L’héritage de l’occupation américaine au Japon

Histoire Politique

Masuda Hiroshi [Profil]

Après sa défaite dans la guerre du Pacifique, le Japon a été mis sous tutelle par les forces alliées dirigées par les États-Unis de 1945 à 1952. Quelles en ont été les conséquences sur le peuple japonais ? Nous verrons que les tares actuelles du pays trouvent certaines de leurs origines dans les décisions prises dans l’après-guerre.

Un Japon moderne forgé dans la longue occupation des Américains

L’occupation américaine du Japon s’est poursuivie pendant six ans et huit mois, de la signature des actes de capitulation à bord de l’USS Missouri le 2 septembre 1945, jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de paix de San Francisco le 28 avril 1952. Pourquoi cette période a-t-elle duré si longtemps ?

Pour le comprendre, il faut remonter à l’échec complet des réconciliations après la Première Guerre mondiale. Les conditions émises lors de la Conférence de la paix de Paris en 1919 ont été entièrement rédigées par les nations victorieuses envers l’Allemagne et les autres puissances vaincues, qui ont ainsi dû accepter le Traité de Versailles et d’autres pactes contraignants. Mais ce règlement effectué « à la va-vite » a conduit à la montée du fascisme et au déclenchement inévitable de la Seconde Guerre mondiale. Ces désastreuses conséquences ont suscité de profonds remords des puissances alliées, et lorsque le conflit s’est terminé, la signature des traités de paix a cette fois-ci été volontairement retardée. Les pays vainqueurs ont alors décidé que le meilleur plan d’action était de reconstruire le Japon ou l’Allemagne en tant que « nations éprises de paix », en les occupant pendant une certaine période après la fin de la guerre.

C’était une expérience incroyable, même si elle exigeait beaucoup d’efforts. Grâce à elle, le Japon a réalisé une transition révolutionnaire, éradiquant ses systèmes militaristes, totalitaires et ultranationalistes. En exerçant le contrôle au Japon, les États-Unis ont pu superviser la démilitarisation et la démocratisation du Japon.

Il n’est pas exagéré de dire que ces six années d’occupation ont en grande partie établi les modèles de la réalité politique, économique, sociale, juridique, éducative et culturelle du Japon moderne. Cette période a vu l’introduction de la nouvelle Constitution, de la souveraineté du peuple, de la symbolisation du rôle de l’empereur, de la séparation des pouvoirs, de l’égalité des sexes, de la dissolution des conglomérats industriels appelés zaibatsu, de la réforme agricole et des réformes éducatives, ainsi que de la garantie des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

Effaçer les remords de l’empereur Hirohito

Le chemin vers l’occidentalisation qui a été pris après la Restauration de Meiji de 1868, atteignant son aboutissement avec l’américanisation d’après-guerre, devrait-il être considéré comme une bénédiction sans égal ? Je ne le pense pas. Nous devons admettre que, sous l’occupation, le peuple japonais et la société japonaise ont commis une erreur historique majeure en laissant leur autonomie et leur capacité d’initiative se faire confisquer par les Alliés, afin d’éviter de devoir faire face à leur responsabilité de guerre.

Une émission spéciale télévisée diffusée sur la chaîne NHK le 17 août 2019, intitulée « Qu’est-ce que l’empereur Hirohito a dit ? » (Shôwa Tennô wa nani o katattanoka) a admirablement exploré cet oubli historique crucial. Le programme était une dramatisation basée sur des extraits des « Enregistrements des audiences avec l’empereur » (Haietsu-ki) écrit par Tajima Michiji, le grand intendant de l’Agence de la Maison impériale entre 1948 et 1953. Le souverain, étant passé du statut de « dieu vivant » d’avant-guerre à celui de simple mortel suite à la Déclaration d’humanité (Ningen sengen) de janvier 1946 et à son rôle de « symbole de l’unité du peuple » dans la Constitution d’après-guerre, déclara qu’il avait de nombreux regrets, dont l’un était la responsabilité de la défaite. Si en vertu de la Constitution de Meiji, l’empereur détenait le commandement suprême de l’armée, il avait été en réalité exclu de la responsabilité de la prise de décision, et par conséquent exonéré de la responsabilité légale de la guerre par les États-Unis.

L’éminent politologue et président de l’Université de Tokyo Nanbara Shigeru avait alors exposé une théorie de la responsabilité éthique, et appelé à l’abdication de l’empereur. Mais le général Douglas MacArthur, le commandant suprême des puissances alliées, a résisté à une telle éventualité et enlevé cette question de la table des négociations en 1948. L’abdication avait pourtant été proposée comme un moyen pour Hirohito de prendre la responsabilité des mésaventures militaires de sa nation.

Une fois que les discussions pour le traité de paix ont véritablement commencé, l’empereur a de nouveau soulevé la question de la responsabilité de guerre. Ayant récupéré une partie de son indépendance, il a pu exprimer publiquement ses souhaits. Dans ces circonstances, Hirohito a confié à Tajima son dilemme : fallait-il garder ses sentiments de responsabilité secrets, ou en parler franchement avec la population ?

Le 8 septembre 1951, un traité de paix avec le Japon a été signé à San Francisco, mais à l’approche de la date de son entrée en vigueur, l’empereur s’est demandé s’il devait inclure des mots exprimant des remords dans la déclaration qu’il devait prononcer. Bien que Tajima ait hésité, il avait préparé un projet selon les souhaits du souverain et l’a envoyé au Premier ministre Yoshida Shigeru. Ce dernier a ordonné la suppression de l’expression « regret extrême d’avoir provoqué une insécurité et des difficultés sans précédent », un choix que Hirohito a finalement accepté malgré son mécontentement. Dans le discours qu’il a ainsi prononcé le 3 mai 1952 pour marquer la fin de l’occupation alliée le 28 avril, lorsque les termes du traité de San Francisco sont entrés en vigueur et que le Japon a pu accéder à l’indépendance, il a évité de faire mention de sa responsabilité dans la guerre.

Suite > Pourquoi ne pas parler de la responsabilité de la guerre et d’une abdication

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Masuda HiroshiArticles de l'auteur

Professeur émérite de sciences politiques à l’Université de Risshô. Spécialisé dans l’histoire des affaires étrangères japonaises, les relations nippo-américaines et la théorie de la sécurité militaire. Né en 1947 à Kanagawa. Diplômé en sciences politiques à l’Université Keiô, où il poursuivra son doctorat en droit. Ses écrits incluent « Naissance des forces d’autodéfense » (Jieitai no tanjô), MacArthur et « Retour du front sud » (Nanpô kara no kikan).

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