Le mariage aujourd’hui au Japon
Le « konkatsu » : la chasse au partenaire de mariage, plus importante que la recherche de l’amour au Japon
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Concurrence féroce pour les partenaires de mariage
Le mot konkatsu (recherche de son futur conjoint) est devenu profondément ancré dans les conversations quotidiennes au Japon, mais son histoire n’est pas si ancienne.
En 2007, le sociologue Yamada Masahiro a utilisé le terme pour la première fois dans une interview du journaliste Shirakawa Tôko pour l’hebdomadaire Aera. L’année suivante, ils ont co-publié un livre intitulé « L’ère de la chasse au conjoint » (Konkatsu jidai). En 2009, les chaînes NHK et Fuji TV ont diffusé des drama avec comme thème principal la recherche d’un partenaire de mariage, et le mot konkatsu s’est répandu de manière explosive. En seulement dix ans, le concept s’est profondément enraciné dans la culture japonaise.
Voyons de plus près ce qu’est le konkatsu. Yamada et Shirakawa affirment que ces derniers temps, les gens se mettent de plus en plus activement à rechercher un futur conjoint avec le même état d’esprit qu’ils mènent la recherche d’emploi, appelée shûkatsu.
De nos jours, peu d’hommes gagnent un salaire suffisamment élevé pour subvenir aux besoins de leur famille par eux-mêmes. Par conséquent, les futures épouses qui souhaitent devenir femmes au foyer sont confrontées à une sélection plus limitée de maris potentiels. Dans cet esprit, Yamada et Shirakawa encouragent les femmes à envisager un mariage avec deux revenus, abaissant ainsi leurs attentes financières pour leurs partenaires et élargissant le bassin d’hommes éligibles.
Le statut des femmes a certainement progressé dans la société japonaise, particulièrement au cours de la dernière décennie (même si cela est loin d’être parfait), et le nombre de couples à double revenu a augmenté, comme les géniteurs du mot konkatsu l’avaient espéré il y a dix ans.
Cependant, les réalités du konkatsu se sont dirigées dans une direction bien différente. Au lieu d’abaisser le niveau de salaire que les Japonaises exigent des hommes pour se marier, de nombreuses femmes célibataires ont commencé à suivre des cours de cuisine et d’étiquette pour « s’améliorer » afin d’augmenter leur valeur pour le konkatsu, où elles se disputent férocement les hommes les plus intéressants. Dans cette réalité, les personnes recherchent un « accouplement assorti » – triant les partenaires potentiels par des critères requis selon le style de vie le plus désirable – et cherchent à se promouvoir contre leurs concurrentes. En clair, c’est comme du marketing. Par ailleurs, dans les étagères des librairies japonaises, vous pouvez facilement trouver de nombreux « manuels de mariage » qui donnent des conseils basés sur des techniques de marketing.
Disons-le clairement, il est peu probable que cette tendance s’arrête. Notamment avec l’avènement des services de konkatsu en ligne qui permettent de facilement trouver les partenaires les plus adéquats selon de nombreux critères très précis à partir d’un vaste ensemble de données.
Aujourd’hui aussi, les mariages sont essentiels pour le statut social
Trouver des partenaires en ligne est un phénomène mondial. Par exemple, aux États-Unis, il a été révélé que 39 % des couples mariés en 2017 avaient rencontré leur moitié en ligne. Dans les milieux universitaires, l’analyse des activités sur les sites de rencontre en ligne est devenue populaire ces dernières années.
Cependant, les sites de rencontres en ligne purement japonais sont uniques en ce sens qu’ils sont des endroits qui permettent de chercher un « conjoint », alors que la plupart des sites dans d’autres pays développés sont plutôt des endroits où chercher un « compagnon ». Ce contraste reflète les différentes cultures de rencontres. Dans les sociétés de nombreux pays développés, il est courant que les gens se rencontrent sur Internet puis se fréquentent plusieurs fois et, dans certains cas, commencent à vivre ensemble avant de se marier. Dans la société japonaise, les gens distinguent le konkatsu (recherche de conjoint) du koikatsu (recherche d’un compagnon), et le premier est bien plus populaire que le second.
Cette chasse au conjoint est activement soutenue car le mariage au Japon est essentiel au statut social. Dans son best-seller « Le hurlement de la looseuse » (Makeinu no tôboe, 2003), l’essayiste Sakai Junko – une auteure née en 1966 qui célébrait l’ère de la bulle économique dans ses écrits – se ridiculisait en s’affirmant comme l’une des « femmes célibataires et sans enfants âgées 30 ans et plus » que l’on pouvait qualifier de « looseuse » (makeinu), ce qui est par la suite devenu une expression à la mode. C’est là une preuve supplémentaire que la société est pleinement consciente que le mariage et le statut social sont liés.
Selon les statistiques, la réponse prédominante à une enquête gouvernementale menée auprès de ceux qui voulaient se marier dans les années 90 a été : « Ça ne me dérange pas d’être célibataire tant que je n’ai pas trouvé le partenaire idéal. » Mais dans les années 2000, la réponse prédominante dans la même enquête est devenue : « Oui, je voudrais me marier à un certain âge. »
Après l’effondrement de la bulle économique, même si de nombreuses femmes ont réussi à se débrouiller par elles-mêmes, la plupart des jeunes célibataires étaient angoissées. Contrairement à l’époque de la bulle, où l’amour était plus important que le mariage, elles se sont tournées vers une recherche effrénée de partenaires riches et ayant une vie stable. Les jeunes hommes, eux aussi, sont tombés dans leurs propres pièges mentaux et se sont convaincus qu’ils devaient devenir des piliers de stabilité en période d’incertitude. Le terme konkatsu symbolise parfaitement cette transformation de la société japonaise.
Un gouvernement japonais qui ne se soucie pas de l’opinion du peuple
Quelles transformations le mariage connaîtra-t-il encore ? Un essayiste japonais avait déclaré : « Utiliser des calendriers en ligne pour montrer publiquement quand leurs partenaires sexuels (c’est-à-dire leurs amants ou leurs conjoints) ne sont pas là, et le recrutement actif de partenaires extra-conjugaux sont monnaie courante dans le monde des sites de rencontres, des applications de correspondance et des clubs de rencontres ». Il a appelé cette tendance émergente « le partage du corps », en s’inspirant du concept de l’économie de partage. À mesure que les tabous sur les négociations prénuptiales et les relations amoureuses extra-conjugales diminue, il envisage que l’institution du mariage change afin que chaque couple puisse librement choisir quels devraient être ses devoirs et ses privilèges dans le cadre du mariage.
Même s’il ne s’agit que d’une vision, il ne fait aucun doute que l’institution du mariage est prise dans une vague de changement. En particulier, sous nos yeux aujourd’hui, se posent les questions des couples qui conservent des noms de famille séparés et des mariages homosexuels. Dans une enquête réalisée par le bureau du Cabinet en 2017, 42,5 % des hommes et des femmes de moins de 60 ans ont répondu que cela ne les dérangerait pas que la loi change afin que les personnes mariées puissent conserver leur nom de famille d’origine si elles le préféraient. En ce qui concerne les mariages homosexuels, un sondage d’opinion publique réalisé en 2019 par la NHK a révélé que 51 % des sondés ont répondu que le mariage homosexuel devrait être reconnu. En particulier, 70 % des hommes et 80 % des femmes de 40 ans et moins ont répondu que le mariage entre hommes et femmes de même sexe devrait être reconnu par l’État.
Contrairement à ce soutien public, les partis au pouvoir aujourd’hui se montrent hostiles à ces avancées, ou les considèrent avec prudence. Il est donc difficile d’espérer un changement dans un proche avenir. Dans cette situation d’impasse, l’un des futurs possibles est que le mariage en tant qu’institution légale perde de sa crédibilité aux yeux du public. Même aujourd’hui, les jeunes comprennent qu’il existe de nombreux couples homosexuels et conjoints de fait qui ne souhaitent pas changer de nom de famille.
Combien de temps l’institution juridique actuelle du Japon peut-elle continuer à avancer tête baissée sans considérer la place que devraient prendre ces personnes ?
De plus en plus de jeunes femmes pensent à rester au foyer
Notons toutefois que les jeunes ont des conceptions différentes en tête lorsqu’ils imaginent ce qu’est un couple. Alors que l’idée que « les maris devraient travailler à l’extérieur et les femmes devraient rester à la maison » est généralement en déclin, cette opinion est en augmentation chez les femmes entre 20 et 29 ans, et ce, depuis environ 20 ans. Un bon nombre de jeunes, tout en adoptant une vision libérale du mariage – y compris les couples de même sexe et les conjoints de fait – recherchent un mode de vie familial plus conservateur pour eux-mêmes.
Le konkatsu pour redynamiser la natalité
Le konkatsu attire l’attention en tant que solution à la stagnation du taux de natalité au Japon, où le nombre d’enfants né de couples non mariés est extrêmement bas et où le taux de nuptialité est donc déterminant pour améliorer la natalité. Selon Yamada Masahiro, le soutien public au mariage est devenu une préoccupation croissante du groupe de recherche gouvernemental sur les questions de natalité depuis l’invention du mot konkatsu.
En 2012, Shirakawa Tôko et d’autres ont proposé le terme ninkatsu (rechercher des tentatives de tomber enceinte), à la suite du shûkatsu et du konkatsu, qui s’est également taillé une reconnaissance sociale considérable par la suite.
Le gouvernement s’est également intéressé au konkatsu et au ninkatsu, et a depuis introduit des mesures de soutien à ces activités dans son programme politique. L’institution légale du mariage peut-elle être maintenue ? Comment traiter les questions du mariage homosexuel et des noms de famille séparés ? Quelle forme la promotion des femmes dans la société prendra-t-elle ? À quoi ressembleront les familles dans le futur ? Pour façonner l’avenir de la société avec un large soutien du public, ces questions doivent être discutées dans l’arène politique et des personnes de tous les horizons doivent participer au débat.
Le konkatsu n’est plus seulement une tendance, c’est une question politique vitale.
(Photo de titre : Pixta)