L’année 1964 : point de départ du handisport au Japon et premiers Jeux paralympiques de Tokyo
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Les origines du handisport et des Jeux paralympiques
Quand les XVIe Jeux paralympiques d’été débuteront le 24 août 2021, Tokyo deviendra la première ville du monde à abriter cette manifestation à deux reprises. La première fois, c’était en 1964, il y a près de 56 ans, à l’issue de la XVIIIe olympiade. Sur le moment, cet événement sportif s’est inscrit dans la continuité des Jeux internationaux de Stoke Mandeville (IWAS). Les premiers IWAS ont été organisés en 1948 à Aylesbury, près de Londres, pour des anciens combattants britanniques de la Seconde Guerre mondiale et ce n’est que quatre ans plus tard, en 1952, qu’ils ont pris une envergure internationale. Toutefois, après la création du Comité paralympique international en 1989, les XIIIe IWAS de 1964 ont été officiellement requalifiés en IIe Jeux paralympiques, les premiers étant ceux de Rome, en 1960. Dans les lignes qui suivent, je me propose d’évaluer l’impact des Jeux paralympiques de 1964 sur ceux qui y ont participé et sur l’ensemble de la société japonaise, en me basant sur les témoignages de personnes directement impliquées.
Nakamura Yutaka (1927-1984), un médecin de l’hôpital national de Beppu, dans la préfecture d’Ôita sur l’île de Kyûshû, a joué un rôle capital dans le développement du handisport au Japon. Il a fait une partie de ses études en Grande Bretagne, notamment auprès du docteur Ludwig Guttmann (1899-1980) de l’hôpital Stoke Mandeville de Aylesbury qui lui a fait découvrir ses méthodes originales de réhabilitation des personnes handicapées par la pratique du sport. Ludwig Guttmann est à l’origine des premiers Jeux de Stoke Mandeville de 1948, et à ce titre, il est considéré comme le père fondateur des Jeux paralympiques. Après son retour au Japon en 1961, Nakamura Yutaka a mis sur pied les premiers Jeux d’Ôita pour les personnes handicapées. On peut donc dire que sa rencontre avec Ludwig Guttmann a eu une influence décisive sur les premiers Jeux paralympiques de Tokyo.
À l’époque, le Japon ne disposait ni des installations, ni des équipements ni même des lois nécessaires pour permettre à des handicapés de faire du sport. Quand il a été question d’organiser les XIIIe Jeux internationaux de Stoke Mandeville à Tokyo, les responsables ont pensé que ce serait l’occasion de doter le pays d’infrastructures indispensables pour le handisport. Si les Jeux paralympiques de 1964 se sont déroulés dans l’Archipel, c’est indéniablement à la suite de « pressions extérieures » en vue d’améliorer la situation des athlètes handicapés japonais. L’objectif étant de créer des structures locales pour le handisport dans son ensemble, il y a eu non pas une mais deux compétitions distinctes. La première, en l’occurrence les Jeux internationaux de Stoke Mandeville réservés aux athlètes victimes d’accidents de la colonne vertébrale, a duré du 3 au 12 novembre. La seconde, destinée à ceux atteints d’autres pathologies, s’est déroulée aussitôt après, les 13 et 14 novembre.
Différence flagrante entre les para-athlètes internationaux et japonais
Les athlètes japonais qui ont participé aux IIe Jeux paralympiques de 1964 ont été surpris à plus d’un titre. L’un d’eux (K) avoue avoir vécu quantité d’expériences entièrement nouvelles pour lui. À commencer par la rencontre avec les concurrents des autres pays. Il a été particulièrement impressionné par la diversité des fauteuils roulants utilisés par les participants étrangers. « Au Japon, tout le monde avait le même fauteuil alors que les leurs étaient tous différents ! Je n’en croyais pas mes yeux ! »
Les para-athlètes de l’Archipel ont également beaucoup parlé, comme la presse japonaise, de la joie de vivre des athlètes venus d’outre-mer. D’après (O), un autre d’entre eux, l’ambiance était complètement différente. « Nous les handicapés japonais, nous ne parlions pas beaucoup et nous n’avions pratiquement aucun contact avec le reste de la société. » Il se souvient qu’à l’époque, il n’y avait rien de prévu pour favoriser l’intégration sociale des personnes handicapées. La plupart des 53 athlètes japonais sélectionnés pour les Jeux paralympiques de 1964 vivaient d’ailleurs dans des hôpitaux ou des institutions du même type. En revanche, la majorité des para-athlètes des autres pays avaient retrouvé une place dans la société et ils menaient une existence comparable à celle de personnes valides.
Un interprète bénévole (W) raconte quant à lui que les étrangers voulaient sortir du village paralympique à tout propos et que le personnel japonais chargé de s’occuper d’eux était complètement épaté par leur vitalité. Le fait que des handicapés puissent avoir une vie active a complètement remis en question l’idée que les Japonais se faisaient du handicap dans les années 1960.
D’après (K) le premier para-athlète mentionné plus haut, c’est grâce aux Jeux paralympiques qu’il a commencé à considérer les handicapés avec un nouveau regard. Le second (O) précise que cette expérience lui a permis de comprendre que le Japon avait trente ou quarante ans de retard dans ce domaine. Pour certains, la différence des résultats entre les para-athlètes du Japon et ceux des autres pays s’explique par le faible taux d’insertion des handicapés dans la société nippone. Un décalage que les Jeux paralympiques leur ont donné l’occasion de combler.
Objectif : redonner confiance aux handicapés
Kasai Yoshisuke (1906-2001) a été désigné comme président du comité d’organisation des Jeux paralympiques de Tokyo. Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait exercé la fonction de vice-ministre au ministère de la Santé et des Affaires sociales (devenu depuis ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales) et défini les bases de la politique du Japon en matière de protection sociale. Après quoi, il était devenu vice-président de la Croix-Rouge japonaise. Le réseau très étendu de ses relations lui a beaucoup servi lorsqu’il s’est agi de préparer les Jeux paralympiques. Il fallait par exemple trouver des bénévoles pour assumer un grand nombre de tâches et notamment celles d’interprète. Kasai Yoshisuke est allé consulter Hashimoto Sachiko (1909-1995), directrice de la Croix-Rouge de la Jeunesse du Japon, qui parlait couramment l’anglais. Et c’est ainsi que la Croix-Rouge japonaise a formé une équipe d’interprètes bénévoles.
Si le mérite d’avoir introduit le sport en tant que forme de réhabilitation revient à Nakamura Yutaka, c’est à Kasai Yoshisuke que l’on doit d’avoir intégré les Jeux Paralympiques dans la politique de protection sociale du Japon et jeté les bases du handisport dans l’Archipel. Dans un entretien publié par le journal Asahi Shimbun, il a répondu aux critiques dont il a fait l’objet. On lui a notamment reproché d’avoir dépensé 100 millions de yens (environ 840 000 euros) pour les Jeux paralympiques au lieu de donner la priorité aux handicapés les plus atteints dans la société japonaise.
Pour Kasai Yoshisuke, le nombre des personnes gravement handicapées prises en charge par des infrastructures spécialisées sera toujours limité, quels que soient les efforts accomplis dans ce sens. Et il considère que ce qui comptait avant tout, c’était de redonner confiance en eux-mêmes à autant d’handicapés que possible et de les réinsérer dans la société par le biais des Jeux paralympiques. Quoi qu’il en soit, c’est lui plus que tout autre qui a fait progresser le handisport au Japon en intégrant les Jeux paralympiques dans une politique de réhabilitation sociale des handicapés.
L’importance du respect de la diversité
Un des acquis des Jeux paralympiques de 1964 a été la mise en place d’un système permettant aux handicapés de faire du sport. Il a été suivi de près par la fondation de l’Association du handisport japonais (JPSA), l’organisation d’un championnat national du sport pour les handicapés et la mise en place d’infrastructures d’encadrement et d’entrainement. C’est ainsi que toutes sortes de portes se sont ouvertes pour les générations futures. Le handisport a dès lors occupé une position centrale dans la politique de protection sociale du Japon. Grâce aux compétitions, le grand public a appris à mieux connaître les handicapés. Et du coup, la réinsertion de ces derniers dans la société, très en retard en comparaison d’autres pays, s’est accélérée.
Mais dans le même temps, ces progrès indéniables ont constitué un retour en arrière par rapport au mouvement pour les handicapés de l’après-guerre. En effet, celui-ci mettait avant tout l’accent sur le droit de vivre des personnes gravement atteintes. D’une certaine façon, les Jeux paralympiques ont donné une vision étriquée du handicap qui ne rend pas compte de la diversité des personnes concernées. Une vision qui était limitée à des para-athlètes suffisamment actifs et agiles pour prendre part à des compétitions sportives.
Les Jeux paralympiques de 2021 vont-ils mettre en valeur la diversité intrinsèque de la société et promouvoir le respect de la pluralité ? Ou bien faut-il craindre qu’ils attirent l’attention uniquement sur les handicapés qui font du sport ? Autant de questions qui se posent à quelques mois de leur ouverture. On peut en tout cas espérer qu’ils nous donneront l’occasion de réfléchir non seulement au problème posé par les handicapés mais aussi à la façon dont nous pourrions vivre en symbiose dans une société fondée sur le respect de la diversité.
(Photo de titre : le 8 novembre 1964, la cérémonie d’ouverture des IIe Jeux paralympiques s’est déroulée dans le stade des sports Oda Field du village paralympique de Yoyogi, situé dans l’arrondissement de Shibuya, à Tokyo. Elle a marqué le début d’une compétition de haut niveau qui a opposé les para-athlètes de 21 pays et régions du monde au cours de 144 épreuves impliquant 9 disciplines différentes. Nakamura Yutaka se tient debout, derrière le para-athlète japonais en train de prononcer le serment olympique. Photographie avec l’aimable autorisation du journal Mainichi Shimbun/Aflo.)