Quand le Japon s’allia avec la Russie : un accord précieux mais éphémère

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Vassili Molodiakov [Profil]

En 1917, la Révolution russe a bouleversé la face du monde. Et elle a entraîné avec elle, conséquence peu connue, l’éclatement d’une alliance fraîchement conclue avec le Japon, qui aurait pu modifier l’équilibre des forces en Asie. Cette alliance était également la relation diplomatique la plus étroite que les deux pays aient jamais eue. Revenons sur les circonstances de la signature de ce traité.

Un moment fort de diplomatie entre le Japon et la Russie

Le maréchal Yamagata Aritomo (1838-1922). Né dans une famille de samouraïs de rang inférieur du domaine de Chôshû, il fut un personnage de premier plan lors de la Restauration Meiji en 1868 et l'un des premiers Premiers ministres de l’histoire du Japon. (Photo avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Le maréchal Yamagata Aritomo (1838-1922). Né dans une famille de samouraïs de rang inférieur du domaine de Chôshû, il fut un personnage de premier plan lors de la Restauration Meiji en 1868 et l’un des premiers Premiers ministres de l’histoire du Japon. (Photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Le 3 juillet 1916, un pacte entre le Japon et la Russie est signé à Pétrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Sazonov et l’ambassadeur japonais Motono Ichirô. Les deux pays deviennent liés par une alliance à la fois militaire et politique. C’est à cette époque que les relations entre Tokyo et Moscou atteignent leur point d’orgue. Mais l’année suivante, la Révolution russe rend ce traité caduque, annihilant toute coopération à une échelle que les historiens ne peuvent maintenant qu’imaginer. Mais plutôt que de supposer ce qui aurait pu se passer, examinons les faits historiques.

Début 1915, les journaux japonais évoquent déjà la nécessité d’une alliance avec Moscou. Aux premières heures de la Première Guerre mondiale, la Russie comme le Japon combattaient l’Allemagne et les empires centraux (l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie, l’Empire ottoman et le Royaume de Bulgarie). Dans une missive, l’ambassadeur de Russie au Japon, Nikolaï Malevsky-Malevitch, fait savoir au ministre des Affaires étrangères Sazonov que depuis le début de la guerre, la nécessité, ou non, de l’alliance est abondamment relayée par la presse nippone, ajoutant que l’idée a déjà largement remporté la ferveur du grand public.

Au cœur du débat : la signification même d’une alliance nippo-russe. Les deux pays devraient s’entraider au plan militaire en cas de conflit avec un pays tiers, comme cela avait été le cas pour l’Alliance anglo-japonaise. Mais un tel traité avec la Russie est-il vraiment nécessaire ?

La « diplomatie impériale » comme clé de l’alliance

Ôkuma Shigenobu (1838-1922). Né dans le domaine de Saga, ancien Premier ministre du Japon et fondateur de l'université Waseda. (Photo avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Ôkuma Shigenobu (1838-1922). Né dans le domaine de Saga, ancien Premier ministre du Japon et fondateur de l’université Waseda. (Photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

En février 1915, le maréchal Yamagata Aritomo, ancien Premier ministre, soumet un mémorandum au gouvernement japonais. Il a des doutes sur les chances de victoire des puissances alliées et pense que la guerre se terminera ex-aequo, sans gagnant ni perdant. Il est convaincu que l’équilibre des forces dans le monde s’en trouvera menacé, exacerbant les tensions en Asie, et selon lui, les États-Unis rejoindront le front en Asie. Jugeant l’Alliance anglo-japonaise insuffisante, il propose la formation d’une alliance nippo-russe, laquelle impliquerait l’apport d’un soutien militaire et la protection de l’intégrité territoriale de la Chine, contre des pays qui ne feraient pas partie de l’alliance.

Un article sur la visite du Grand-duc Mikhaïlovitch le 12 janvier 1916 (Yomiuri Shimbun)
Un article sur la visite du Grand-duc Mikhaïlovitch le 12 janvier 1916 (journal Yomiuri Shimbun)

Le gouvernement du Premier ministre Ôkuma Shigenobu rejette la proposition de Yamagata, ne lui laissant d’autre choix que de rechercher le soutien de l’empereur Taishô. Et le moyen le plus rapide de le faire, tout du moins selon lui, est de faire venir un membre de la maison impériale russe à Tokyo. Plus tard, en 1915, le major-général Nakajima Masatake, alors observateur au quartier général de l’armée russe, fait remarquer de façon tout à fait anodine dans une conversation avec Sergei Fedorov, le chirurgien du tsar Nicolas II la chose suivante : « Si le tsar dépêchait un grand-duc au Japon, cela ferait probablement très bonne impression et le Japon intensifierait ses efforts pour aider la Russie à combattre l’Allemagne. »

L'ambassadeur japonais auprès de la Russie, Motono Ichirô (1862-1918). Après avoir passé dix ans en Russie, il a reçu le titre de vicomte, puis a été nommé ministre des Affaires étrangères. (Photo avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis)
L’ambassadeur japonais auprès de la Russie, Motono Ichirô (1862-1918). Après avoir passé dix ans en Russie, il a reçu le titre de vicomte, puis a été nommé ministre des Affaires étrangères. (Photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis)

Cette volonté est transmise au tsar Nicolas II qui, le lendemain, confie sans plus attendre cette mission au grand-duc George Mikhaïlovitch. Le but de la visite était de féliciter l’empereur Taishô pour la fin de ses cérémonies officielles d’intronisation en novembre 1915. À son arrivée à Tokyo en janvier 1916, il est accueilli à la gare par l’empereur lui-même.

 

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Vassili MolodiakovArticles de l'auteur

Professeur à l’Institut de recherche pour les études japonaises mondiales de l’université Takushoku. Né à Moscou en 1968. Diplômé en 1993 de l’Université d’État de Moscou, où il a également obtenu un doctorat en histoire en 1996. Il est également titulaire d’un doctorat en études sociales et internationales avancées de l’Université de Tokyo en 2002 et d’un LLD en sciences politiques de l’Université d’État de Moscou en 2004. Il a été invité en tant que chercheur à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Tokyo en 2001. Il est devenu membre principal de l’Institut de l’identité japonaise de l’université Takushoku en 2003 et professeur en 2012. Il est l’auteur de plus de 30 livres rédigés en russe, dont 15 sur le Japon. Deux d’entre eux ont été publiés en japonais : « Gotô Shinpei et l’histoire des relations russo-japonaises » (/em>Gotô Shinpei to nichirô kankei-shi) et « Le japonisme en Russie » (Japonism no Russia). Il a également écrit plus de 50 articles en japonais.

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