En prière devant le Grand Bouddha : Hachimura Kôei, 224ème supérieur du Tôdai-ji de Nara

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Tant de visiteurs et pèlerins viennent se recueillir devant le Grand Bouddha du temple Tôdai-ji, dans la ville de Nara. Hashimura Kôei, qui en est son 224e supérieur, nous raconte ce que signifie pour lui d’être en prière devant cette imposante statue, et combien cela dépasse le cadre même d’une foi religieuse en regard des 1 280 ans d’une si longue histoire...

Hashimura Kôei HASHIMURA Kōei

Né en 1956 à Nara. Le 224e patriarche du Tôdai-ji est entré au temple à 5 ans sur les traces de son grand-père qui y était déjà moine, il a reçu la tonsure à l’âge de 13 ans. Après une maîtrise en histoire de l’Asie à l’université Ryûkoku, il devient moine au temple Tôdai-ji en 1982. Nommé révérend en 2016, il accède au titre de patriarche en 2022.

Les statues bouddhiques en miroir de notre âme

Mais le Grand Bouddha n’est pas seul, le Todai-ji compte 24 autres statues qui sont elles aussi de véritables trésors nationaux. Celle représentant le bodhisattva Fukû-kensaku Kannon a été classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1998, dans la catégorie des « Biens culturels de l’ancienne Nara ».

« L’histoire du bouddhisme est parfois divisée en cycle comportant chacun trois périodes, les trois ères du Dharma. Après le Bouddha historique Shakyamuni (Siddharta Gautama), s’est ouverte l’ère du Shôbô, puis celle du Zôbô pour enfin déboucher celle du Mappô. Shôbô est l’”ère du vrai Dharma”, elle couvre une période longue de 1 000 ans commençant après le Bouddha historique, l’enseignement y est parfaitement transmis et appliqué, un Bouddha peut advenir par la force de l’ascèse. Le Zôbô, ou “ère de la semblance de Dharma”, dure elle aussi mille ans, l’enseignement subsiste mais puisqu’il ne s’agit plus que d’un reflet, il est moins probable qu’un bouddha advienne. Le Mappô ou “ère de fin du Dharma” est une période de déclin, L’enseignement reste vivant mais le monde bascule dans des temps tourmentés. Le Japon serait entré en Mappô en 1052.

Or le règne de l’empereur Shômu s’inscrit dans l’”ère de la semblance de Dharma” (Zôbô), dans une période sans Shakyamuni ni autre Bouddha advenu. Faire des offrandes, vénérer des reliques, dresser des pagodes, prier Shakyamuni, méditer ou faire de l’ascèse était donc jugé nécessaire. Cette histoire se répercute aussi dans les temples. L’année où il a publié son “Rescrit impérial sur la construction du Grand Bouddha”, Shômu déclarait : “Nous vivons maintenant dans l’ère de la semblance”, il a donc fait ériger des temples, de grandes pagodes de sept étages ainsi qu’un Grand Bouddha.

Le terme de Zôbô peut s’analyser comme suit : signifie “semblance” ou “apparence” et () veut dire enseignement ou Dharma. Ériger des statues permet d’obtenir une forme de ressemblance avec le Bouddha et les bodhisattvas, ces statues permettent de drainer les prières et la pratique des fidèles. Nous avons protégé de nombreuses statues bouddhiques après leur création, et deux choses nous importent : nous devons d’une part conserver et réparer ces biens culturels, nous en renouvelons la laque ou les préservons pour empêcher que certaines parties soient endommagées et subissent les outrages du temps. Mais il nous revient aussi de prendre soin de la partie spirituelle, de nous assurer que les fidèles restent en lien avec les bouddhas qui ne sont pas de simples sculptures, car elles sont la figure même de l’enseignement bouddhique, les réceptacles et les agents de la foi et de la compassion. Prier fait partie du quotidien depuis les temps anciens, mais les modes de vie ont évolué et il devient de plus en plus difficile à nos contemporains de s’adonner à la prière. Point besoin de copier les anciens, mais je pense que se mettre en prière le cœur apaisé devant une statue permet de ressentir la force de cette compassion, et j’aimerais que de nombreuses personnes puissent en faire l’expérience. »

À la rencontre d’un monde qui est par-delà des mots

Hashimura Kôei a reçu l’ordination bouddhiste à l’âge de 13 ans. Le doute le prend alors qu’il est à l’université, mais il retrouve la vocation grâce à un livre écrit en anglais par Thích Nhất Hạnh (1926-2022), un moine zen alors mondialement connu et reconnu. Né au Vietam, Hanh avait milité pour la paix avec des campagnes non violentes contre la Guerre du Vietam. Contraint de s’exiler en France du fait de ses différends avec le gouvernement, il prend son bâton de pèlerin pour diffuser la bonne parole dans l’Hexagone ainsi qu’aux États-Unis et écrit plus de 100 livres sur la méditation et la pleine conscience. Il aura un impact majeur sur les non-bouddhistes des sociétés occidentales.

« L’enseignement bouddhique est le même, mais le lire en anglais et non en japonais changeait tout. Ce livre m’a ouvert les yeux, car au Japon le bouddhisme était plutôt envisagé par l’extérieur. Grâce à lui, j’ai alors commencé à m’intéresser à la méditation et j’ai compris que, dans le bouddhisme, il pouvait y avoir un monde par-delà des mots. »

Au XXIe siècle, le cosmopolitisme s’invite dans la salle du Grand Bouddha

Hashimura Kôei prend ses fonctions de supérieur en 2022, alors que le monde est en proie à la pandémie de coronavirus. Les fidèles ont déserté les allées du temple, le Tôdai-ji n’a jamais été aussi désolé. Mais l’année suivante, quand l’étau sanitaire se desserre, la salle du Grand Bouddha se remplit à nouveau de fidèles et visiteurs venus du monde entier.

« Certains s’inquiètent du surtourisme, mais à bien y regarder on voit combien le temple accueille toute la diversité des langues et du monde, c’est vraiment merveilleux. Tant de nationalités et de religions différentes vont et viennent en toute quiétude. Certes le monde est dévasté de guerres de religion, et quand les sentiments s’en mêlent, la haine et les rancunes prennent une place de plus en plus importante. Dans le canon bouddhique “Les Vers du Dharma” déjà Shakyamuni expliquait que la guerre naissait du cœur humain.

(Verset I) Jamais la haine n’a éteint la haine en ce bas-monde. Renoncer à ses rancunes est la seule façon de pouvoir respirer. C’est une loi éternelle.

Bouddha parle d’expérience, il a vécu le massacre de nombreux membres de sa famille. Ne pas renoncer à ses rancœurs empêche de briser le cercle vicieux de la haine. Les guerres de ce bas-monde viennent de cet esprit de haine, du choc des rancunes nées de l’envie et de l’insécurité.

Pour le bouddhisme, l’important est d’avoir un cœur capable de compassion et souhaitant le bonheur d’autrui. Peu importe que l’on soit bouddhiste soi-même, rien ne rend plus heureux face au Grand Bouddha que d’éprouver une vague de bienveillance. Connaître les autres religions et s’ouvrir à d’autres formes de fois donne l’occasion d’aller vers les autres et de les comprendre quelles que soient leurs croyances. »

(Voir également notre grande série sur le bouddhisme au Japon)

(Interview et texte de Kondô Hisashi, de Nippon.com. Toutes les photos : Muda Haruhiko)

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