Efforce-toi de donner le meilleur de toi-même
— On s’attend à ce que les Jeux paralympiques de Paris 2024 établissent un record historique en termes du nombre d’athlètes attirés par un événement estival. Quels sont vos objectifs ?
Notre objectif est de battre le record des 52 médailles que nous avons obtenues à Athènes. L’équipe japonaise a pour devise « Efforce-toi de donner le meilleur de toi-même ». Elle est emblématique des espoirs que nourrit chacun de nos athlètes de faire au mieux de ses capacités.

Taguchi Aki (au centre) entourée des athlètes participant à la cérémonie de présentation de l’équipe paralympique du Japon aux Jeux de Paris. Photo prise à Tokyo le 16 juillet. (© Nippon.com)
— Vous vous êtes appliquée à suivre de près les épreuves de qualification. Que pouvez-vous nous dire des efforts consentis en vue de soutenir l’équipe ?
Bien entendu, nous disposons désormais d’un plus grand nombre de membres expérimentés, mais aussi de davantage de débutants et de femmes, ce qui contribue à renforcer notre compétitivité. Même avant les Jeux paralympiques de Tokyo 2020, le projet national « Japon étoile montante » (J-STAR) nous aidait à dénicher des talents prometteurs, via les contre-la-montre et l’entraînement. Ce programme a révélé huit athlètes qui font partie de l’équipe nationale, dont la nageuse Kinoshita Aira et la joueuse de boccia Ichinohe Ayaka.
L’efficacité des programmes de découverte du talent tient à ce que, sans eux, il est difficile de se rendre compte si les athlètes souffrant d’un handicap jouissent des aptitudes physiques correspondant aux caractéristiques du sport de compétition. En ce qui me concerne, je n’avais aucune expérience de la pratique du sport avant de devenir un usager du fauteuil roulant à l’âge de 25 ans. Il s’est juste trouvé que j’étais prédisposée pour le tir. L’adéquation est essentielle, parce qu’il peut arriver que les caractéristiques physiques d’un athlète ne soient pas celles qui conviennent pour telle ou telle épreuve.
Nous pratiquons un entraînement polyvalent, qui intègre d’autres disciplines, et nous nous efforçons de concevoir des techniques de formation efficaces.

Taguchi pratique le tir juste avant les Jeux de Londres de juillet 2012. (Photo fournie par elle-même)
Supprimer les barrières entre les Jeux paralympiques et olympiques
— Les Jeux de Tokyo ont-ils fait évoluer l’environnement des para-sports au Japon ?
Après que Tokyo eût été désigné en 2013 pour héberger les Jeux, la responsabilité a été transférée du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales (MHLW selon le sigle anglais) à l’Agence japonaise des sports (JSA), qui dépend du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie (MEXT). En 2019, le Centre d’entraînement couvert de l’Est a été fondé en complément du Centre national d’entraînement de Kita City, à Tokyo. Les installations étaient conçues pour être accessibles, avec des zones spécifiquement aménagées pour les para-sports, notamment le rugby et la boccia en fauteuil roulant.
Il y a désormais davantage d’entreprises qui emploient des sportifs ayant participé aux Jeux paralympiques et d’autres athlètes para-sports, permettant ainsi aux athlètes souffrant d’un handicap de s’engager dans la compétitition. Ces changements ont pu se produire grâce aux Jeux de Tokyo.
Dans la phase préparatoire des Jeux olympiques/paralympiques de Tokyo, le Comité des athlètes (de la commission chargée de l’organisation) était composé à la fois de membres olympiques et paralympiques. Les premiers se voyaient demander par les seconds de construire d’emblée des équipements universellement accessibles, utilisables par tout le monde, plutôt que d’ajouter des éléments d’accessibilité destinés aux Jeux paralympiques à l’issue des compétitions ordinaires, et cette suggestion a finalement été retenue.

Le groupe d’athlètes et de célébrités (Taguchi au centre) vêtus en yukata (kimono d’été en coton) a participé en 2018 à un événement promouvant les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo. (Jiji)
Il y a eu des cas où les responsables de chacune des compétitions ont coopéré pour donner suite à cette demande. Aux environs de l’année 2009, en plein campagne pour l’adjudication des Jeux de 2016 au Japon, et en dépit du fait que les Jeux olympiques relevaient de la tutelle du MEXT et les Jeux paralympiques de celle du MHLW, la communication circulait bien entre les athlètes des deux camps. Après que l’adjudication eût été emportée par le Brésil, des responsables olympiques, dont Murofushi Kôji, l’actuel commissaire de JSA, se sont adressés à nous pour nous dire que, bien qu’il ne soit pas encore possible de fonctionner comme une seule et unique entité, bien des initiatives conjointes restaient envisageables.
Par la suite, des représentants paralympiques sont entrés au Comité des athlètes du Comité olympique japonais (COJ) et dans d’autres organismes, ce qui a généré un sentiment d’unité avec leurs homologues olympiques, et a débouché, me semble-t-il, sur l’adjudication des Jeux à Tokyo. En quatre ans, nos efforts en vue d’obtenir l’adjudication ont beaucoup évolué.

À côté de l’ancien escrimeur Ôta Yûki (au centre à droite), vice-champion olympique à Pékin, Taguchi réponde aux questions des journalistes lors de la présentation à la commission d’évaluation du Comité international olympique (CIO) 2013. (Jiji)
— Entendez-vous par là que les barrières entre les Jeux paralympiques et olympiques ont été abolies ?
J’ai l’impression que nous avons créé un environnement plus inclusif au sein du monde du sport à chaque étape de notre processus de préparation pour les Jeux de Tokyo.
C’est désormais un fait acquis que les représentants des organisations destinées aux personnes souffrant d’un handicap participent aux discussions visant à trouver une solution aux problèmes liés à l’invalidité. Nous sommes bien entendu contents quand des personnes non handicapées s’intéressent à nos problèmes, mais j’ai aussi le sentiment que cela risque d’être vain sans les opinions des parties concernées. On obtient de meilleurs résultats quand les personnes handicapées et non handicapées œuvrent de concert.

Les Jeux paralympiques changent le Japon
— Quel héritage les Jeux paralympiques de Tokyo ont-ils laissé ?
Le fait que nous soyons parvenus à organiser les Jeux de Tokyo pendant la pandémie de Covid-19 est une réussite en soi. Peut-être cela a-t-il été possible parce qu’il s’agissait du Japon. J’étais impliquée dans l’adjudication, en tant qu’ambassadeur du relais de la flamme et chef adjoint du village des athlètes. Les athlètes et les responsables de tous les pays ont exprimé leur gratitude pour les efforts consentis par le Japon.
J’ai le sentiment que les Jeux ont aussi contribué à faire changer les attitudes de la société japonaises envers les personnes affectées d’un handicap. Jadis, quand les gens voyaient un invalide dans la rue, ils semblaient porter sur lui un regard lointain. Aujourd’hui, pour un usager du fauteuil roulant comme moi, ce sentiment de malaise n’est plus perceptible, et les gens tont plus enclins à m’adresser la parole. Les toilettes et les plans inclinés accessibles sont devenus plus courants, et les personnes handicapées sortent davantage. Il en résulte que les gens s’habituent à nous voir. L’usage de l’expression « société inclusive » s’est en outre répandu.
Quand j’ai commencé à utiliser un fauteuil roulant, il y a plus de 25 ans, on avait rarement l’occasion de voir des personnes handicapées, et il n’était pas facile pour nous de se déplacer. Quand je sortais avec mes amis valides, je suis sûre que je leur compliquais les choses, par exemple pour trouver des toilettes. Mais il existe désormais tout un éventail d’options pour surmonter les obstacles, ce qui facilite les sorties ensemble.

Le flambeau allumé le 24 août 2021 au Stade national de Tokyo lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Tokyo. (Jiji)
De petits changements peuvent déplacer des montagnes
— Compte tenu des années que vous avez passées à vous impliquer dans les Jeux, quels changements prévoyez-vous à moyen et long terme ? Et y a-t-il des leçons des Jeux de Tokyo que vous souhaitez partager avec Paris ?
La transformation se produit graduellement. Lors de mes premiers Jeux paralympiques, à Athènes, les journaux présentaient les Jeux comme une affaire de société, en insistant beaucoup sur les avantages sociaux. De nos jours, un grand nombre de résultats paralympiques figurent dans les pages sportives, qui mettent l’accent sur l’aspect compétitif.
Les médailles constituent un autre exemple. Aux Jeux paralympiques de Rio 2016, les médailles contenaient de petites billes d’acier, conçues pour produire des sons différents selon les couleurs, de façon à aider les athlètes aveugles. Mais à Tokyo, les médailles étaient dotées de nombres différents de dentelures sur leur bord. Les médailles paralympiques de Paris ont des lignes gravées sur le bord : une pour l’or, deux pour l’argent et trois pour le bronze.
Aux Jeux olympiques de Rio, la vue à partir de la zone réservée aux fauteuils roulants était bloquée par une grille. Le comité d’organisation de Tokyo a reçu des demandes de modification de la hauteur de la barrière. Les responsables et les para-athlètes de Paris ont sans doute suggéré d’autres améliorations après avoir vu les Jeux de Tokyo. J’espère que ces innovations pourront être appliquées partout au Japon de façon à améliorer progressivement la société. C’est ce que j’aimerais que Tokyo partage avec Paris, et je suis impatiente de voir les résultats de leurs tâtonnements sur le terrain.
Regardez-nous resplendir !
— Qu’espérez-vous accomplir à Paris en tant que chef de délégation ?
Lors d’une cérémonie qui s’est déroulée le 16 juillet pour célébrer la formation de l’équipe japonaise, les para-athlètes ont été encouragés à montrer les résultats de leur entraînement, leur potentiel illimité, et à incarner les valeurs des Jeux paralympiques.
Les athlètes ressentent indubitablement une forte pression et beaucoup de tension. La dernière fois que j’ai pris part à une compétition, à Londres, j’étais obsédée par l’idée d’obtenir une médaille, et j’étais sous pression. Il y a des gens qui savent tourner le stress à leur avantage et d’autres qui n’en sont pas capables. Il y a aussi des gens qui préfèrent être accompagnés lorsqu’ils sont sous pression et d’autres qui se concentrent mieux dans la solitude. Je veux soulager, ne serait-ce qu’un peu, le stress ressenti par les athlètes, communiquer clairement avec tous les athlètes et membres du personnel, et créer une atmosphère dans laquelle tout le monde se sente libre de venir à moi.

À la cérémonie de création de la délégation paralympique de Paris, le 16 juillet 2024 à Tokyo. (Photo : Nippon.com)
— Les fans de sport sont tous avides d’inciter les para-athlètes à accomplir des exploits à Paris.
Le moral des athlètes est aussi renforcé par le soutien qu’ils reçoivent des fans japonais. Après avoir regardé les Jeux de Rio, un ami m’a dit : « Cela m’a appris qu’il existait dans le monde toute une gamme de handicaps et de personnes handicapées. J’ai vu comment ces personnes transforment le handicap en quelque chose de positif et en font usage en compétition. » Je souhaite que davantage de gens regardent les Jeux paralympiques et fassent le même constat. Nous sommes en mesure, espérons-le, de bâtir une société où les personnes handicapées puissent faire ce qu’elles veulent, où que ce soit, et entrer en interaction avec une plus grande diversité de gens.

(Photos d’interview : © Kawamoto Seiya)