Une Constitution inchangée depuis 1946

Qui est réellement l’auteur de l’article 9 de la Constitution du Japon ?

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L’article 9 de la Constitution japonaise, sûrement le plus connu de tous, stipule que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». Il fait depuis longtemps polémique au sein du pays, notamment parmi les conservateurs qui s’élèvent contre la dépendance du Japon vis-à-vis du parapluie sécuritaire américain et réclament ainsi sa révision. Si l’on pourrait logiquement penser que la paternité du texte revient aux forces alliées américaines, rien n’est si sûr. Un professeur russe spécialiste du Japon nous parle effectivement de la lettre d’un criminel japonais de classe A qui aurait joué un rôle essentiel dans l’idée du renoncement à la guerre.

Qui a dit que le Japon devra renoncer à la guerre ? 

Deux parties du projet du GHQ ont été sujettes à controverse : la renonciation à la guerre et le nouveau statut de l’empereur. Justifiant la nécessité d’affirmer une volonté pacifique dans la Constitution, MacArthur a déclaré à Shidehara : « Le Japon devrait prendre le leadership moral en déclarant clairement qu’il renonce à la guerre. »

La première rencontre entre l'empereur Shôwa et le général MacArthur a eu lieu à l'ambassade des États-Unis à Tokyo, le 27 septembre 1945.
La première rencontre entre l’empereur Hirohito et le général MacArthur a eu lieu à l’ambassade des États-Unis à Tokyo, le 27 septembre 1945.

« Vous parlez de leadership, mais d’autres pays peuvent ne pas être d’accord avec le Japon », a répondu Shidehara. À cela, MacArthur a rétorqué : « Même si aucun autre pays ne suit, le Japon ne perdra rien. Ceux qui ne voudront pas vous apporter leur soutien ont tort. »

Le projet a été approuvé par l’empereur le 22 février et rendu public sous le nom d’ « Essai d’un projet de Constitution révisée » le 6 mars. Lors des discussions sur le projet, Whitney avait insisté pour que la renonciation à la guerre reçoive un chapitre à part et ne soit pas simplement déclarée dans le préambule comme l’un des principes de base. Les historiens Nishi Toshio et Richard Finn (professeur honoraire à l’Université américaine et expert de l’histoire des relations nippo-américaines) affirment que la vérité sur la création de l’article 9 est enveloppée de ténèbres. Selon MacArthur, c’est Shidehara qui a présenté l’idée pour la première fois lors d’une réunion le 24 janvier 1946. Mais le gouvernement japonais travaillait toujours sur son propre projet de Constitution à ce moment-là.

Yoshida a quant à lui affirmé que l’article 9 avait été formulé entièrement sous l’initiative de MacArthur. Se fondant sur les remarques du général selon lesquelles la guerre devrait être interdite, Finn conclut : « L’idée d’une clause de renonciation à la guerre dans la Constitution japonaise était très certainement celle de MacArthur ». Finn ne savait évidemment rien de la lettre de Shiratori.

Influence indirecte de Shiratori sur MacArthur

Une traduction japonaise de la partie de la lettre de Shiratori sur la révision de la Constitution et la renonciation à la guerre a été publiée en 1956 dans un article de Hirota Yôji, qui a été l’avocat de la défense de Shiratori lors des procès de Tokyo. Après avoir examiné de près toutes les sources disponibles, j’ai conclu que MacArthur devait tenir l’idée de l’article 9 de Shidehara — le mémoire de MacArthur, qui touche à cette période, a été publié huit ans après la traduction japonaise de la lettre — et qu’il était plus que probable que Shiratori ait influencé Shidehara à cet égard.

Dans son article, Hirota indiquait que la renonciation à la guerre avait été discutée lors de la réunion du 24 janvier 1946 entre MacArthur et Shidehara, quatre jours après la livraison de la lettre de Shiratori au quartier général. Shidehara avait donc amplement eu le temps de la lire avant le début des travaux sur l’ébauche de la Constitution. Mais cet article, publié dans une revue obscure, est passé largement inaperçu.

La déclaration du général MacArthur concernant le projet de Constitution, datée du 21 juin 1946.
La déclaration du général MacArthur concernant le projet de Constitution, datée du 21 juin 1946.

Shidehara aurait pu s’inspirer de la lettre de Shiratori, mais il a présenté à MacArthur l’idée de renoncer à la guerre comme étant la sienne, sans aucune mention de l’ancien ministre jugé criminel de guerre de classe A. Le principe de renoncement à la guerre a résonné avec MacArthur, qui a ensuite concentré encore plus d’efforts sur le projet de Constitution. Il est également possible que Whitney ait lu la lettre, qui était parvenue au GHQ, ou qu’il ait entendu parler de son contenu par un lieutenant à peu près au moment où MacArthur prenait connaissance de cette idée. Il est bien connu que Whitney a eu une influence significative sur les décisions politiques de MacArthur.

Tout ce qui précède n’est sans doute pas suffisant pour donner définitivement la paternité de l’article 9 à Shiratori. Néanmoins, la probabilité qu’il ait exercé une influence est indéniablement grande. J’ai présenté cette théorie lors du débat public sur ma thèse de doctorat, « Shiratori Toshio et la politique étrangère japonaise (1931–1941) », à l’Université de Tokyo en 2002. De nombreux participants ont écouté mon plaidoyer avec intérêt, mais aussi avec scepticisme. Ils semblaient trouver trop audacieuse l’idée qu’un « criminel de guerre » réputé comme idéologue militariste ait pu proposer le renoncement à la guerre comme principe fondamental de la Constitution…

(Photo de titre : la Constitution japonaise, gardée dans les Archives nationales. Jiji Press)

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