser la communauté. Avec ses rues pittoresques et sa nature environnante, le rythme de vie semblait s’écouler plus lentement à Furukawa. Yamada a alors pu prendre conscience de ce qu’on appelle le satoyama, l’espace se situant à la frontière entre la nature primaire et les habitations de campagne, l’endroit où les ressources naturelles et les habitations sont gérées pour coexister. Il a vite compris que c’était là où il voulait s’installer. (Voir notre article : Images du « satoyama » : comment préserver et transmettre le paysage originel du Japon)

Le cadre idyllique du satoyama. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)
Le cadre idyllique du satoyama. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)

Quant il a parlé à Murasaka de son envie de venir habiter là, la réponse de ce dernier a été assez brutale : « Bien sûr que cela nous ferait plaisir si des jeunes comme vous venaient habiter ici. Il y fait beau en été. Par contre, la vie est bien dure en hiver. Vous devriez regarder ailleurs. Au revoir. »

Yamada est reparti la queue entre les jambes, mais l’idée d’abandonner Hida-Furukawa était inenvisageable. Il y revenait alors souvent en visite, mais sans sa femme qui était enceinte. Pour vivre à Hida-Furukawa, il fallait commencer par se faire accepter par Murasaka.

La première initiative de Yamada a été de créer un guide touristique pour y faire venir les étrangers. Il pensait que Murasaka, qui était directeur d’une imprimerie, serait enthousiaste, mais ça n’a pas été le cas. Déçu, Yamada a dû repartir chez lui. Mais peu de temps après, son téléphone a sonné. C’était Murasaka : « On vient de me proposer le poste de directeur de l’Office de tourisme de Hida. J’ai refusé parce que je pense être trop vieux, mais je peux dire oui, à la condition que tu deviennes mon conseiller ».

À vélo, partager une tranche de vie des locaux

Yamada s’est mis alors à la recherche des trésors cachés de Hida-Furukawa. Finalement, au lieu de faire venir de gros cars pleins de touristes, il s’est axé sur les voyageurs qui cherchaient à intéragir avec les habitants. En 2009, il a mis en place Hida Satoyama Cycling Tours. Au départ, c’était un service de location de vélos, avec tout juste trois vélos à disposition. Les touristes recevaient une carte avec un itinéraire qu’ils suivaient tous seuls.

Ce concept d’une découverte indépendante, sans guide, aurait peut être marché à Kyoto, mais les touristes sont peu nombreux à Hida. Voyant qu’une plus-value était nécessaire, Yamada a mis en place des accompagnateurs.

J’ai participé à une visite guidée avec quatre visiteurs américains. Nous sommes partis à 14 heures, le long d’une rue bordée d’anciens entrepôts aux murs blancs et de distilleries de saké. La ville est construite selon un plan en damier, comme dans les anciennes villes fortifiées. La rivière Seto qui sillonne la ville est remplie de carpes koi, rien de tel pour enrichir les prises de vue pittoresques.

La rivière Seto est appréciée par les touristes. Des carpes de couleurs variées brillent comme des bijoux, contrastant avec les murs blanchis à la chaux des entrepôts. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)
La rivière Seto est appréciée par les touristes. Des carpes de couleurs variées brillent comme des bijoux, contrastant avec les murs blanchis à la chaux des entrepôts. (Photo avec l’aimable permission de l’Office de tourisme de Hida)

Notre guide nous raconte que ce lieu est privilégié par les visiteurs, bien que les carpes ne soient pas là pour l’agrément. Au départ, des résidents souhaitaient embellir la rivière. Ils y ont lâché 230 carpes pour décourager le déversement illégal de déchets. De nos jours, il y a environ un millier de carpes dans la rivière et, au fil des années, des groupes de bénévoles habitant le long du cours d’eau y ont installé des lanternes et des points d’alimentation.

Il neige énormément dans la région de Hida en hiver, et les chasse-neiges vident la neige dans la rivière Seto. Les carpes sont donc transférées vers un étang avoisinant à partir de la fin novembre jusqu’à début avril. Des bénévoles aident au transfert, et cette initiative est devenue le symbole de l’arrivée de l’hiver et du retour du printemps.

Toutefois, les randonnées à vélo ne se limitent pas à la contemplation de beaux paysages, loin de là... Ce sont les haltes permettant de découvrir le quotidien et les coutumes des habitants qui nous ont vraiment intéressés.

L’accompagnateur raconte la rivière et les efforts des habitants. (© Demachi Yuzuru)
L’accompagnateur raconte la rivière et les efforts des habitants. (© Demachi Yuzuru)

Pendant que l’accompagnateur nous parlait, nous avons vu passer des enfants avec des randoseru, les cartables scolaires omniprésents au Japon, et des vieilles dames étaient en pleine discussion au coin de la rue. Là, nous avions véritablement l’impression de goûter à une tranche de vie quotidienne des résidents de cette ville provinciale, et non à une mise en scène spéciale pour les touristes.

Nous avons poursuivi notre chemin vers les abords de la ville. Un agriculteur, nous voyant passer, nous a salué d’une konnichi wa (bonjour).

Les cyclistes s’arrêtent le long du chemin pour écouter les explications de l’accompagnateur.  (© Demachi Yuzuru)
Les cyclistes s’arrêtent le long du chemin pour écouter les explications de l’accompagnateur. (© Demachi Yuzuru)

Libérer le potentiel inexploité du Japon

Les visiteurs étrangers ont été ravis quand un agriculteur rencontré sur la route a offert un kaki à chacun d’entre eux. Grâce à l’accompagnateur qui jouait également le rôle d’interprète, les échanges avec les résidents étaient bien agréables.

Nous nous sommes ensuite arrêtés dans une ferme qui élève du bœuf de Hida. Avec les mondialement connus bœuf de Matsuzaka et bœuf de Kobe, les Américains étaient réellement curieux de connaître la différence entre les variétés.

La plupart des accompagnateurs des randonnées de Hida Satoyama Cycling Tours ont vécu à l’étranger et parlent couramment anglais, se donnant la peine d’expliquer en détail le mode de vie, les traditions, et la culture de Hida-Furukawa, parfois même avec des illustrations. La randonnée typique dure trois heures et demi et coûte 8 100 yens (55 euros). Elle permet à toute personne venue de loin de faire l’expérience d’un quotidien totalement différent de celui de Tokyo ou Osaka.

Pour séduire les visiteurs étrangers, il faut d’abord que les résidents donnent vie à leur propre ville. Avoir la chance de témoigner de leur quotidien est un merveilleux attrait pour les touristes. Et qu’importe qu’il n’y ait pas de temples ou de parcs célèbres.

Hida-Furukawa nous donne ainsi une bonne leçon pour libérer le potentiel inexploité du Japon.

(Photo de titre : © Demachi Yuzuru)

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