Quand gourmandise rime avec plaisir
Le castella, un gâteau japonais venu d’Europe
Gastronomie Culture Région- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Un gâteau d’origine étrangère bienvenu au Japon
Pendant quelques années, j’ai vécu entre Yokohama, où j’habitais principalement, et Nagasaki, où je travaillais à temps partiel. Mes longues flâneries dans la ville historique de Kyûshû, jadis une plaque tournante du commerce vers l’étranger, m’ont fait redécouvrir et apprécier d’autant plus le gâteau appelé « castella », dont la réputation n’était plus à faire. Cette sorte de génoise est considérée par beaucoup comme un symbole du rôle joué par la ville en tant que pont vers la culture occidentale. Cette gourmandise est initialement inspirée de la cuisine portugaise, et a toujours la cote auprès des touristes. C’est une source vitale de revenu pour l’économie locale.
Les touristes asiatiques ont été les premiers conquis, notamment ceux venus de Chine, Hong Kong ou Taïwan. Dans ces régions, l’on voit de plus en plus de magasins spécialisés proposant même des versions « à la japonaise » aux côtés d’autres plus locales.
Le castella ne contient traditionnellement ni produit laitier ni levure. Les magasins les plus anciens de Nagasaki continuent de les préparer à la main comme autrefois avec une liste très épurée d’ingrédients : des œufs, de la farine, du sirop de glucose (mizuame) et du sucre. Et c’est tout. Pour créer la texture spongieuse, il faut battre les œufs, la farine et le sucre fin jusqu’à obtenir une pâte mousseuse. Ensuite il suffit d’ajouter du sirop de glucose pour donner au gâteau sa texture collante. On saupoudre une couche de sucre granulé au fond du moule de cuisson de forme rectangulaire avant de verser le mélange, offrant au gâteau fini une agréable sensation de croquant.
Si le castella trouve ses origines hors des frontières nippones, c’est bien au Japon, au fil des siècles, qu’il a évolué en fonction des goûts locaux. À ce titre, il peut maintenant être considérée comme élément à part entière de la cuisine japonaise. Les versions traditionnelles sont certes toujours très appréciées, mais comme les manjû (petits gâteaux ronds cuits à la vapeur), introduites de Chine il y a des centaines d’années, le castella est en constante transformation et se voit décliner sous mille et une saveurs. Les pâtissiers créatifs créent constamment de nouvelles variétés aux saveurs exotiques comme le chocolat, le miel, le matcha ou encore la fraise. L’autre jour, j’ai même trouvé un magasin à Nagasaki en proposant à base de poudre de collagène destiné aux clients soucieux de leur beauté, ce qui n’est pas du goût des puristes du castella à l'ancienne... Ils sont formels : pour eux, un castella doit être préparé selon une recette traditionnelle, s’il veut véritablement mériter son nom.
Les transformations du castella
L’ancêtre du castella, le pão de ló, doit son introduction à des missionnaires portugais au XVIe siècle. Lors de leur tournée, les prêtres avaient pour coutume d’offrir ce gâteau aux futurs convertis et aux membres de l'église qui étaient malades. Le succès du castella a été tel que des Japonais, une fois de retour du Portugal après leurs études, ont répandu la recette.
Voici donc pour les origines du gâteau. Mais qu’en est-il de son nom ? En fait, il existe différentes théories. Selon certains, le mot « castella » proviendrait de la région espagnole de Castille ; pour d’autres, il s’expliquerait par la tendance des chefs portugais à crier « castelo » (château) lorsqu'ils battent vigoureusement les œufs en pics raides, rappelant les donjons d’une citadelle, pour la préparation du pão de ló.
Il y a quelques années, lors d'un voyage au Portugal, j'ai visité la boulangerie historique Fábrica de Pão de Ló de Margaride, autrefois le fournisseur de la maison royale portugaise, dans le district de Porto, au nord-est du pays. Fondée en 1730, la pâtisserie, qui en est à sa septième génération, continue de faire du pão de ló comme autrefois.
Comme on peut s'y attendre, le pão de ló, précurseur du castella, ne contient que des œufs, du sucre et de la farine et se cuit dans un four à l'ancienne. Une seule bouchée de ce pão de ló a rempli ma bouche d’un arôme délicat d’œuf. La texture du plat, cependant, n'était pas humide comme un castella mais plutôt friable. La pâte était donc différente.
L’introduction du sucre au Japon
Lorsque le castella fit pour la première fois son apparition dans l’Archipel, le sucre était alors un produit de luxe, principalement importé de Chine. Cependant, à partir du début de l’époque d’Edo (1603-1868), la Compagnie néerlandaise des Indes orientales expédia de plus importantes quantités de sucre. Elle répondait à une augmentation de la demande et le négociait contre du cuivre et de l’argent japonais. Initialement peu nombreuses, les cargaisons de sucre ne servaient que de contrepoids à bord des navires de commerce néerlandais, mais elles finirent par représenter pas moins de 30 % des importations du pays vers le Japon. Le sucre s’immisçait petit à petit dans le quotidien des Japonais. Ainsi, en 1759, 1 375 tonnes de sucre, une quantité colossale pour l’époque, d’un montant équivalant à 2,4 milliards de yens aujourd’hui, transitèrent par le poste de commerce situé sur l’île de Dejima, dans la baie de Nagasaki. Le shogunat d’Edo augmentera plus tard lui aussi la production nationale et imposera des droits de douane élevés pour compenser sa dépendance vis-à-vis du sucre importé. Malgré tout, le sucre restait tout de même un marché lucratif pour les commerçants néerlandais.
Une grande partie du sucre importé du Japon provenait de Batavia, la capitale des Indes orientales néerlandaises, actuellement Jakarta (Indonésie). Elle était acheminée à Nagasaki via Tainan à Taïwan, une colonie hollandaise. De Nagasaki, il fut expédié jusqu'aux marchés d’Osaka. C’est dans la région du Kansai et dans la capitale, Edo, que la consommation de sucre était la plus élevée. Une quantité importante était toujours consommée à Nagasaki, notamment pour la préparation du fameux castella. Le sucre était également utilisé comme monnaie de paiement par les marchands japonais et étrangers pour payer les courtisanes des bordels du district de Maruyama, qui échangeraient la précieuse denrée contre des métaux comme de l’argent.
Le sucre a alors inspiré de nouvelles recettes de gâteaux et est devenu un ingrédient de base de la cuisine japonaise.
La recette traditionnelle en priorité
Pour les premiers boulangers japonais, la préparation du castella était un processus laborieux et exigeant en main-d'œuvre. Les premiers ingrédients devaient être dosés, mélangés à la main dans une pâte mousseuse et soigneusement versés dans des moules spécialement conçus pour la préparation du gâteau. Sa cuisson se faisait dans des fours improvisés, de petites structures semblables à des fours à céramique alimentés au charbon de bois en haut et en bas, tout en piquant à maintes reprises le mélange avec un pic en bambou pour empêcher la formation de poches d'air et obtenir une cuisson uniforme.
Influencés par les goûts locaux, les chefs introduisirent plus tard du sirop de glucose pour ajouter un effet collant humide et du sucre granulé pour un léger croquant permettant de donner du relief à la texture moelleuse du gâteau. Ces arrangements ont transformé tour à tour le castella, spécialité initialement venue d’Europe, en un élément à part entière de la gastronomie japonaise.
Des enseignes comme Fukusaya, pâtisserie de Nagasaki fondée en 1624, continuent à proposer du castella préparé selon une recette traditionnelle. Chaque lot est préparé par un seul boulanger qui supervise avec soin chaque étape du processus, du mélange des ingrédients à la cuisson.
Les touristes japonais affluent souvent vers les boutiques réputées proposant le fameux castella, tels que celles situées dans les grands magasins. Mais si vous venez à Nagasaki, préférez les sachets de parts individuelles. Bon marché, vous les trouverez notamment dans les épiceries et les marchés de la ville. Parfaits pour de petits en-cas, ils sont aussi savoureux que la version en boîte élégante dont ils proviennent.
(D’après un texte original en japonais. Toutes les photos sont de l'auteur.)