Les châteaux de montagne au Japon et leurs systèmes de défense
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On compte de trente à quarante mille châteaux disséminés sur l’archipel japonais, construits entre le début du XIVe et celui du XVIIe siècle. Comparé au reste du monde, c’est un nombre considérable pour un laps de temps d’approximativement 300 ans, au sein duquel la période des Provinces Combattantes (1467-1568) se distingue par l’essor de la construction des forteresses.
L’image classique que beaucoup se font du château japonais est celle d’un donjon d’un blanc étincelant ceint de hauts murs en pierre et de douves profondes. Il se trouve pourtant que le premier édifice peu ou prou conforme à cet archétype est le château d’Azuchi, dont la construction par Oda Nobunaga n’a commencé qu’en 1576. Les châteaux de la période des Provinces Combattantes, conçus dans la majorité des cas pour s’adapter à un terrain montagneux, étaient complètement différents.
Un génie civil à des fins défensives
Dans les temps anciens, les châteaux de montagne (yamajiro), ultimes positions de repli, allaient de pair avec des résidences bâties à flanc de colline. Ce qui veut dire que les gens ne vivaient pas à l’intérieur des châteaux. Les ruines du clan Ichijôdani Asakura, dans la préfecture de Fukui – aujourd’hui un site touristique – sont en fait les vestiges de résidences établies en contrebas, plutôt que ceux du grand château construit plus haut sur la montagne.
Les yamajiro étaient construits par excavation du flanc des montagnes. Les ouvriers créaient une esplanade appelée kuruwa, creusaient les crêtes avec de grands couteaux pour façonner des douves sèches (horikiri) et utilisaient la terre accumulée au cours de ces opérations pour édifier des ouvrages en terre (dorui). En fait, la construction des châteaux de la période des Provinces Combattantes relevait davantage du génie civil que de l’architecture.
Les guerriers tenaient garnison dans l’enceinte (kuruwa), qui en règle générale ne contenait que deux ou trois petits bâtiments soutenus par des piliers directement enfoncés dans le sol, plutôt que posés sur des fondations en pierres. Cette esplanade était ceinte d’ouvrages en terre, plus épais aux angles, où se dressaient de simples tourelles en bois.
Les douves sèches horikiri protégeaient l’arrière des châteaux construits à flanc de colline contre les attaques en provenance des crêtes voisines. On se contentait souvent d’un seul horikiri, mais il arrivait qu’il y en ait plusieurs, disposées côte à côte.
Les contreforts kirigishi constituent eux aussi une caractéristique essentielle des châteaux de montagne. Ils entouraient le kuruwa et étaient délibérément taillés de façon à leur donner une pente abrupte. Dans la mesure où l’efficacité des châteaux de montagne tenait à la position défavorable où ils mettaient les attaquants en ne leur laissant pas d’autre choix que l’escalade, les kirigishi constituaient un élément plus important que tous ceux que nous avons mentionnés jusqu’ici. Les contreforts des châteaux de Chiran et de Shibushi, dans la préfecture de Kagoshima, taillés pratiquement à la verticale dans le sol volcanique et hauts de plus de vingt mètres, devaient être impossibles à escalader.
Améliorer la défense
Dans la seconde moitié de la période des Provinces Combattantes, les améliorations apportées aux châteaux de montagne ont contribué à leur renforcement. Grâce au tracé incurvé plutôt que droit donné aux ouvrages en terre entourant l’enceinte kuruwa, il est devenu possible de contrer les percées de l’ennemi en l’attaquant sur ses flancs aussi bien que de face. Les attaques de flanc se pratiquaient également contre les soldats en train de franchir le koguchi, ou entrée du château.
Le koguchi lui aussi a été modifié à de nombreuses reprises. Au début, ce n’était qu’une simple ouverture dans les murs en terre, mais le kuichigai no koguchi, apparu plus tard, mit fin à l’alignement des murs, avec pour résultat qu’il fallait effectuer un tournant pour pénétrer dans l’enceinte kuruwa, ce qui interdisait aux attaquants de foncer droit devant.
L’étape suivante a consisté à créer une enceinte carrée dans l’entrée même du château, où les défenseurs pouvaient arroser les assaillants de flèches tirées dans trois directions. Ce nouveau modèle, le masugata koguchi, fut intégré dans la génération suivante de châteaux, et on peut le voir aujourd’hui dans un grand nombre de ruines.
L’umadashi constitue lui aussi une innovation. Cette esplanade, reliée à l’enceinte kuruwa centrale par des ponts en terre franchissant la douve principale, offrait une protection supplémentaire en cas d’attaque directe contre l’entrée. Les clans Takeda et Tokugawa ont eu recours à des modèles en demi-cercle. Toutes les entrées du château de Suwahara, dans la préfecture de Shizuoka, étaient dotées d’un umadashi de ce genre disposé sur leur devant. Le modèle en vigueur dans les châteaux du clan Hôjô et nombre de places fortes de la région du Kantô était quant à lui à angles droits.
Les douves sèches ont été améliorées grâce à l’adjonction de tranchées parallèles appelées unejô tatebori. Elles sont creusées à la verticale au flanc des contreforts kirigishi. On pense qu’elles empêchaient les soldats ennemis d’escalader les contreforts en diagonale. Le château de Nagano, dans la préfecture de Fukuoka, était ceint de près de 200 de ces tranchées.
Les talus disposés à l’intérieur des douves contribuaient eux aussi à entraver les mouvements de l’ennemi. Certains d’entre eux dessinaient un motif entrecroisé, appelé horishôji, difficile à franchir. Au château de Yamanaka, dans la préfecture de Shizuoka, le clan Hôjô s’est lancé dans la construction extensive de tranchées dans les douves et de horishôji vers 1587, en prévision d’une attaque du seigneur de guerre Toyotomi Hideyoshi.
Murs en pierres et résidences
Au début du XVIe siècle, les châteaux de montagne équipés de murs en pierres ont proliféré depuis les préfectures de Nagano et de Gifu jusqu’au nord de l’île de Kyûshû. En règle générale, seule une partie de l’intérieur des châteaux était dotée de ces ouvrages, dont la hauteur ne dépassait pas quatre mètres. Mais le château de Kannon-ji, construit au milieu du siècle dans la préfecture de Shiga, était entièrement fait de murs en pierres, dont certains avaient plus de cinq mètres de haut. Parmi les pierres utilisées, beaucoup mesuraient plus d’un mètre de long. Des techniques empruntées à l’architecture des temples ont été employées pour la construction des murs.
Le seigneur féodal Miyoshi Nagayoshi (1522-1564) a adopté avec enthousiasme les murs de pierre, au point d’en construire entre les crêtes au château d’Akutagawasan et d’en couvrir une grande partie du terrain du château d’Iimori, dans la préfecture d’Osaka.
Dans les châteaux du seigneur Miyoshi, on pense que les résidences se trouvaient en hauteur plutôt qu’au pied des montagnes. Des fouilles effectuées au château d’Akutagawasan ont mis au jour les fondations en pierre d’une résidence dans l’enceinte principale, à la cime de la montagne. Dans la seconde moitié de la période des Provinces Combattantes, les châteaux de montagne des seigneurs se sont en général écartés de la formule où les guerriers vivaient à l’écart, en dessous du château. Ils se sont convertis à un modèle unifié, où ils vivaient sur la montagne même. Leurs familles, semble-t-il, les accompagnaient. Des vestiges de grands bâtiments ont également été découverts aux châteaux d’Odani et de Kannon-ji, dans la préfecture de Shiga.
On entend souvent dire qu’il ne reste plus rien à voir dans les châteaus de montagne. Pourtant, les vestiges d’ouvrages défensifs tels que les kuruwa, dorui et horikiri sont bel et bien observables et offrent l’opportunité de se faire une idée de l’atmosphère qui régnait à l’époque des Provinces Combattantes. C’est une expérience palpitante que de se promener dans les ruines et les parcourir du regard pour voir ce qu’auraient vu les défenseurs. Sans doute contemplaient-ils un vaste territoire, ses villages, ses routes, ses rivières, son littoral et même des forteresses ennemies. La vérité historique que restituent ces aspects visibles de la morphologie du terrain et des édifices nés de la main de l’homme donne la raison de l’emplacement des châteaux.
(Photo de titre : réseau de douves et de talus dans les ruines du château de Yamanaka, préfecture de Shizuoka. PIixta. Toutes les autres photos sont de l’auteur)