Les différents courants de l'animation japonaise
40 ans de Gundam : la saga mythique qui a redéfini l'anime SF
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L’année 2019 marque le 40e anniversaire de Gundam. Depuis ses débuts, la série culte a conquis de nombreux fans, les inspirant à lever les yeux vers le ciel et les étoiles. On peut par exemple citer le projet intitulé « G-Satellite » lancé par l’Agence spatiale japonaise (JAXA) et l’Université de Tokyo, qui enverra des robots Gundam en orbite autour de la Terre en amont des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2020 afin de promouvoir l'événement.
Comment une série anime aux débuts modestes est devenue un phénomène culturel ? Explorons l’univers de Mobile Suit Gundam et son influence sur les jeunes fans d’anime de l’époque.
Une industrie en pleine évolution
Au début de son histoire, l'animation japonaise était généralement considérée comme du divertissement pour les enfants. Cette façon de voir l'anime a perduré même après que l’industrie s’est mieux établie grâce au succès de Astro, le petit robot) de Tezuka Osamu, diffusé pour la première fois en 1963. Les débuts télévisés de Space Battleship Yamato en 1974, d’après le manga de Matsumoto Leiji, et la sortie d'un long métrage en 1977 ont toutefois prouvé que les anime étaient capables de développer des scénarios complexes destinés à un public plus âgé. La série a rencontré un vif succès auprès des jeunes adultes, devenant un phénomène de société et poussant l’industrie à créer des œuvres aux animations riches et détaillées et aux intrigues complexes.
Toutefois, même si l’univers de l'anime se développait graduellement, il avait du mal à se distinguer de celui des mangas. En effet, une grande partie des productions consistaient en des adaptations de manga populaires, ce qui laissait penser que les studios de manga avaient autorité sur les projets d'anime. En 1978, le lancement du magazine Animage a contribué à dissiper cette idée reçue en fournissant à la communauté grandissante de fans japonais un regard dans les coulisses de production. Les articles décrivaient avec minutie les méthodes de narration et les techniques visuelles spécifiques à l’anime, ce qui a contribué à définir le genre. Les sociétés de production consacraient une grande partie de leur énergie à écrire des scénarios innovants. L’industrie a ainsi pris son essor, grâce aussi à une base de fans réclamant des œuvres nouvelles et ambitieuses. Cet environnement était idéal pour le lancement en 1979 de Mobile Suit Gundam.
Gundam est le fruit d'une petite équipe composée de Tomino Yoshiyuki, créateur et réalisateur de la série, Yasuhiko Yoshikazu, concepteur de personnages et directeur de l'animation et Ôkawara Kunio, concepteur de mecha (terme relatif au monde de l’animation, qui correspond à des robots humanoïdes géants). À la différence d'une grande partie des séries d'anime télévisées de l'époque, il ne s'agissait pas d'une adaptation d'un roman ou d'un manga, mais d'une histoire complètement originale. Après sa première diffusion, Gundam a rapidement été suivi par une légion de fans, fidèles chaque semaine au spectacle d'animation pure qu’offrait la série. Et elle n’était pas à regarder passivement : les téléspectateurs étaient non seulement ébloui visuellement mais aussi intellectuellement grâce à une histoire complexe aux nombreux rebondissements.
La popularité de la série a également été soutenue par la démocratisation des cassettes vidéo au cours des années 1980. Avec l’apparition des enregistreurs vidéo dans les ménages japonais, beaucoup de personnes sauvegardaient les épisodes de Gundam afin de les regarder à nouveau plus tard – souvent pour saisir tous les détails du scénario – ou pour prêter les cassettes à des amis. Gundam est ainsi devenu un symbole de la transition du Japon vers une nouvelle ère de technologie visuelle.
Les robots se marient avec le réalisme
En juin 2019, une vaste rétrospective a été organisée au musée d'art de Fukuoka, illustrant le rôle prépondérant de Tomino Yoshiyuki dans la création de l'univers complexe de Gundam. L'exposition expliquait que la série avait initialement été créée pour vendre des modèles miniatures de robots. Tant que les figurines se vendaient bien, Tomino avait carte blanche pour exercer ses talents artistiques. Il s'est pleinement servi de cette opportunité pour élaborer avec liberté le scénario de Gundam.
Il allait ainsi redéfinir le genre mecha. La plupart des œuvres jusqu’alors entraient dans le même moule narratif : des machines humanoïdes géantes conçues par des scientifiques pour défendre les humains contre de mystérieux agresseurs extraterrestres. Ces énormes robots étaient simplement traités comme des armes de haute technologie. C'est cette idée que Tomino a voulue remettre en question.
S'inspirant du physicien américain Gerard O'Neill, un des principaux partisans de la colonisation de l'espace, Tomino a établi Gundam dans un monde qui pourrait exister dans un futur proche, en tenant compte de la progression constante des avancées technologiques. Au lieu de galaxies lointaines et d’envahisseurs extraterrestres, l'intrigue oppose des humains qui parcourent l'espace entre la Terre, des stations en orbite et des colonies lunaires, combattant dans des machines géantes qu'il a baptisées « mobile suits » pour les distinguer des robots des séries précédentes.
En injectant des éléments réalistes dans l'histoire, notamment des théories scientifiques comme celle des colonies spatiales d'O'Neill, Tomino a conféré à l'univers visuel de Gundam une touche déterminante de crédibilité. C'est pourquoi tant de téléspectateurs ont pu se laisser convaincre par le réalisme de Gundam.
Les fans toujours de plus en plus charmés par Gundam
Une autre innovation de Tomino est le « Siècle Universel » (Universal Century en anglais), un calendrier fictif qui sert de toile de fond historique au récit. L'histoire se déroule à une époque imaginaire de colonisation spatiale, plus précisément au cours d'un conflit connu sous le nom de guerre d'indépendance de Zeon. Mais Tomino fait clairement comprendre que ce conflit fait partie d'une longue chronologie qui remonte à un passé lointain et continue dans un avenir indéterminé. Ce contexte temporel confère à la série une dimension épique qui a été la clef de son succès.
Même après la fin de la série télévisée, l'univers de Gundam a continué de s'élargir dans l’esprit des fans. Ces derniers achetaient des figurines des mobile suits qu'ils personnalisaient eux-mêmes en les peignant ou en ajoutant des détails. Par ailleurs, la mise en service de ces modèles réduits figurait dans l'année du Siècle Universel : un élément qui donnait aux fans la possibilité de s'imaginer de nouvelles intrigues en dehors de la série télévisée. Tomino a plus tard publié un manga et un roman basé sur l’anime original qui ont apporté de nouvelles informations sur l’histoire de Gundam.
Il ne fait aucun doute que l'originalité de Gundam a permis à l'univers créé par Tomino de s’élargir bien au-delà de ce qu'il avait initialement imaginé. Les fans étaient libres d'inventer des événements en dehors de ceux décrits dans la série télévisée originale en laissant libre cours à leur propre imagination. Autre point important : un élément-clef qui continue d'attirer un nouveau public même aujourd’hui est que Gundam est fondamentalement un récit initiatique. La série suit le jeune et innocent Amuro Ray, qui se retrouve épisode après épisode confronté à la violence de la guerre, la mort et l'absurdité du comportement des adultes. À un moment, il est submergé par des vives émotions qu'il ne peut contenir et qu’il laisse exploser, et à un autre, il tisse des liens profonds avec ses amis dans son combat pour sauver le monde.
Au fil du récit, une lueur d'espoir se dessine dans l'obscurité : celui que l'humanité pourra échapper à son cycle sans fin de guerre et de destruction et entamera une transition vers un nouvel âge de paix, de coopération et de compréhension. Au centre de cette idée, on retrouve les « newtypes », dont fait partie Amuro : des êtres humains qui ont développé des capacités psychiques supérieures afin de s'adapter à la vie dans l'espace ; leurs esprits évolués symbolisant le potentiel de l'humanité de changer le cours de son destin. Ce faible espoir scintille comme une étoile lointaine sur les scènes violentes des batailles des mobile suits, qui représentent une grande partie de la série.
Amuro est un personnage attachant et l'histoire de ses exploits, racontée dans un style proche du documentaire, fait de Gundam un récit initiatique captivant. En regardant la série, on réalise que lorsqu'il affronte ses adversaires, la violence n’est jamais gratuite : il se bat avant tout pour améliorer sa situation. Le message le plus inspirant de la série est sans doute que, grâce à l'espoir, l'humanité peut atteindre son plein potentiel. C'est cette idée qui a permis à la franchise de se réinventer tant de fois. Gundam a été le premier anime de ce type à proposer une structure narrative complexe et stimulante. Ses thèmes continuent de résonner en nous, même après quarante ans d'existence.
(Photo de titre © Sôtsû / Sunrise)