
Une histoire construite sur des légendes : la création de l’État japonais
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Canaliser les pouvoirs des dieux locaux
Le Kojiki et le Nihon Shoki commencent tous les deux à l’ère des dieux. Au début, les textes parlent de la création du ciel et de la terre, suivie de la formation des îles du Japon par les divinités Izanagi et Izanami. Plus loin dans les récits, les histoires célèbres incluent la discorde entre la déesse du soleil Amaterasu et son jeune frère Susanoo, son combat et sa victoire contre le serpent à huit têtes et à huit queues Yamata no Orochi, la création du pays par Ôkuninushi et sa cession ultérieure au petit-fils d’Amaterasu qui descend du ciel pour régner, la dispute entre les frères Umisachihiko (la générosité de la mer) et Yamasachihiko (la générosité de la terre), pour arriver à la naissance de l’empereur Jinmu, considéré comme le premier empereur du Japon.
Les Japonais contemporains prennent ce récit de l’âge des dieux comme une collection de légendes, mais pourquoi étaient-elles nécessaires afin d’établir un État ? Pour ceux qui les transmettent, ce sont des vérités sur l’histoire passée qui ont le pouvoir de façonner les règles sociales et la façon dont les gens vivent et meurent. Chaque nation a sa propre mythologie, qui était autrefois un élément central de la vie. Ainsi, les habitants des îles japonaises ont formé leurs propres communautés locales, vivant selon les principes de leurs diverses légendes, puis sont morts et ont été enterrés suivant leurs préceptes. Canaliser le pouvoir de ces histoires était sans aucun doute une des motivations de la construction d’un récit sur les origines nationales.
En bref, le thème principal soutenu à la fois par le Kojiki et le Nihon Shoki est de savoir comment les descendants de la déesse suprême Amaterasu sont venus sur Terre afin de gouverner l’État japonais. Mais ce récit seul n’aurait pas été convaincant pour les gens du pays qui adoraient leurs propres divinités et vivaient déjà selon leurs propres légendes. ll n’aurait pas pu être accepté comme « vrai ». C’est pourquoi les deux histoires ne décrivent pas Amaterasu comme la divinité omnipotente d’un culte monothéiste, mais la placent au contraire au sein d’un panthéon de divinités ancestrales et de dieux locaux célèbres ou peu connus, ainsi que de diverses légendes traditionnelles. Rares sont les dieux aussi actifs dans le récit que Susanoo de la région d’Izumo (qui fait aujourd’hui partie de la préfecture de Shimane), la plupart n’apparaissant que comme des noms, mais leur inclusion a pu rendre les histoires plus convaincantes pour les habitants des îles. L’influence psychologique et culturelle des dieux locaux a permis de diffuser un message central unificateur.
Comment le monde a-t-il été créé ?
Examinons de plus près les mythes de la création au Japon, principalement à travers le Kojiki.
Les noms des divinités Izanagi et Izanami sont liés au verbe izanau, qui signifie « inviter ». Les dieux célestes leur ordonnent de se tenir sur le pont flottant du ciel et d’agiter les eaux de la mer avec la lance céleste ornée de joyaux. Lorsqu’ils soulèvent la lance, le sel dégoulinant de sa pointe devient une île appelée Onogoro. On pense qu’Izanagi était à l’origine un dieu vénéré par les pêcheurs sur l’île d’Awaji et autour de la mer intérieure de Seto, et que l’ancienne pratique de la production de sel serait à l’origine de la légende de la création d’Onogoro.
Les deux divinités descendent alors sur l’île et « s’invitent » l’un l’autre à devenir le premier couple de l’histoire. Mais comme la divinité féminine Izanami fait le premier mouvement, elle donne naissance à l’enfant imparfait et indésirable Hiruko, qu’ils font ensuite flotter au loin dans un bateau fait de roseaux. L’idée que les femmes devraient obéir à leur mari est implicite dans le récit, et est considérée comme influencée par le confucianisme.
Dans le Nihon Shoki, Hiruko est décrit comme étant toujours incapable de se lever à l’âge de trois ans. Le spécialiste des études nativistes (kokugaku) du XVIIIe siècle Motoori Norinaga le décrit comme un enfant désossé comme une sangsue (hiru). Par ailleurs, les dictionnaires du Xe siècle Shinsen jikyô et Wamyôshô incluent le mot hirumu décrivant une condition où quelqu’un a des difficultés à marcher, et certains y voient l’étymologie de Hiruko.
Cette fois-ci, quand c’est la divinité masculine Izanagi qui s’adresse à Izanami, leur nouvelle union produit l’île d’Awaji, puis successivement toutes les îles de la péninsule japonaise. Collectivement, ces dernières sont connues sous le nom de Ôyashimaguni, ou « le grand pays des huit îles » – comme le nombre « huit » était une façon d’exprimer une grande quantité à l’époque, ce terme pourrait aussi être traduit par « le grand pays des nombreuses îles ». Ôyashimaguni est alors devenu un autre nom du Japon sous le système ritsuryô au VIIe siècle.
(Photo de titre : Ama no Hashidate, dans le nord de la préfecture de Kyoto. L’ouvrage intitulé Tango no kuni fudoki (Chronique du pays de Tango) rapporte qu’Izanagi a construit Ama no Hashidate pour voyager au paradis, mais qu’il est retombé sur Terre alors qu’il dormait. Pixta)