Pourquoi tant de nationalités différentes dans l’équipe nationale japonaise de rugby ?
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Lors du premier tour de la Coupe du monde de rugby 2015, le Japon avait stupéfait les adeptes et les spécialistes du ballon ovale en réussissant l’exploit de battre les Springboks d’Afrique du Sud, pourtant favoris de l’épreuve. Le lendemain, l’arrière japonais Gorômaru Ayumu, auteur à lui seul de 24 points, avait écrit un message sur Twitter qui n’était pas passé inaperçu.
« Maintenant que le rugby est au cœur de l’actualité, le moment est venu d’attirer l’attention sur les joueurs étrangers de la sélection nippone. Ce sont des super partenaires qui ont choisi de jouer pour le Japon plutôt que pour leur pays natal. Et bien que de nationalités différentes, ils défendent ardemment les couleurs de l’Archipel. Ça, c’est le rugby ! »
Michael Leitch, le capitaine de l’équipe japonaise, est né en 1988 en Nouvelle-Zélande. A l’âge de 15 ans, il est parti pour le Japon où il a poursuivi ses études au lycée Yamanote de Sapporo puis à l’Université Tôkai de Tokyo. Après quoi il a commencé à travailler pour la firme Toshiba et acquis la nationalité japonaise. Karne Hesketh, un autre membre des Brave Blossoms d’origine néo-zélandaise, a quitté son pays natal pour l’Archipel parce qu’il n’avait pas été sélectionné par les All Blacks. Après avoir joué pendant cinq ans pour les Sanix Blues de Fukuoka dans le cadre du championnat de rugby du Japon, il a été intégré dans l’équipe nationale nippone en 2014. Un an plus tard, il a participé à la Coupe du monde de rugby 2015 où il a notamment marqué le fameux essai de la victoire face aux Springboks sur le score de 34 à 32.
Mais les rugbymen d’origine étrangère n’ont pas pour autant droit à un traitement de faveur dans l’équipe nippone. Eddie Jones, entraineur des Brave Blossoms de 2012 à 2015, les a soumis au même régime drastique que leurs camarades japonais de souche, avec quatre périodes d’entrainement quotidiennes dont la première commençait à 5 heures du matin.
Voici ce que dit à son propos Ono Kôsei, un membre de l’équipe nippone né dans l’Archipel, mais de langue maternelle anglaise du fait qu’il a été élevé en Nouvelle-Zélande : « Eddie avait aussi recours à la parole pour mettre la pression sur les joueurs. Mais ses remarques touchaient beaucoup plus au vif les anglophones que ceux qui avaient besoin d’un interprète pour les comprendre».
Pourquoi y a-t-il autant de joueurs d’origine étrangère dans l’équipe du Japon de rugby ?
Les joueurs sélectionnés dans le cadre de la Coupe du monde de rugby ne sont pas tenus d’avoir la nationalité du pays qu’ils représentent, contrairement à ce qui se passe pour les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de football.
En vertu de l’article 8 du règlement du World Rugby, l’instance internationale en la matière, pour pouvoir faire partie d’une sélection nationale, un rugbyman doit obligatoirement être né dans le pays concerné ou avoir un parent ou un grand-parent qui soit dans ce cas. S’il ne remplit pas cette condition, il faut qu’il ait préalablement résidé sur place pendant plus de trois années d’affilée avant la date du match. Par ailleurs, il ne doit avoir à son actif aucune sélection avec une autre nation, que ce soit dans l’équipe A ou B de rugby à XV.
Voilà pourquoi des joueurs originaires de pays différents peuvent se retrouver au sein d’une même équipe, porter le même maillot et chanter le même hymne national avant le début d’un match de rugby.
Pour Michael Leitch, ce système a de grands mérites pour les Japonais. « Dorénavant, le Japon va devoir construire son avenir avec des gens venus d’autres pays. Je crois que son équipe nationale de rugby est un bon modèle de ce qu’il faut faire et qu’elle est porteuse d’un précieux message. »
Il y a d’autres disciplines sportives où les couleurs du Japon ont été brillamment défendues par des athlètes élevés en dehors de l’Archipel ou dont l’un des parents n’était pas Japonais. Mais dans le cas de l’équipe nationale de rugby, la diversité des origines nationales et culturelles de ses membres est telle que les choses ont pris une toute autre dimension.
Pour prendre la mesure de l’importance de ce phénomène, il suffit de considérer la composition de la sélection japonaise qui a participé au stage d’entrainement intensif organisé dans la préfecture de Miyazaki (île de Kyûshû) du 9 juin au 17 juillet dernier. Koo Jiwon est originaire de Corée du Sud, alors que Wimpie van der Walt, Grant Hattingh et Pieter Labuschagne sont tous les trois des Sud-Africains. Hendrik Tui est, quant à lui, né en Nouvelle-Zélande et diplômé de l’Université Teikyô de Tokyo. Il a acquis la nationalité japonaise tout comme Timothy Lafaele qui a vu le jour dans les îles Samoa, vécu en Nouvelle-Zélande et fait des études à l’Université Yamanashi Gakuin. Et il en va de même pour Uwe Helu, originaire de Tonga et diplômé de l’Université Takushoku de Tokyo, et Anise Samuela, né dans les îles Fidji.
La sélection nippone comprenait aussi des rugbymen ayant joué dans d’autres pays avant d’opter pour le Japon. C’est le cas de Lomano Lava Lemeki. Issu d’une famille de Tongiens ayant émigré en Nouvelle-Zélande, il a grandi en Australie puis s’est installé en tant que joueur professionnel de rugby dans l’Archipel où il a épousé une Japonaise et acquis la nationalité nippone. William Tupou, né lui aussi en Nouvelle-Zélande de parents originaires des îles Tonga, a pour sa part joué dans la ligue de rugby à XIII de l’Australie et pour l’équipe nationale tongienne avant son arrivée au Japon.
Au total, près de la moitié (20 sur 41) des participants du stage d’entrainement intensif de Miyazaki sont nés en dehors de l’Archipel. Une partie d’entre eux ont grandi au Japon ou s’y sont installés très tôt. Certains sont des citoyens japonais, d’autres pas. Mais quelle que soit leur nationalité, ils sont tous également bienvenus en tant qu’équipiers de la sélection nippone. L’équipe du Japon de rugby est une véritable incarnation de la diversité.
Un choix très difficile pour Michael Leitch
Michael Leitch assume pour sa part le rôle de colonne vertébrale de l’équipe japonaise. Il est de nationalité néo-zélandaise avec des racines écossaises du côté de son père et des origines fidjiennes par sa mère qui a émigré en Nouvelle-Zélande. À l’âge de 15 ans, il a décidé d’aller au Japon. Voici comment il explique les choses. « Quand j’étais en Nouvelle-Zélande, j’ai eu l’occasion de pratiquer avec des joueurs japonais venus étudier le rugby sur place. J’ai été surpris de voir à quel point ils étaient doués et c’est ce qui m’a donné envie d’aller pratiquer ce sport au Japon. »
À l’époque, Michel Leitch était un gringalet dont le gabarit et les moyens physiques n’avaient rien à voir avec les mensurations impressionnantes habituelles des rugbymen néo-zélandais. Il a donc été d’autant plus séduit lorsqu’il a rencontré des joueurs japonais de son âge « incroyablement bons » en dépit de leur petite taille. Et s’il a choisi l’Archipel, ce n’est absolument pas parce que c’est un « pays où le niveau du rugby est faible ».
Grâce à un ami d’enfance japonais, le jeune garçon a réussi à s’inscrire au lycée Yamanote de Sapporo. Pour améliorer sa puissance physique, il s’est soumis à un entrainement intensif et à un régime alimentaire conséquent. Sa famille d’accueil tenait un restaurant de sushi si bien qu’il ne manquait jamais de poisson frais. À cela venaient s’ajouter les multiples tartines de pain beurrées qu’il engouffrait chaque soir avant d’aller se coucher. À force de s’entrainer inlassablement sur des terrains dépourvus de gazon – une chose impensable en Nouvelle-Zélande –, Michael Leitch s’est blessé à de multiples reprises, mais il a aussi acquis la force physique, les compétences techniques et l’esprit combatif qui l’ont rendu célèbre.
À un moment donné, Michael Leitch s’est trouvé confronté à un choix difficile, celui du pays qu’il représenterait lors des matches internationaux. Il avait trois possibilités : la Nouvelle-Zélande, son pays natal, les îles Fidji, la patrie de sa mère, et le Japon, où il avait choisi de vivre.
« J’étais indécis parce que je ne me sentais pas totalement néo-zélandais ou fidjien. Au Japon, les gens me regardaient comme un étranger mais je savais que si je retournais dans mon pays natal, je serais considéré de la même manière. Je ne me sentais pleinement intégré nulle part. »
Face à un choix aussi cornélien, Michael Leitch a fini par opter pour le Japon parce que c’est l’endroit où il avait pu se former et devenir ce qu’il était.
Une capacité à s’adapter au « rugby japonais »
Le parcours de Michael Leitch a dû logiquement contribuer à le propulser à la tête de l’équipe du Japon de rugby, en tant que capitaine. Au bout du compte, la sélection de l’Archipel est vraiment japonaise, même si elle respecte la diversité des origines nationales et culturelles de ses membres.
Prenons par exemple le cas de Wimpie van der Walt né en Afrique du Sud. En raison de sa taille (1,88 m), il est considéré comme grand au Japon et petit dans son pays natal dont les habitants ont bien souvent des allures de géant, en particulier dans le domaine du rugby. Ses atouts sont une étonnante rapidité de récupération du ballon au sol et une grande force mentale qui lui permet de multiplier sans hésiter les contacts et les plaquages bas à répétition. Mais Wimpie van der Walt n’a jamais réussi à faire valoir ses qualités indéniables en Afrique du Sud. En revanche, il est très apprécié au Japon où l’enjeu consiste non pas à chercher à s’imposer par sa stature physique mais en surmontant le « handicap » de la taille.
La sélection japonaise est pleine d’histoires similaires à celle de Wimpie van der Walt. Les quinze postes différents d’une équipe de rugby offrent à chaque joueur l’occasion de briller à sa façon sur le terrain.
Les mérites de la diversité
Michael Leitch avoue qu’il dit souvent à sa petite fille de cinq ans que la différence est une bonne chose. « On n’est absolument pas obligé de se comporter comme tout le monde. On a tout intérêt à essayer de faire les choses autrement. Et il n’y a aucune raison de s’en inquiéter », précise-t-il.
Le capitaine des Brave Blossoms ne fait pas bien entendu référence à de simples différences entre Japonais et non-Japonais. Ce qu’il veut dire, c’est que chaque personne a un caractère qui lui est propre et qu’elle est unique. Nous avons besoin d’individus avec des points de vue différents. Si une façon de procéder cesse de fonctionner, nous pouvons en choisir une autre qui pourra déboucher sur une solution et marquer le point de départ d’une nouvelle ère. Quand des individus avec des perspectives et des idées différentes arrivent à joindre leurs forces, ils sont en mesure de faire face à de puissants adversaires qu’ils n’auraient jamais pu combattre seuls. Voilà en quoi consistent les mérites de la diversité.
À l’occasion de la Coupe du monde de rugby 2019, les Brave Blossoms vont devoir à coup sûr unir leurs forces pour affronter les formidables équipes qui les attendent et ce faisant, montrer tout ce qu’ils doivent à leur diversité.
(Photo de titre : Michael Leitch [au centre] lors du test match qui a opposé l’équipe du Japon à celle de l’Angleterre en novembre 2018 au stade de Twickenham, près de Londres. Les Japonais ont été battus par les Anglais sur le score de 15 à 35. Photos : Ôtomo Nobuhiko, sauf mention contraire)