Quand le Japon s’allia avec la Russie : un accord précieux mais éphémère

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Vassili Molodiakov [Profil]

En 1917, la Révolution russe a bouleversé la face du monde. Et elle a entraîné avec elle, conséquence peu connue, l’éclatement d’une alliance fraîchement conclue avec le Japon, qui aurait pu modifier l’équilibre des forces en Asie. Cette alliance était également la relation diplomatique la plus étroite que les deux pays aient jamais eue. Revenons sur les circonstances de la signature de ce traité.

Secrète et éphémère

Après l’échec de négociations menées individuellement par des diplomates, Yamagata exige du ministre des Affaires étrangères Ishii Kikujirô qu’il conclue un accord général avec la Russie. Il insiste auprès de lui sur le fait que le maintien de la paix et de la sécurité en Asie orientale pourra se faire seulement par le biais de la coopération entre les deux empires. Ishii et Ôkuma ne sont pas particulièrement en faveur d’une alliance avec le géant continental, mais Yamagata réussit à imposer sa volonté.

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Sazonov (1860–1927). (Photo avec l'aimable autorisation de Projet Gutenberg)
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Sazonov (1860–1927). (Photo avec l’aimable autorisation de Projet Gutenberg)

Autrefois, de nombreux historiens pensaient que c’était l’ambassadeur Motono qui avait rédigé le traité de l’alliance de 1916. Cependant, les documents sont formels : Yamagata a joué un rôle de premier plan grâce à ses grandes compétences en diplomatie et en géopolitique. La « diplomatie impériale » était un élément clé de sa stratégie. Après la visite du grand-duc en tant qu’émissaire du tsar Nicolas II, et son accueil réservé par l’empereur Taishô, le temps n’était plus aux objections ouvertes. Le reste n’était plus qu’une question de procédure.

Le 18 février 1916, l’ambassadeur Motono remet à Sazonov une note appelant à l’ouverture de négociations officielles. La Russie étant à l’époque en position de faiblesse en Extrême-Orient, Nicolas II reconnaît l’utilité d’une alliance avec le Japon. Ce traité marque une nouvelle étape dans les relations bilatérales, à peine dix ans après la fin de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Il serait donc erroné de penser que la Russie renonce à ses ambitions dans la région.

Le texte officiel de l'accord entre le Japon et la Russie dans le journal Tokyo Asahi Shimbun, datant du 9 juillet 1916.
Le texte officiel de l’accord entre le Japon et la Russie dans le journal Tokyo Asahi Shimbun, datant du 9 juillet 1916.

Des articles publiés du traité stipulaient les obligations pour les deux parties de ne pas conclure d’accords ou de pactes l’une contre l’autre. Ils prévoyaient également des moyens de coopération pour la défense des droits territoriaux et des intérêts particuliers mutuellement reconnus en Extrême-Orient.

Par ailleurs, « afin d’approfondir les liens d’amitié entre les deux pays », ces derniers concluent un accord secret. En vertu de celui-ci, ils s’engagent à protéger la Chine de la domination politique de toute puissance tierce qui aurait des intentions hostiles à l’égard de la Russie ou du Japon. Si les mesures prises menaient à une guerre avec un pays tiers, l’autre partie devrait venir en aide à son alliée si cette dernière en faisait la demande. Ainsi, les parties n’étaient pas autorisées à conclure la paix avec un ennemi commun sans consentement mutuel. Enfin, elles garantissaient un soutien proportionnel à l’ampleur du conflit.

Le Japon et la Russie ont donc convenu d’une alliance de cinq ans, qui devait rester dans le plus grand secret. Même parmi les ministres russes, seul le Premier ministre Boris Stürmer était dans la confidence.

Toutefois, cette alliance a été éphémère. En novembre 1917, lorsque les bolcheviks ont pris le pouvoir, ils ont mis fin à l’alliance qui liait le Japon et la Russie, suscitant confusion et embarras considérables lorsque de nombreux documents relatifs aux traités secrets entre l’Empire russe et les autres puissances alliées ont été publiés. L’alliance nippo-japonaise n’aura été que de courte durée.

(Photo de titre : le tsar Nicolas II [au centre] et ses cinq enfants en 1916, accompagnés d’un troupe de cosaques. Photo avec l’aimable autorisation de la collection Romanov, General Collection, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University)

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Vassili MolodiakovArticles de l'auteur

Professeur à l’Institut de recherche pour les études japonaises mondiales de l’université Takushoku. Né à Moscou en 1968. Diplômé en 1993 de l’Université d’État de Moscou, où il a également obtenu un doctorat en histoire en 1996. Il est également titulaire d’un doctorat en études sociales et internationales avancées de l’Université de Tokyo en 2002 et d’un LLD en sciences politiques de l’Université d’État de Moscou en 2004. Il a été invité en tant que chercheur à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Tokyo en 2001. Il est devenu membre principal de l’Institut de l’identité japonaise de l’université Takushoku en 2003 et professeur en 2012. Il est l’auteur de plus de 30 livres rédigés en russe, dont 15 sur le Japon. Deux d’entre eux ont été publiés en japonais : « Gotô Shinpei et l’histoire des relations russo-japonaises » (/em>Gotô Shinpei to nichirô kankei-shi) et « Le japonisme en Russie » (Japonism no Russia). Il a également écrit plus de 50 articles en japonais.

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