L’équipe japonaise de rugby a conquis les cœurs du monde entier

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William Horsley [Profil]

Les prouesses inattendues du Japon lors de la Coupe du monde de rugby l’ont mené jusqu’aux quarts de finale, où il s’est incliné devant l’Afrique du Sud, mais les Brave Blossoms – et le pays hôte dans son ensemble – ont encore beaucoup de chemin à faire. Un journaliste britannique chevronné dresse ici l’état des lieux du rugby japonais.

Jouer avec le cœur

Si les fans de football aiment appeler ce sport « le beau jeu », le rugby, quant à lui, est vraiment un jeu du cœur. Cela tient tout simplement au courage physique – le cœur au ventre – déployé par les joueurs lorsqu’ils piétinent dans la boue pendant les mêlées, corps contorsionnés empilés les uns sur les autres, et se heurtent de front à leurs adversaires, comme des cerfs géants, pour gagner quelques pouces de terrain. Mais l’expression fait aussi référence aux battements de cœur des fans quand un ailier ou un demi de mêlée effectue une percée à travers les lignes adverses et plonge pour marquer un essai.

Les Japonais ont séduit les fans de sport du monde entier par leur exubérance, la chaleur de leur hospitalité et la spontanéité de leur esprit sportif. Cette sympathie a trouvé de nombreux échos dans les commentaires internationaux de la presse et de la télévision. Et les louanges se sont encore amplifiées le dimanche 13 octobre, quand le succès phénoménal du Japon tout au long des quatre premières semaines du tournoi a finalement été interrompu par la défaite écrasante de son équipe face à la puissance supérieure des Springboks.

La société japonaise a longtemps rechigné à intégrer les personnes ayant d’autres origines ethniques, mais les Brave Blossoms ont émergé comme le symbole d’un Japon différent, qui a fait de chacun des membres de cette équipe multiethnique un héros national. (Voir notre article :  Pourquoi tant de nationalités différentes dans l’équipe nationale japonaise de rugby ?)

J’ai été frappé par l’impact de l’irruption de tant de supporters étrangers dans la conscience des Japonais ordinaires – comme en témoignent les propos tenues par une Japonaise interviewée dans la rue par une chaîne de télévision anglaise. « Au Japon, il y a des communautés minoritaires qui ont longtemps souffert de discrimination sans que personne n’en parle », a-t-elle dit. Mais la présence de gens comme Michael Leitch dans l’équipe japonaise de rugby donne à ces gens le courage de s’exprimer ouvertement. »

Il y a eu des moments cet automne où l’on a eu l’impression qu’une histoire d’amour était en train de naître entre le Japon et un monde extérieur que son peuple est souvent enclin à garder à distance. Cinquante millions de Japonais regardant de concert les grands matchs à la télévision, voilà un fait statistique qui parle de lui-même. Et des milliers de visiteurs venus de loin se sont émerveillés de l’absence de détritus dans les rues du Japon, de l’efficacité et de la ponctualité de son réseau de transports et de la courtoisie spontanée dont ses habitants ont fait preuve en tant qu’hôtes d’un grand événement sportif.

Le monde entier a partagé la douleur ressentie par la nation suite aux pertes humaines provoquées par le typhon Hagibis et aux paysages dévastés qu’il a laissés derrière lui. Et les téléspectateurs de toutes nationalités ont été émus à la vision de fans japonais en train de chanter l’hymne national sud-africain avant le match crucial des quarts de finale, puis d’applaudir les vainqueurs tout autour du terrain malgré leur déception, leur peine et les larmes qu’ils versaient face à leur rêve brisé.

Le jeu inspirant des Brave Blossoms

La plus grande surprise a été l’inventivité, la vitalité et l’adresse déployées par l’équipe nationale sur le terrain de rugby – la rapidité de jeu des joueurs, leur réactivité et leur maniement quasiment parfait du ballon –, ainsi que leur force de caractère dans les moments critiques, lors de leurs magnifiques victoires contre l’Irlande et l’Écosse. Leur technique, pour ainsi dire magique, de la passe courte évoquait l’admirable style de jeu de l’équipe de football de Barcelone, l’une des meilleures du monde.

L’excitation s’est emparée des journaux britanniques au point qu’ils publient des manchettes parlant des prouesses « féeriques » du Japon et de son « incroyable périple », en référence à l’enfoncement brillant par les Brave Blossoms de la défense du formidable adversaire que constituait l’Irlande et à la fantastique détermination avec laquelle ils ont fait barrage à l’assaut écossais et maintenu leur avantage jusqu’aux ultimes minutes de ce match palpitant qui leur a donné la victoire dans le poule A.

Le spectacle de cette défense pugnace illustrait magistralement le sens de l’expression japonaise issho kenmei – que je traduirais par « mettre sa vie dans la balance pour un mètre de terrain ».

L’hébergement pendant plusieurs semaines des vingt équipes étrangères de rugby dans une douzaine de villes d’accueil dispersées sur le territoire de l’Archipel a été l’occasion d’innombrables rencontres amicales, où se sont noués des liens amicaux, souvent à vie, entre des personnes venues d’horizons différents. Le rugby peut être comparé à une expérience partagée entre gens de même langue, à travers laquelle nombre de liens étroits ont été forgés entre des communautés très éloignées les unes des autres.

Les habitants de Kamaishi, au nord-est du Japon, qui ont rempli les tribunes du Memorial Stadium, partagent la même intense passion pour le rugby que les anciens mineurs de charbon des vallées galloises, dont la force musculaire et l’intrépidité sur le terrain ont fait du Pays de Galles l’un des champions du monde de rugby et de Cardiff l’une des capitales mondiales de ce sport. La tragique dévastation de Kamaishi par le tsunami de 2011 fait pendant à la dureté et aux dangers de la vie endurée dans les puits par des générations de joueurs de rugby originaires des vallées galloises.

Suite > Un nouveau chapitre d’une longue histoire

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William HorsleyArticles de l'auteur

Journaliste, consultant international et directeur du Centre pour la liberté des médias de l’Université de Sheffield, Royaume-Uni. Titulaire d’un diplôme d’études japonaises de l’Université d’Oxford. Chef du bureau de la BBC au Japon de 1983 à 1990, avant de devenir correspondant de la BBC en Allemagne et correspondant pour les affaires mondiales. Coauteur (avec Roger Buckley) de « Le Japon, nouvelle superpuissance » (Nippon, New Superpower). Auteur du Guide de sécurité des journalistes publié par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Président pour le Royaume-Uni de l’Association des journalistes européens. Contributeur de la BBC, d’Al Jazeera, de CNN et du quotidien japonais Mainichi Shimbun. Il vit à Londres et se rend souvent au Japon.

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