Et ainsi était né le Walkman, le premier baladeur à cassettes
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Une invention due en grande partie au hasard...
Le premier baladeur à cassettes a été fabriqué à seulement 30 000 exemplaires. C’est dire à quel point Sony ne s’attendait pas à ce qu’il ait un succès aussi foudroyant. À l’époque, on considérait que la musique s’écoutait chez soi avec une chaîne stéréo installée dans la salle de séjour. Et la firme japonaise a dû longuement réfléchir à la stratégie qu’il fallait adopter pour lancer un produit d’une conception aussi nouvelle.
Le Walkman de 1979 a, semble-t-il, été conçu à partir du Pressman, un petit magnétophone portable à cassettes que Sony destinait aux journalistes, comme son nom l’indique. C’est en tout cas de cette façon que le site Internet de la firme japonaise explique les circonstances de sa mise au point. Ibuka Masaru, président honoraire de Sony, aurait demandé à ce que l’on transforme le Pressman de façon à ce qu’il puisse écouter de la musique en avion, lors de ses voyages d’affaires.
L’ingénieur Kuroki Yasuo assumait alors la direction de l’équipe de R&D, ce qui lui a valu plus tard le surnom de « Mister Walkman ». Dans un livre intitulé « La planification, façon Walkman » (Walkman-ryû kikaku jutsu), il raconte ce qui suit. « Au départ, il n’y a eu aucun projet clairement formulé de création et de mise en vente d’un ‘Walkman’. Des jeunes ingénieurs se sont simplement amusés à mettre au point un lecteur de cassettes portable, pour voir ce que cela donnerait. Mais cet appareil ne figurait pas au programme des futurs produits du département des magnétophones. L’histoire du Walkman est donc d’autant plus fascinante qu’il n’a pas fait l’objet d’une planification. »
Ôsone Kôzô, un autre ingénieur R&D de Sony, a confirmé la version de Kuroki Yasuo au cours de divers interviews. D’après lui, des chercheurs ont mis au point un premier appareil pour le plaisir et ce n’est qu’après que celui-ci a attiré l’attention de la direction. Cette version des faits semble la plus proche de la vérité. La mise au point du premier baladeur à cassettes n’a demandé que quatre mois, un délai exceptionnellement court pour l’époque, même si le Walkman a repris et adapté une grand partie des équipements du Pressman.
En juillet 1979, les ventes du Walkman n’ont pas été très concluantes, mais aussitôt après, elles ont décollé au point qu’en moins de trois mois les 30 000 premiers exemplaires ont trouvé preneur. Et l’appareil a continué sur sa lancée l’année suivante. En avril 1980, le quotidien Nikkei Sangyô Shimbun a révélé que la production mensuelle de 20 000 Walkman n’était pas suffisante pour couvrir la demande. Le nombre total des ventes pour les sept premiers mois s’est élevé à 140 000. Mais ce n’était qu’un modeste début par rapport au phénomène de société que ce baladeur allait devenir par la suite.
Le 10 janvier 1981, un article du quotidien Nikkei a attiré l’attention des lecteurs sur les étudiants qui écoutaient de la musique sur leur baladeur y compris juste avant de se présenter à l’examen d’entrée à l’université. Comme l’explique Kuroki Yasuo dans son livre mentionné ci-dessus, la vogue du lecteur de cassettes portable chez les jeunes japonais a fait l’objet de vives critiques. « Les adultes ont reproché au Walkman d’encourager ses utilisateurs au narcissisme en les coupant du monde extérieur et ils ont commencé à déplorer la multiplication des cas d’individus repliés sur eux-mêmes. »
Un succès foudroyant dans le monde
La seconde version du Walkman (WM-2) a été mise en vente en février 1981, à peine 19 mois après le lancement de la précédente et pour un prix légèrement inférieur de 32 000 yens. Contrairement à la première, elle n’avait pas été directement élaborée à partir d’un produit déjà existant et sa forme avait été entièrement repensée en fonction de sa vocation spécifique. Les ingénieurs de Sony avaient réduit la taille du WM-2 à celle d’une cassette audio et disposé les touches de commande non plus sur le côté mais sur le devant de l’appareil, ce qui lui donnait une allure beaucoup plus design.
Le WM-2 a fait un tabac, en particulier en dehors du Japon, et c’est celui qui est resté le plus en mémoire par ceux ayant vécu cette époque. Dans le même temps, la popularité du baladeur à cassettes a dépassé le cadre de la jeunesse branchée et s’est étendue à un vaste public. Pour pouvoir honorer à temps toutes les commandes en évitant les ruptures de stock, Sony a augmenté la production. D’après un article du journal Nikkei daté du 23 novembre 1981, les ventes du WM-2 ont atteint le chiffre record d’un million d’exemplaires en 9 mois. À titre de comparaison, il avait fallu deux ans pour écouler 1,5 million d’unités du premier Walkman.
Les firmes rivales de Sony, notamment Aïwa, Matsushita Electric (devenu Panasonic) et Toshiba ont fabriqué à leur tour et mis en vente sous d’autres noms des baladeurs à cassette similaires au Walkman, mais le détenteur de la marque déposée a continué à exercer largement sa domination sur le marché. L’auteur de l’article du Nikkei mentionné plus haut explique que « la concurrence a été obligée de reconnaître que la marque Sony jouissait non seulement d’un réel avantage en tant qu’inventeur de l’appareil mais aussi d’un prestige quasiment magique auprès des jeunes ». Plus de 60 % des 5,5 millions de Walkman sortis des usines Sony à la fin du mois d’octobre 1982 étaient destinés à l’exportation, ce qui montre la rapidité avec laquelle ce produit a conquis le reste du monde.
La demande a, semble-t-il, atteint son point de saturation vers la fin de l’année 1983, mais Sony a réussi à se maintenir à l’avant-garde de ce secteur en mettant dès 1984 sur le marché le Discman, le premier lecteur de CD portable, puis le MiniDisc Walkman, en 1992.
Le retour sur le marché des baladeurs à cassettes
Depuis quelques années, on assiste à un regain d’intérêt pour les cassettes audio au même titre que les disques microsillon en vinyle. À Tokyo, il existe encore plusieurs boutiques spécialisées dans ce type de produit. On peut par ailleurs se procurer des modèles de Walkman WM-2 en état de marche sur des sites Internet tels que Mercari et Yahoo Auctions où il se négocient entre 20 000 yens et 40 000 yens yens l’unité. Les vendeurs semblent très sérieusement impliqués dans cette affaire dans la mesure où beaucoup des baladeurs proposés sont présentés comme un assemblage d’éléments provenant de plusieurs appareils.
Certains fabricants ont commercialisé de nouveaux tourne-disques équipés de prises USB et du Bluetooth et destinés à un secteur florissant bien que très pointu. Les disques microsillon usagés ont toujours la cote et les grandes vedettes enregistrent bien souvent une version de leurs derniers titres sur vinyle.
Les cassettes audio et le Walkman vont-ils trouver un nouvel espace sur le marché en tant que produit typique d’une « culture » ? Ce qui est sûr, c’est que pour l’instant, Sony n’envisage pas de recommencer à produire des pièces pour son baladeur mythique. Par ailleurs, les cassettes audio ne font pas l’objet de beaucoup d’enregistrements, en dépit de l’intérêt qu’elles ont suscité ces derniers temps.
En 1979, l’apparition du Walkman sur le marché a provoqué une véritable révolution en termes de style de vie. Mais pour le moment, rien ne permet de dire si le baladeur à cassettes mythique de Sony est appelé à revivre ou si son rôle se limitera à celui d’un patrimoine historique.
(Toutes les photos de produits sont de Sony Corporation. Photo de titre : des modèles de différentes versions du Walkman exposés au Sony Park de Ginza, à Tokyo, le 1er juillet 2019, à l’occasion du 40e anniversaire du lancement de ce produit mythique.)