Une Constitution inchangée depuis 1946
Qui est réellement l’auteur de l’article 9 de la Constitution du Japon ?
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La lettre d’un Japonais criminel de guerre de classe A
Le 10 décembre 1945, alors qu’il attendait son procès à la prison de Sugamo, Shiratori Toshio, ancien ambassadeur du Japon en Italie et jugé criminel de guerre de classe A, terminait la rédaction d’une longue lettre adressée au ministre des Affaires étrangères Yoshida Shigeru. La lettre était rédigée en anglais. Pourquoi ? Il y a deux raisons probables : la volonté d’échapper aux censeurs des prisons, ou celle d’attirer l’attention des autorités d’occupation. Cette dernière possibilité semble plus réaliste.
Shiratori avait commencé sa missive avec des souvenirs de son temps en tant que conférencier sur les affaires étrangères pour l’empereur au début des années 1930 :
« Ce poste privilégié, que j’ai occupé pendant près de trois ans, m’a offert la rare occasion d’observer et d’étudier de près la personnalité de notre souverain. En conséquence, j’ai pu me convaincre complètement de son amour inné de la paix, de sa soif de vérité et de son inquiétude sincère pour le bien-être de son peuple. Je l’ai trouvé particulièrement intéressé par les affaires internationales et désireux d’entretenir de bonnes relations avec les autres nations. Il me semblait qu’il avait une méfiance instinctive à l’égard des militaires et que rien ne l’embarrassait plus que son titre de généralissime. Il détestait également son uniforme militaire, qu’il devait toujours porter en public. »
Shiratori était-il honnête en dépeignant ainsi l’empereur ? Espérait-il convaincre quelqu’un ? Yoshida devait connaître l’empereur Hirohito encore mieux que Shiratori. Je pense donc que ce paragraphe était destiné aux autorités d’occupation, qui n’avaient pas encore pris de décision définitive concernant le sort de l’empereur. Devaient-elles le poursuivre en tant que criminel de guerre dans le cadre des procès de Tokyo (au tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient), le faire abdiquer, ou le priver de tous ses droits de souveraineté et le laisser régner en tant que monarque constitutionnel, symbolisant le Japon et l’unité de son peuple ?
Adoption de la réforme constitutionnelle
La partie la plus intéressante de la lettre est sa conclusion. Abordant la question de la réforme de la Constitution (son renouvellement complet n’était pas encore effectué), Shiratori proposait l’inclusion de « dispositions contenant une promesse solennelle de la part de l’empereur de ne jamais, en aucune circonstance, envoyer ses sujets mener la guerre, le droit du peuple de refuser le service militaire sous quelque forme que ce soit et sous quelque gouvernement que ce soit, et la non-application à l’usage militaire de toute partie des ressources du pays ». De telles dispositions, écrivait Shiratori, « doivent constituer la pierre angulaire de la Constitution du nouveau Japon si elle est sérieusement destinée à en faire une terre de paix éternelle ». Il ajoutait également que la « mission de l’empereur de régner sur cette terre dans la paix et la tranquillité (...) serait un changement totalement nouveau dans la législation constitutionnelle. »
L’article 9 de la Constitution de 1947 du Japon, qui déclare que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation », est devenu une clause novatrice d’importance mondiale. Chronologiquement, la lettre de Shiratori était la première tentative d’appliquer le principe du renoncement éternel à la guerre dans la Constitution, bien que des appels similaires aient déjà été entendus dans la presse japonaise vers septembre-octobre 1945, en appelant à la volonté du peuple.
Dans les sections suivantes, je tenterai de replacer la lettre dans le contexte d’événements et de faits historiques bien connus.
Quand la lettre parvient aux Américains
À la demande de Shiratori, Yoshida a envoyé la lettre à Shidehara Kijûrô, qui a dirigé le ministère des Affaires étrangères pendant de nombreuses années avant la Seconde Guerre mondiale, puis est devenu Premier ministre peu après la guerre.
La lettre est parvenue au quartier général (GHQ) du commandement suprême des forces alliées (SCAР), dirigé par le général Douglas MacArthur, le 20 janvier 1946. Mais on ne sait pas avec certitude qui a délivré cette missive aux Américains, ni qui l’aurait lu. L’envoyeur était peut-être Yoshida lui-même.
Le 1er février 1946, le général MacArthur a pris connaissance d’une ébauche des révisions constitutionnelles rédigée par le comité d’enquête sur les problèmes de la Constitution du gouvernement japonais. MacArthur a rejeté ce premier jet et, le 3 février, a ordonné à la section gouvernementale du GHQ de rédiger une constitution fondée sur trois dispositions fondamentales qu’il avait écrites lui-même, connues sous le nom des « Notes de MacArthur ». À savoir :
- L’empereur est à la tête de l’État.
- Sa succession est dynastique.
- Ses fonctions et ses pouvoirs seront exercés conformément à la Constitution et en réponse à la volonté fondamentale du peuple.
Le 4 février, Courtney Whitney, chef de la section gouvernementale, rassemble ses subordonnés et leur donne pour instruction de commencer à travailler sur un projet de Constitution. Il leur transmet les dispositions de MacArthur, qui comprenaient le renoncement à la guerre en tant que droit souverain de la nation. Le projet du quartier général a été achevé le 10 février et approuvé par MacArthur le 12 février. Il est remis au gouvernement japonais le jour suivant.
La section gouvernementale avait alors clairement précisé que l’empereur et le gouvernement japonais n’avaient d’autre choix que d’accepter le projet. Whitney a également déclaré que, si le Japon refusait, il serait difficile de garantir le sort de l’empereur, que plusieurs des puissances alliées exigeaient de juger. MacArthur l’a confirmé poliment mais fermement lors d’une réunion avec Shidehara le 21 février.
Qui a dit que le Japon devra renoncer à la guerre ?
Deux parties du projet du GHQ ont été sujettes à controverse : la renonciation à la guerre et le nouveau statut de l’empereur. Justifiant la nécessité d’affirmer une volonté pacifique dans la Constitution, MacArthur a déclaré à Shidehara : « Le Japon devrait prendre le leadership moral en déclarant clairement qu’il renonce à la guerre. »
« Vous parlez de leadership, mais d’autres pays peuvent ne pas être d’accord avec le Japon », a répondu Shidehara. À cela, MacArthur a rétorqué : « Même si aucun autre pays ne suit, le Japon ne perdra rien. Ceux qui ne voudront pas vous apporter leur soutien ont tort. »
Le projet a été approuvé par l’empereur le 22 février et rendu public sous le nom d’ « Essai d’un projet de Constitution révisée » le 6 mars. Lors des discussions sur le projet, Whitney avait insisté pour que la renonciation à la guerre reçoive un chapitre à part et ne soit pas simplement déclarée dans le préambule comme l’un des principes de base. Les historiens Nishi Toshio et Richard Finn (professeur honoraire à l’Université américaine et expert de l’histoire des relations nippo-américaines) affirment que la vérité sur la création de l’article 9 est enveloppée de ténèbres. Selon MacArthur, c’est Shidehara qui a présenté l’idée pour la première fois lors d’une réunion le 24 janvier 1946. Mais le gouvernement japonais travaillait toujours sur son propre projet de Constitution à ce moment-là.
Yoshida a quant à lui affirmé que l’article 9 avait été formulé entièrement sous l’initiative de MacArthur. Se fondant sur les remarques du général selon lesquelles la guerre devrait être interdite, Finn conclut : « L’idée d’une clause de renonciation à la guerre dans la Constitution japonaise était très certainement celle de MacArthur ». Finn ne savait évidemment rien de la lettre de Shiratori.
Influence indirecte de Shiratori sur MacArthur
Une traduction japonaise de la partie de la lettre de Shiratori sur la révision de la Constitution et la renonciation à la guerre a été publiée en 1956 dans un article de Hirota Yôji, qui a été l’avocat de la défense de Shiratori lors des procès de Tokyo. Après avoir examiné de près toutes les sources disponibles, j’ai conclu que MacArthur devait tenir l’idée de l’article 9 de Shidehara — le mémoire de MacArthur, qui touche à cette période, a été publié huit ans après la traduction japonaise de la lettre — et qu’il était plus que probable que Shiratori ait influencé Shidehara à cet égard.
Dans son article, Hirota indiquait que la renonciation à la guerre avait été discutée lors de la réunion du 24 janvier 1946 entre MacArthur et Shidehara, quatre jours après la livraison de la lettre de Shiratori au quartier général. Shidehara avait donc amplement eu le temps de la lire avant le début des travaux sur l’ébauche de la Constitution. Mais cet article, publié dans une revue obscure, est passé largement inaperçu.
Shidehara aurait pu s’inspirer de la lettre de Shiratori, mais il a présenté à MacArthur l’idée de renoncer à la guerre comme étant la sienne, sans aucune mention de l’ancien ministre jugé criminel de guerre de classe A. Le principe de renoncement à la guerre a résonné avec MacArthur, qui a ensuite concentré encore plus d’efforts sur le projet de Constitution. Il est également possible que Whitney ait lu la lettre, qui était parvenue au GHQ, ou qu’il ait entendu parler de son contenu par un lieutenant à peu près au moment où MacArthur prenait connaissance de cette idée. Il est bien connu que Whitney a eu une influence significative sur les décisions politiques de MacArthur.
Tout ce qui précède n’est sans doute pas suffisant pour donner définitivement la paternité de l’article 9 à Shiratori. Néanmoins, la probabilité qu’il ait exercé une influence est indéniablement grande. J’ai présenté cette théorie lors du débat public sur ma thèse de doctorat, « Shiratori Toshio et la politique étrangère japonaise (1931–1941) », à l’Université de Tokyo en 2002. De nombreux participants ont écouté mon plaidoyer avec intérêt, mais aussi avec scepticisme. Ils semblaient trouver trop audacieuse l’idée qu’un « criminel de guerre » réputé comme idéologue militariste ait pu proposer le renoncement à la guerre comme principe fondamental de la Constitution…
(Photo de titre : la Constitution japonaise, gardée dans les Archives nationales. Jiji Press)
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