Exploration de l’histoire japonaise

La mission Iwakura : quand le Japon est parti à la recherche de son propre avenir

Histoire Culture

Plus de cent dirigeants, représentants gouvernementaux et étudiants japonais sont montés à bord d’un navire en 1871 pour un grand voyage diplomatique, à la recherche de plans pour moderniser le pays.

Ombres et lumières de la civilisation occidentale

La mission a procédé à un examen approfondi pour comprendre les mécanismes à l’origine de la prospérité des puissances occidentales : des avancées technologiques, une interaction efficace du commerce et de l’industrie et une population acharnée au travail. La mission Iwakura a parcouru de long en large la Grande-Bretagne, visitant des chemins de fer et des installations de communication, mais également des mines de charbon, des aciéries, des ateliers et même des usines de production de bière et de biscuits. Leurs visites successives leur ont permis de saisir tous les bienfaits que peut apporter une révolution industrielle. Ils ont appris par ailleurs que la Grande-Bretagne n'avait suivi ce processus que quatre ou cinq décennies plus tôt.

Cela a également été l’occasion pour les voyageurs d’entrevoir le côté sombre de la civilisation occidentale. Ils ont aperçu un autre visage de Londres, capitale britannique florissante, en se rendant dans des quartiers défavorisés, où vivent des personnes démunies n’ayant souvent d’autre choix que de recourir à la fraude ou à de menus larcins. En France, à Paris, capitale de culture, ils ont entendu parler de la tragédie récente où la ville, alors sous le contrôle de la Commune, avait été attaquée par les troupes prussiennes. À Berlin, ils rencontrèrent Otto von Bismarck, le chef de l'État allemand nouvellement créé. Il leur fit part de son expérience et de ce qui pourrait être fait sur le plan diplomatique à l’échelle internationale. Sur le trajet du retour, le navire de la mission fit escale au Moyen-Orient et en Asie. Là, les membres de la délégation virent de leurs propres yeux les bas-fonds : des bordels sordides, une rébellion à Sumatra et le commerce de l'opium à Hong Kong, tout autant de témoignages éloquents des conditions de vie pitoyables dans les pays sous domination coloniale.

En quête du modèle le plus approprié pour le Japon, la délégation s’est trouvée confrontée à des systèmes politiques bien distincts et a pu les comparer. Plusieurs pays présentaient des caractéristiques totalement différentes de celles de l’Archipel, rendant impossible l’adoption de leur système. Pour les États-Unis, c’était la taille du pays et la brièveté de son histoire qui avaient posé problème. La Russie, monarchie absolue, était en retard par rapport à d’autres pays. La Belgique, les Pays-Bas et la Suisse étaient tout simplement des pays trop petits. Le sentiment général fut que le Japon devrait prendre la Grande-Bretagne comme modèle, tout en commençant par suivre le système allemand. Les membres de la mission appréhendaient maintenant le niveau de développement du Japon dans un contexte international. Ils ont compris qu’il ne serait pas possible pour l’Archipel de rattraper son retard en quelques décennies à moins de changements progressifs.

Mais leur découverte la plus étonnante a été celle-ci : ils ont compris que le christianisme avait agi comme un pilier spirituel sous-tendant la civilisation occidentale. Les membres de la mission y voyaient un soutien éthique et un encouragement à la diligence. Toute la question était alors de savoir si le Japon était en mesure d’offrir un équivalent au christianisme...

Un esprit japonais, une technologie occidentale

Ce voyage prenait la forme de plusieurs études imbriquées les unes dans les autres. Les membres de la mission Iwakura se réunissaient chaque jour, débattaient et échangeaient leurs opinions. C’est alors que des décisions stratégiques ont été prises sur la base d’enseignements apportés à leur retour. La nouvelle politique reposait sur la redécouverte du wakon-yôsai (esprit japonais et technologie occidentale), une approche de la modernisation consistant à tirer parti de la technologie étrangère sans pour autant perdre l’identité nationale illustrée alors par deux expressions : fukoku kyôhei (enrichir le pays, renforcer l'armée) et shokusan kôgyô (augmenter la production, promouvoir l'industrie). Tous ces maîtres-mots ont permis en grande partie au Japon de conserver son indépendance.

De retour dans l’Archipel, les leaders s’étaient tout d’abord attelés à empêcher une expédition punitive en Corée, décidée en leur absence par le gouvernement intérimaire. Après quelques ajustements des affaires intérieures, la délégation annonça son intention de moderniser le pays progressivement en se basant sur les préceptes occidentaux. Ôkubo Toshimichi dirigea un gouvernement autocratique axé sur le développement. Après la mort de Kido Takayoshi et d’Ôkubo Toshimichi, Itô Hirobumi se retrouva sur le devant de la scène et commença à rédiger une Constitution. Elle plaçait l'empereur au centre de l'État ; l’objectif était que le système impérial et le shintô jouent le même rôle que le christianisme en Occident. La décision reposait en partie sur les éloges de l’économiste français Maurice Block pour le système impérial japonais et sur les conseils de l’économiste allemand Lorenz von Stein pour qui la Constitution devrait être fondée sur la tradition japonaise.

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