De la tragédie du génocide à la lutte contre les maladies infectieuses : François Niyonsaba, doyen de la faculté internationale de l’Université Juntendô

Personnages Santé

Au Rwanda en 1994, le génocide a fait un million de morts. C’était il y a 30 ans. Dans cette tragédie, François Niyonsaba a perdu pas moins de 50 membres de sa famille. Il arrive au Japon le cœur brisé et aujourd’hui, sa vie est à Tokyo. D’abord professeur et chercheur, ses travaux portent sur les maladies infectieuses, il est nommé en avril 2024, doyen de la faculté internationale d’Arts libéraux (FILA) de l’Université Juntendô. Ses travaux de recherche tendent à réduire la mortalité de ces maladies qui sévissent en Afrique ou dans les pays en développement mais il souhaite aussi sensibiliser les jeunes Japonais à l’importance de la prévention. Une vie pour faire d’un rêve une réalité et transformer la désolation en message d’avenir.

François Niyonsaba Francois NIYONSABA

Né au Rwanda en 1968. Après des études de médecine de Chine, il obtient son doctorat à l’université Juntendô, à Tokyo. D’abord professeur au Centre de recherche sur l’atopie de l’École doctorale de médecine de l’Université Juntendô, il enseigne ensuite à la Faculté internationale des Arts Libéraux dont il devient le vice-doyen puis le doyen en avril 2024. Il est également le vice-directeur du Centre de recherche sur l’atopie.

Des thérapies pour vaincre les maladies infectieuses

« Rêver », « Ne jamais abandonner », « I can do it (Quand on veut on peut) ».

Face à l’adversité, lui qui a connu la faim, les épidémies et les tragédies, François Niyonsaba s’est répété ces trois devises comme des mantras. Aujourd’hui encore, il les martèle avec tant de force qu’on ne peut qu’y être sensible.

« En Afrique et dans d’autres pays en développement, près de trois millions de personnes meurent chaque année de maladies infectieuses comme le sida, la tuberculose ou la malaria. Mon rêve est de concevoir et développer des traitements qui pourraient vaincre ces maladies. »

Ses recherches portent actuellement sur l’atopie, les allergies et plus largement sur les maladies infectieuses qui sévissent dans le monde entier. Il souhaite notamment contribuer à la lutte contre les maladies infectieuses en étudiant les protéines anti-bactériennes présentes dans le microbiome cutané.

Passer de la Chine au Japon, alors qu’au Rwanda la guerre civile fait rage

Après le lycée, il part étudier la médecine en Chine. Il étudie tout d’abord la langue chinoise à l’Université des Études étrangères de Pékin puis entre à l’Université nationale de médecine installée à Shenyang, dans le nord-e as st de la Chine.

Après avoir décroché son diplôme d’orthopédiste, il s’apprêtait à rentrer au Rwanda pour y exercer, quand, en 1994, la guerre civile s’envenime. Hutus et Tutsis s’opposent dans un déchaînement de haine sans précédent, on se massacre entre voisins. Aux nouvelles, il comprend que retourner au pays serait se mettre en danger et décide de rester en Chine. Mais le gouvernement rwandais cesse de subventionner ses études, il doit alors travailler comme DJ pour vivre et continuer de financer ses recherches.

(à gauche) En 1994, devant l’Université nationale de médecine de Shenyang. (à droite) En 1995, il doit travailler alors comme DJ dans une boîte de nuit à Shenyang pour payer ses frais de scolarité et poursuivre ses études alors que la guerre civile fait rage au Rwanda. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba).
(à gauche) En 1994, devant l’Université nationale de médecine de Shenyang. (à droite) En 1995, il doit travailler alors comme DJ dans une boîte de nuit à Shenyang pour payer ses frais de scolarité et poursuivre ses études alors que la guerre civile fait rage au Rwanda. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba).

Deux ans plus tard, il reçoit une lettre de son frère resté au Rwanda. « Maman est morte. Dans la famille, 50 personnes sont mortes. » Seuls six de ses seize frères et sœurs survivent au génocide initié par les nouvelles forces gouvernementales. « J’étais anéanti de chagrin, pourquoi Dieu se montrait si cruel envers moi. Mais j’avais la chance d’être en vie. Je devais trouver la force de survivre. »

Quelque temps après, le gouvernement rwandais lui intime de rentrer au pays pour travailler comme médecin au sein de la nouvelle armée. « Ils avaient décimé ma famille, je ne pouvais pas rejoindre les forces gouvernementales ! » Grâce à une relation, il part pour le Japon en 1998. « Je pensais plutôt m’exiler en France, mais un ami japonais et des connexions auprès de chercheurs m’ont permis de prendre un nouveau départ au Japon et de poursuivre mes recherches à l’Université Juntendô. Si je m’étais réfugié en France, j’aurais dû renoncer à mon rêve qui était d’exercer la médecine ou de travailler dans la recherche. Le Japon et les Japonais m’ont sauvé, ils ont changé ma vie. »

« Chaque vie compte, je veux sauver le plus de personnes possible »

Il refait sa vie au Japon et pourtant il ne peut oublier la guerre civile, la mort de sa mère, de ses frères et de ses amis. « La médecine a ce pouvoir, je voulais sauver le plus de vies possible, chaque vie est précieuse. » Des tréfonds de sa tristesse, il se sent investi d’une mission brûlante.

Réfugiés rwandais en route vers la frontière. Photo prise à Goma, au Congo, en novembre 1996. (AFP)
Réfugiés rwandais en route vers la frontière. Photo prise à Goma, au Congo, en novembre 1996. (AFP)

La guerre civile faisait des ravages au sein des populations, car non content de causer des massacres et des combats, en l’absence de soins adaptés, les réfugiés mouraient de maladies infectieuses.

Dans les pays en développement, la tuberculose, le sida et le paludisme font des ravages, ces maladies infectieuses tuent plus que les cancers, les accidents ou les maladies dites « de civilisation ». Après mûre réflexion, il décide d’abandonner sa carrière d’orthopédiste et change de voie. « Pour sauver des vies en Afrique, je dois me consacrer à la lutte contre les maladies infectieuses. »

Après son doctorat à l’Université Juntendô, il travaille au Centre de recherche sur l’atopie rattaché à l’université et se dévoue à la recherche sur les protéines antibactériennes.

On trouve souvent ces protéines dans le microbiome de la peau des êtres vivants, elles ont une fonction thérapeutique. À l’instar des antibiotiques, dès qu’un virus ou qu’une bactérie sont détectés, leur nombre s’accroît pour faire barrière et protéger l’organisme. Ses travaux de recherche visent à déterminer si ce type de thérapie antibactérienne peut être utilisée pour lutter contre d’autres maladies infectieuses.

Un mécanisme d’autophagie est avéré en 2022 dans la peau d’un patient atteint de dermatite atopique. Les protéines indésirables présentes dans les cellules sont dégradées dans la peau du sujet malade et on identifie alors les substances améliorant l’immunité et favorisant le recyclage intracellulaire.

« Comment induire des protéines antibactériennes et renforcer l’immunité chez l’être humain ? Je voudrais réussir à développer des thérapies permettant de contrer plusieurs maladies. »

Apprendre pour échapper à la pauvreté

François Niyonsaba naît à Bungwe, cette petite ville se trouve à 50 km au nord de Kigali (la capitale du Rwanda), près de la frontière avec l’Ouganda. Il grandit dans une famille dont les principaux moyens de subsistance sont l’agriculture et le pâturage. Enfant, il avait toujours faim, rares étaient les jours où il avait la chance d’avoir des pommes de terre ou du lait.

Rwanda et pays voisins

Persuadé que les études permettent d’échapper à la pauvreté, il supplie son père de l’inscrire à l’école primaire. Ce dernier lui soumet deux conditions : qu’il aille chercher de l’eau chaque matin et qu’il aide à entretenir le bétail à son retour des cours. En 1982, il est sélectionné par l’État et rejoint l’internat du collège-lycée nommé La Salle dans la ville voisine de Bumba. Ses parents le soutiennent et vendent trois vaches par an pour financer les frais de scolarité. Une longue vie d’étude débute alors il se bat pour que son rêve devienne réalité. Au collège et au lycée, il se consacre aux mathématiques, à la physique, à la biologie et à la chimie, matières où il excelle.

Photo de classe prise près de son lycée vers 1985. Troisième à partir de la gauche au dernier rang, François Niyonsaba tient son ami par l’épaule. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba)
Photo de classe prise près de son lycée vers 1985. Troisième à partir de la gauche au dernier rang, François Niyonsaba tient son ami par l’épaule. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba)

Quand il étudie à Pékin, il assiste en 1989 à la tragique manifestation de la place Tiananmen qui a vu s’opposer autorités et étudiants réclamant la démocratie. L’université est parcourue de troubles et il est victime de vives discriminations. Mais rien ne peut le détourner de ses études.

« Je voulais sortir de la pauvreté. Je devais donc étudier. En travaillant dur à l’université, j’allais avoir plus d’opportunités. Je le devais à ma famille qui me soutenait, je devais faire de mon mieux. »

Vaincre l’ignorance sur le sida et combattre les préjugés

Éduquer, sensibiliser et diffuser l’information, rien de mieux pour favoriser la lutte contre les maladies infectieuses. Dans les pays en développement, peu ont accès à l’éducation et beaucoup ignorent comment réagir face aux cas de maladies infectieuses. Le virus du sida (VIH) n’est pas présent dans la sueur, la salive ou les larmes, il n’y peut y avoir de transmission si on s’embrasse ou si on donne l’accolade. Au Rwanda on ignore tout cela et ce mal rampant que sont les préjugés et la discrimination finissent par prévaloir.

Lorsqu’il retourne au Rwanda en 2011, il revoit un ami du lycée qui a développé la pathologie. Il a perdu tellement de poids qu’il est passé de plus de 100 à 30 kilos. Sa mère qui ne sait pas lire, tempête : « Ne touche pas mon fils. Il va te transmettre le VIH ». Il avait beau lui expliquer que le sida ne se transmettait pas par contact, elle n’en démordait pas. « J’ai ignoré ses avertissements. Je l’ai serré fort dans mes bras et je l’ai embrassé sur la joue. Mon ami a fondu en larmes tant il était ému et heureux. »

On avait dit à son ami qu’il ne lui restait que quelques semaines à vivre et ses funérailles avaient même été organisées. Mais quand il a pris les médicaments prescrits par le médecin qui lui avait été présenté, un miracle s’est produit. Le traitement lui a convenu, sa santé s’est rétablie et six mois plus tard, il pouvait mener une vie normale.

De retour à Bungwe, au Rwanda. Photo prise en 2011 lors d’une rencontre avec les habitants. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba)
De retour à Bungwe, au Rwanda. Photo prise en 2011 lors d’une rencontre avec les habitants. (Avec l’aimable autorisation de F. Niyonsaba)

« On ne peut pas guérir du sida. Mais grâce aux savoirs acquis par la science on peut le combattre et permettre aux malades de mener une vie normale. L’éducation sert la prévention, il redevient possible de trouver un travail et de gagner sa vie. On peut aller à l’hôpital et acheter des médicaments. Éduquer plus et mieux réduit la pauvreté, tant de choses peuvent être ainsi combattues. »

Le premier étranger à être nommé doyen de faculté à Juntendô

En avril 2024, il est nommé doyen de la faculté internationale des Arts Libéraux de l’Université Juntendô. C’est le premier étranger à obtenir ce poste dans cet établissement. Expert en médecine, il parle couramment cinq langues (anglais, français, chinois, rwandais et japonais). Sa nomination a paru naturelle puisqu’il connaît tout autant les problématiques de santé, qu’il sait promouvoir la compréhension interculturelle. Il est l’incarnation parfaite du principe des « trois non » (sanmushugi, non aux discriminations académiques, non aux discriminations sexuelles, non aux discriminations racistes) qui est l’une des devises de l’Université Juntendô.

La faculté propose des cursus uniques où se combinent sciences et humanités. L’un des objectifs est de former des jeunes sachant s’adapter à un contexte globalisé. Les débouchés sont multiples, citons l’exemple des « promoteurs de santé » qui travaillent en collaboration avec des médecins et des infirmières, qui font de l’interprétariat médical ou qui ont pour mission de faire de la prévention.

Cours sur la lutte contre les maladies infectieuses. (Avec l’autorisation de l’université Juntendô)
Cours sur la lutte contre les maladies infectieuses. (Avec l’autorisation de l’université Juntendô)

Les Japonais ne se protègent pas assez des maladies infectieuses

En tant que doyen, il s’intéresse à la formation des étudiants et souhaite qu’ils comprennent et connaissent mieux le domaine de la lutte contre des maladies infectieuses, au Japon bien sûr, mais aussi dans le monde entier.

Prenons l’exemple du sida. Jusqu’à une époque très récente, le Japon était le seul pays développé où le nombre de personnes infectées par le virus du VIH était encore en augmentation. Les cas de syphilis augmentent également rapidement. « Le Japon est un pays propre et riche. Les Japonais ont tendance à voir les maladies infectieuses comme relevant du passé ou concernant les pays en voie de développement alors qu’en fait, elles sont tout autour de nous. Et pourtant on se protège pas », déplore-t-il.

Le sida et la syphilis se transmettent souvent lors de rapports sexuels, mais au Japon, l’éducation sexuelle est indigente. Alors les jeunes se tournent vers les réseaux sociaux qui colportent souvent des opinions erronées, ce qui les empêche de réagir efficacement. François Niyonsaba ne s’adresse pas uniquement aux étudiants, il donne aussi souvent des conférences à l’extérieur de l’université pour toucher un large éventail de citoyens.

« Nous devons nous assurer que les étudiants soient informés et sachent ce qu’est la santé sexuelle, il faut qu’ils se familiarisent avec la problématique des maladies infectieuses. Nous voulons former des jeunes qui puissent contribuer à la lutte contre les maladies infectieuses, au Japon et dans le monde entier. »

« Quelles compétences pour le XXIe siècle? J’identifie trois piliers, certes il faut connaître et maîtriser les langues étrangères, mais il convient aussi de se former aux humanités qui permettent de comprendre et de se faire comprendre la communauté internationale, sans oublier la santé qui est une problématique à laquelle tous les humains sont confrontés. » (Photo : Nippon.com)
« Quelles compétences pour le XXIe siècle? J’identifie trois piliers, certes il faut connaître et maîtriser les langues étrangères, mais il convient aussi de se former aux humanités qui permettent de comprendre et de se faire comprendre la communauté internationale, sans oublier la santé qui est une problématique à laquelle tous les humains sont confrontés. » (Photo : Nippon.com)

Or la qualité de l’eau est modifiée par le réchauffement climatique et l’accroissement de la population mondiale joue en faveur des zoonoses et autres vecteurs de maladies infectieuses, les risques sont accrus à la fois dans le temps et dans l’espace. « Malheureusement une fois que la maladie est là, il est souvent trop tard pour réussir à l’enrayer. Savoir prévenir la propagation de ces maladies est le seul moyen de préparer l’avenir et c’est la responsabilité de chacun. L’éducation c’est l’avenir, travaillons pour les prochaines générations et il ne s’agit pas seulement de la lointaine Afrique. »

Garder à l’esprit les paroles de Nelson Mandela

J’admire Nelson Mandela. Cet homme politique a oeuvré et souffert pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud. Son exemple et ses paroles continuent de me guider.

« Il est en notre pouvoir de changer le monde et d’en faire un monde meilleur. Chacun d’entre nous peut se faire l’acteur de ce changement. »

(Photo de titre : François Niyonsaba vient d’être nommé doyen de la faculté internationale des Arts Libéraux (FILA) de l’Université Juntendô. Il défend l’idée d’une éducation orientée vers la problématique mondiale de la lutte contre les maladies infectieuses. Nippon.com)

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