La modernité de l’esthétique traditionnelle

Le kimono, le vêtement qui fascine le monde

Culture Mode Tradition Événement

Depuis octobre 2018, une exposition itinérante intitulée Kimono Refashioned (« le kimono et la mode ») a été présentée tour à tour dans trois musées d’art des États-Unis. Fukai Akiko, conservatrice honoraire de l’Institut du costume de Kyoto (KCI), a conçu le projet de cette manifestation consacrée à l’influence du kimono sur la mode. Dans les lignes qui suivent, elle nous explique comment ce vêtement traditionnel japonais, loin d’être un vestige du passé, continue à stimuler l’imagination des couturiers.

Un changement radical de conception du vêtement

Des créations des couturiers japonais Rei Kawakubo, Yohji Yamamoto et Issey Miyake présentées dans le cadre de l’exposition Future Beauty : 30 Years of Japanese Fashion (La beauté de demain : 30 ans de mode japonaise) qui s’est tenue du 15 octobre 2010 au 6 février 2011 à la galerie d’art Barbican de Londres. (© Lyndon Douglas).
Des créations des couturiers japonais Rei Kawakubo, Yohji Yamamoto et Issey Miyake présentées dans le cadre de l’exposition Future Beauty : 30 Years of Japanese Fashion (La beauté de demain : 30 ans de mode japonaise) qui s’est tenue du 15 octobre 2010 au 6 février 2011 à la galerie d’art Barbican de Londres. (© Lyndon Douglas)

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les couturiers japonais, notamment Rei Kawakubo, fondatrice de la marque Comme des Garçons, Yohji Yamamoto et Issey Miyake, ont eu un impact considérable sur le monde de la mode. Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto ont très souvent adopté un style minimaliste caractérisé par une absence quasi totale de couleurs – limitées au noir et au blanc – et d’ornements, en se référant au concept de wabi/sabi, c’est-à-dire à la beauté de l’imperfection. Ces créateurs de génie se sont affirmés comme des visionnaires qui ont redéfini les bases de la mode, en contestant la conception de la beauté imposée par les Occidentaux, et transformé celle-ci en art. Ils sont les précurseurs d’un style opposé à la visibilité qui prévalait jusque-là et fondé sur une esthétique beaucoup plus sobre.

L’avant-garde de la haute couture japonaise a dessiné des vêtements aux lignes droites faisant clairement référence au kimono et à sa façon d’envelopper le corps sans être jamais trop ajusté ni suivre ses courbes naturelles. Pour la mode occidentale de l’époque, essentiellement préoccupée par la mise en valeur de la silhouette, leur démarche constituait une véritable hérésie. On leur a tout de suite reproché l’absence de forme de leurs modèles. Ce que les critiques n’ont pas compris sur le moment, c’est que ces œuvres étaient le résultat d’une approche qui s’était affranchie des règles dictées par l’Occident. Une approche qui était l’héritière des lignes abstraites caractéristiques du kimono.

Ce manteau aussi surprenant par ses lignes audacieuses que par ses vibrantes couleurs est une création de la styliste japonaise Rei Kawakubo pour la collection automne-hiver 2012 de la marque Comme des Garçons. Photo Hayashi Masayuki. (© Kyoto Costume Institute)
Ce manteau aussi surprenant par ses lignes audacieuses que par ses vibrantes couleurs est une création de la styliste japonaise Rei Kawakubo pour la collection automne-hiver 2012 de la marque Comme des Garçons. (Photo : Hayashi Masayuki © Kyoto Costume Institute)

Robe et jupe du couturier japonais d’avant-garde Yohji Yamamoto dont les vêtements se signalent entre autres par une ampleur presque démesurée. Photo Hatakeyama Takashi. (© Kyoto Costume Institute)
Robe et jupe du couturier japonais d’avant-garde Yohji Yamamoto (collection automne-hiver 1996) dont les vêtements se signalent entre autres par une ampleur presque démesurée. (Photo : Hatakeyama Takashi © Kyoto Costume Institute)

Le kimono a apporté quelque chose de totalement nouveau. Quelque chose qui n’existait pas dans le vêtement occidental. Une sorte d’espace ou de vide impénétrable. Et cette perception différente des choses s’est avérée un avantage pour les stylistes japonais, quand il s’est agi de trouver une définition plus libre de la forme. Leurs créations ont contribué à donner une vision plus ambiguë de la féminité en brisant la conception rigide qui voulait que le vêtement mette en valeur les courbes du corps féminin. Les créateurs japonais ont ouvert de nouvelles perspectives à un monde de la mode jusque-là dominé par l’Occident.

L’expertise de l’industrie textile japonaise en matière de traditions

Les stylistes japonais ont eu droit à de vives critiques en ce qui concerne la forme qu’ils ont donnée à leurs créations. Mais les textiles auxquelles ils ont eu recours pour les réaliser ont toujours été hautement appréciés. Les matières jouent un rôle prépondérant quand on cherche à trouver de nouvelles formes d’expression et des textures dynamiques à la fois d’avant-garde et pleines de créativité. Dans le cas du kimono, dont la forme est unique, ce sont elles qui font toute la différence. En tant qu’héritiers des traditions de l’Archipel, les couturiers japonais accordent une importance capitale au « textile » et ils se préoccupent de son choix avant même de concevoir le modèle.

Le travail des créateurs japonais a bénéficié de l’expertise de l’industrie textile qui a su maintenir en vie un grand nombre de savoir-faire traditionnels très anciens liés au kimono, notamment en ce qui concerne le tissage et la teinture. Bien qu’il se soit résolument orienté vers la production de vêtements de style occidental, ce secteur d’activité a réussi à conserver ses traditions tout en s’efforçant de développer de nouvelles technologies. Tant et si bien que le monde entier continue à surveiller de près la production toujours à l’avant-garde de l’industrie textile de l’Archipel.

L’exposition Kimono Refashioned présente des créations d’Iris van Herpen. Pour sa collection automne-hiver 2016, cette styliste néerlandaise réputée pour son audace a utilisé un fil d’une extrême finesse teint avec la technique du shibori (teinture à réserve), dont la fabrication a été assurée par une entreprise japonaise.

Une robe de la créatrice de mode néerlandaise Iris van Herpen, célèbre pour ses modèles en trois dimensions et son recours à des matières complètement innovantes. Collection automne-hiver 2016. Photo Hatakeyama Takashi. (© Kyoto Costume Institute)
Une robe de la créatrice de mode néerlandaise Iris van Herpen, célèbre pour ses modèles en trois dimensions et son recours à des matières complètement innovantes. Collection automne-hiver 2016. (Photo : Hatakeyama Takashi © Kyoto Costume Institute)

L’avenir plein de promesses du kimono

La mode est la même partout dans le monde. Le fait que rien ne change où que l’on aille est à la fois très pratique et propice à la monotonie. Les objets que l’on trouve partout n’appartiennent en définitive à personne. Dans ce contexte, le kimono occupe une position très favorable parce qu’il s’est développé dans le contexte tout à fait original de l’Archipel et qu’il se situe en dehors de la culture occidentale. De ce fait, il est porteur de nouvelles idées et il constitue une source d’inspiration potentielle pour les stylistes au moment même où la demande pour une plus grande diversité du vêtement ne cesse d’augmenter. Le kimono est loin de se limiter à un objet du passé. Et il va à n’en pas douter continuer à fasciner le monde et à servir d’inspiration aux créateurs.

(Photo de titre : un aperçu de l’exposition Kimono Refashioned présentée au Musée d’art asiatique [AAM] de San Francisco du 8 février au 5 mai 2019. © Asian Art Museum of San Francisco)

Tags

mode vêtement tradition exposition culture kimono

Autres articles de ce dossier