La modernité de l’esthétique traditionnelle

Le kimono, le vêtement qui fascine le monde

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Fukai Akiko [Profil]

Depuis octobre 2018, une exposition itinérante intitulée Kimono Refashioned (« le kimono et la mode ») a été présentée tour à tour dans trois musées d’art des États-Unis. Fukai Akiko, conservatrice honoraire de l’Institut du costume de Kyoto (KCI), a conçu le projet de cette manifestation consacrée à l’influence du kimono sur la mode. Dans les lignes qui suivent, elle nous explique comment ce vêtement traditionnel japonais, loin d’être un vestige du passé, continue à stimuler l’imagination des couturiers.

Une source d’inspiration pour le monde entier

À l’heure actuelle, le kimono suscite un intérêt plus grand que jamais. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, il semblait menacé de disparition. Les femmes japonaises n’y avaient recours que pour des occasions formelles comme les mariages, la célébration de la majorité (seijin shiki) ou la cérémonie du thé. Toutefois depuis quelques années, il est revenu sur le devant de la scène non seulement au Japon mais aussi dans le reste du monde en tant que vêtement élégant que l’on peut aussi porter dans la vie de tous les jours. À en juger par leurs collections, le kimono a servi de nouvelle source d’inspiration à quantité de stylistes non-japonais. En fait, bien peu de vêtements traditionnels ont joué un rôle aussi important que le sien dans la mode.

Avec sa collection printemps-été 2018, la Maison Margiela a donné un des exemples récents les plus spectaculaires de l’influence du kimono. John Galliano, son directeur artistique, a créé un manteau pour homme à partir du somptueux tissu aux brillantes couleurs d’un ancien obi, la ceinture utilisée traditionnellement pour fermer les kimonos. Quelques mois plus tôt, le designer de chaussures de luxe Christian Louboutin avait réalisé pour sa collection automne-hiver 2017 une paire de bottines avec une superbe étoffe dont le décor, constitué de motifs de bambou, de branches de pin, de fleurs de prunier et de grues, rappelait étrangement celui des kimonos de la seconde moitié de l’époque d’Edo (1603-1868).

Les merveilleuses bottines du créateur de chaussures de luxe Christian Louboutin pour sa collection automne-hiver 2017. Le célèbre chausseur s’est inspiré de motifs figurant sur les kimonos japonais de l’époque d’Edo (1600-1868). (© Kyoto Costume Institute)
Les merveilleuses bottines du créateur de chaussures de luxe Christian Louboutin pour sa collection automne-hiver 2017. Le célèbre chausseur s’est inspiré de motifs figurant sur les kimonos japonais de l’époque d’Edo (1600-1868). (© Kyoto Costume Institute)

Une autre illustration particulièrement intéressante de l’impact du kimono sur la mode, ce sont les costumes pour homme de la collection printemps-été 2016 de Tom Browne. À cette occasion, le talentueux styliste américain a donné un look pop art tout à fait moderne à des costumes classiques et austères d’hommes d’affaires. Pour ce faire, il les a parsemés de motifs de kimonos directement issus du savoir-faire traditionnel minutieux des artisans japonais.

Photo : Un costume pour homme de la collection printemps-été 2016 de Tom Browne. Le styliste américain a complètement relooké le vêtement typique des businessmen en le parsemant de motifs empruntés à l’art traditionnel du kimono japonais. (© Fashion Press)
Un costume pour homme de la collection printemps-été 2016 de Tom Browne. Le styliste américain a complètement relooké le vêtement typique des businessmen en le parsemant de motifs empruntés à l’art traditionnel du kimono japonais. (© Fashion Press)

Avant ceux que je viens de mentionner, d’autres grands couturiers avaient déjà exploré les possibilités offertes par l’art tout à fait unique du vêtement au Japon. À commencer par Cristobal Balenciaga (1895-1972), Yves Saint Laurent (1936-2008), ou Alexander McQueen (1969-2010). En remontant encore plus loin dans le temps, on trouve Madeleine Vionnet (1876-1975) et Paul Poiret (1879-1944) qui ont marqué l’histoire de la haute couture dans les années 1920, ainsi que Jacques Doucet (1853-1929). Pourquoi ces créateurs de génie se sont-ils tous sans exception intéressés au kimono ?

Une robe réalisée vers 1897 par le grand couturier parisien Jacques Doucet (1853-1929). Elle est ornée de feuilles et de fleurs d’acore (shôbu), une plante omniprésente dans l’art japonais. Photo Hayashi Masayuki. (© Kyoto Costume Institute)
Une robe réalisée vers 1897 par le grand couturier parisien Jacques Doucet (1853-1929). Elle est ornée de feuilles et de fleurs d’iris (shôbu), une plante omniprésente dans l’art japonais.  (Photo : Hayashi Masayuki © Kyoto Costume Institute)

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Fukai AkikoArticles de l'auteur

Née en 1943. Historienne spécialiste du vêtement occidental. Conservatrice honoraire de l’Institut du costume de Kyoto (KCI). Titulaire d’une maîtrise de l’Université d’Ochanomizu complétée par des études d’histoire de l’art à l’Université de Paris IV (Sorbonne). Auteur de nombreux ouvrages dont « Kimono et japonisme : l’esthétique japonaise vue à travers les yeux de l’Occident » (Kimono to japonisme : seiyô no me ga mita Nihon no biishiki, Heibonsha, 2017) ; « Le siècle de la mode : les influences réciproques de la mode et de l’art » (Fashion no seiki : kyôshin suru fashion to art, Heibonsha, 2005).

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