
Von Jour Caux, le Gaudi japonais et ses atypiques monuments urbains
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Une architecture d’une puissance incommensurable
Une résidence immobilière appelé Waseda El Dorado à proximité de l’Université Waseda à Tokyo. Certaines personnes penseront peut-être au complexe résidentiel de Gaudi à Barcelone. En 1992, un article dans le Japan Times en parlait comme « L’ikebana de ciment et d’acier de Gaudi a pris racine au Japon ». Depuis, son architecte est surnommé « le Gaudi japonais ».
Cependant, apprendre à connaître l’architecte Bon Jukô, nom que lui-même orthographie Von Jour Caux, c’est apprendre à voir les différences qui distinguent les deux esthétiques.
En 2016, j’ai fondé Access Point, une association qui organise des visites d’œuvres architecturales, diverses activités de recherche sur l’architecture, ainsi que des ateliers d’architecture pour les enfants et autres activités éducatives. Mon premier objectif en organisant ces visites était de détruire les préjugés et idées fausses concernant l’architecte Von Jour Caux. Je voulais que le plus grand nombre possible de gens comprennent que son architecture n’a jamais eu pour volonté de rechercher l’excentricité en soi, mais que cette excentricité est la réalisation de processus conformes à l’originalité de sa philosophie. Le présent article se propose de présenter certains aspects du travail de Von, à partir de certaines de ses œuvres majeures.
Travailler avec les artistes : « Art Complex »
Waseda El Dorado (1983, Tokyo Shinjuku)
Né en 1934, Von Jour Caux (de son vrai nom Tanaka Toshirô) est diplômé du Département d’Architecture de l’Université Waseda en 1956. En 1962, devenu un fervent admirateur de Mies van der Rohe, il part aux États-Unis pour étudier à l’Illinois Institute of Technology de Chicago. Néanmoins, il y étudie surtout la peinture, la sculpture et l’artisanat à l’Art Institute of Chicago. C’est là qu’il rencontre sa femme, qui allait devenir la compagne de toute sa vie.
Von Jour Caux (troisième à partir de la gauche) pose devant Waseda El Dorado avec des visiteurs étrangers au cours d’une visite d’Access Point à Tokyo.
C’est après la réalisation de Waseda El Dorado que le mouvement de collaboration avec des artistes nommé Art Complex est lancé. Le concept visait à réaliser « la Ville d’Or » (El Dorado) dans une résidence immobilière, et la décoration des murs extérieurs a été réalisée en collaboration avec son épouse, elle-même artiste.
L’espace intérieur constitue un réseau bien plus densément ésotérique. Quand on avance dans le corridor étroit, on tombe sur une main géante pendue au plafond. Von déclare qu’il a construit à l’intérieur du bâtiment une scène imaginaire pour amener le visiteur vers une expérience théâtrale, secouer ses souvenirs les plus profonds et l’inviter vers une histoire illusoire. C’est la raison pour laquelle dans l’espace trivial d’un corridor il a incorporé des décors de théâtre comme une simulation des rites de passage vers la vie. De fait, Von est très intéressé par le théâtre depuis son enfance. La paume géante est un rappel de la main du Bouddha qui nous mène au ciel.
Waseda El Dorado : la main de Bouddha suspendue au plafond est en fait un siège.
C’est en collaboration avec de jeunes artistes dont les œuvres sont entrées en résonnance avec les idées de Von que cet espace du mythe est devenu réalité. Von a donné leur chance à des artistes en devenir, et ceux-ci ont eu à cœur de se montrer à la hauteur de ses attentes en conduisant une expression artistique digne du projet. C’est par cette stratégie que Von a résolu les problèmes liés à un budget limité et une durée des travaux limitée. Relation win-win qui marque la première différence avec Gaudi.
Certes, Gaudi aussi a travaillé avec des artistes de valeur, mais ceux-ci n’étaient que les sous-traitants de ses idées à lui. L’approche de Von était différente. Il les a totalement respectés en leur offrant une totale liberté d’expression. C’est cette forme de collaboration que Von a appelée « Art Complex Movement de Von Jour Caux et ses amis ».
Improviser de façon plus audacieuse
La Porta Izumi et Mind Waa (1990/92) Izumi, Suginami-ku, Tokyo
Deux complexes résidentiels réalisés par Von se trouvent à Daitabashi. Le nom « La Porta » exprime la volonté de faire de ce lieu une passerelle depuis la route Kôshû Kaidô vers un site résidentiel beaucoup plus calme. La façade du bâtiment est symboliquement dominée par une figure féminine géante dans une position étrangement contorsionnée et aux cheveux dorés flottants. Le cheval Pégase qui plane dans le ciel et cette déesse recréent le monde de la mythologie dans ce site résidentiel.
Quand on pénètre dans le hall d’entrée, la lumière des vitraux tombe sur un espace voûté très haut de plafond, comme la nef d’une église. Le corps féminin en devient encore plus envoûtant. À l’arrière, des colonnes phalliques ainsi qu’une mosaïque qui évoque des tentacules de pieuvres étalés sur l’escalier créent une atmosphère érotique.
Au-delà de la porte d’acier, l’espace est réservé aux résidents, créant un seuil entre l’espace commun et l’espace privé, et si l’espace commun intègre des dispositifs théâtraux lascifs, les pièces et les espaces privés sont pour leur part d’une conception extrêmement simple, sans aucune exagération décorative.
Les colonnes phalliques et la porte de style Art Nouveau dans le hall d’entrée de La Porta Izumi.
Mind Waa, l’autre résidence conçue par Von Jour Caux dans le quartier, peut-être considéré comme l’aboutissement de ses efforts combinés avec ceux de ses amis : les hémisphères orange du rez-de-chaussée, couleur qui symbolise l’esthétique de la supérette, décorent le bâtiment de manière rythmée et accrocheuse.
Une fois entrés dans le hall, on découvre une cour intérieure à main droite. Ce genre de patio rappelle celui de la Casa Batló de Gaudi à Barcelone. Le propriétaire du bâtiment et commanditaire de l’œuvre est un grand admirateur de Gaudi et a demandé à Von de réaliser un espace inspiré de la mer.
Comme Von le raconte : « Quand je suis arrivé sur le site le lendemain, quelque chose s’était créé que je n’avais pas imaginé. » Au fil des séances, les artistes s’étaient compris et avaient rivalisé de créativité, en toute amitié, faisant apparaître un espace que même Von n’avait pas anticipé. Le processus peut être décrit comme une sorte de session d’improvisation de jazz.